Afrique : comment les drones de livraison pourraient transformer les prévisions météo

Alors que les données météo manquent cruellement en Afrique, une idée fait son chemin. Celle d’utiliser les drones, de plus en plus nombreux dans les ciels du continent pour livrer par exemple des médicaments.

Avr 8, 2025 - 16:19
 0
Afrique : comment les drones de livraison pourraient transformer les prévisions météo
Deux drones dans une zone rurale du Malawi, utilisés, dans le cadre de la coopération financée par l’Union européenne, pour dresser des cartes localisant les infrastructures et ressources vitales les plus proches, destinées à la population locale. Anouk Delafortrie (UE)/Flickr, CC BY

Alors que les données météo manquent cruellement en Afrique, une idée fait son chemin. Celle d’utiliser les drones, de plus en plus nombreux dans les ciels du continent pour livrer par exemple des médicaments. Car ces derniers peuvent fournir également de nombreuses données météo.


Un drone fend le ciel au-dessus des plaines ensoleillées d’Afrique de l’Ouest. Ses hélices vrombissent doucement dans l’air chaud de l’après-midi. Au sol, un agriculteur suit du regard l’appareil qui survole son champ, où ses cultures peinent à se développer, à cause d’un épisode de sécheresse. Comme la plupart des paysans de cette région, il ne peut compter que sur les précipitations, de plus en plus irrégulières et imprévisibles. Ce drone qui passe pourrait-il changer la donne ? Peut-être.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Une véritable explosion des drones de livraison en Afrique

Nés dans divers contextes civils et militaires (photographie, surveillance, cartographie…), les drones connaissent aujourd’hui une expansion fulgurante en Afrique, surtout pour la livraison de produits de première nécessité dans des zones difficiles d’accès. Parmi eux, la société états-unienne Zipline et les Allemands de Wingcopter sont particulièrement actifs au Rwanda, au Ghana, au Nigeria, au Kenya, en Côte d’Ivoire et au Malawi, où ils transportent du sang, des vaccins, des médicaments ou encore du matériel médical.

Mais ce que l’on sait moins, c’est que ces drones portent aussi en eux un potentiel météorologique : au fil de leurs livraisons, et afin de sécuriser les vols et planifier efficacement leur route, ils enregistrent des données sur la vitesse du vent, la température de l’air ou la pression atmosphérique.

Un manque criant de données météo

Pourquoi ces informations sont-elles si précieuses ? Parce qu’en matière de prévision météo, l’Afrique souffre d’un déficit majeur. Par exemple, alors que les États-Unis et l’Union européenne réunis (1,1 milliard d’habitants à eux deux) disposent de 636 radars météorologiques, l’Afrique – qui compte pourtant une population quasi équivalente de 1,2 milliard d’habitants – n’en possède que 37.

Les raisons derrière cela sont multiples : budgets publics en berne, manque de moyens techniques, mais aussi monétisation progressive des données, rendant l’accès à l’information plus difficile. La question du financement et du partage de ces données demeure pourtant cruciale et devient un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire et la gestion des risques climatiques.


À lire aussi : Le paradoxe des données climatiques en Afrique de l’Ouest : plus que jamais urgentes mais de moins en moins accessibles


La « collecte opportuniste » de données météo

Dans ce contexte, chaque nouveau moyen de récupérer des informations est un atout. Or, si les drones de livraison africains ont d’abord été pensés pour desservir des lieux isolés, ils permettent aussi des relevés météo dits « opportunistes » effectués en marge de leurs missions, dans une logique comparable aux relevés « Mode-S EHS » transmis par les avions de ligne depuis des altitudes beaucoup plus importantes. Zipline affirme ainsi avoir déjà compilé plus d’un milliard de points de données météorologiques depuis 2017. Si ces relevés venaient à être librement partagés avec les agences de météo ou de climat, ils pourraient ainsi, grâce à leurs vols à basse altitude, combler les lacunes persistantes dans les réseaux d’observation au sol.

La question du partage reste toutefois ouverte. Les opérateurs de drones accepteront-ils de diffuser leurs données ? Seront-elles accessibles à tous, ou soumises à des accords commerciaux ? Selon la réponse, le potentiel bénéfice pour la communauté scientifique et pour les prévisions météorologiques locales pourrait varier considérablement.

Fourni par l'auteur

Les drones déjà destinés à la météo

L’idée d’utiliser des drones destinés aux observations météo n’est pas neuve et rassemble déjà une communauté très active composée de chercheurs et d’entreprises. Des aéronefs sans équipage spécifiquement conçus pour la météorologie (appelés WxUAS pour Weather Uncrewed Aircraft Systems) existent déjà, avec des constructeurs comme le Suisse Meteomatics ou l’états-unien Windborne qui proposent drones et ballons capables de fournir des relevés sur toute la hauteur de la troposphère. Leurs capteurs de pointe transmettent en temps réel des données qui nourrissent directement les systèmes de prévision.

Selon les conclusions d’un atelier organisé par Météo France, ces observations contribuent déjà à améliorer la qualité des prévisions, notamment en réduisant les biais de prévision sur l’humidité ou le vent, facteurs clés pour détecter orages et phénomènes connexes. Pourtant, les coûts élevés, l’autonomie limitée et les contraintes réglementaires freinent encore une utilisation large de ces drones spécialisés.

Or, les appareils de livraison déployés en Afrique ont déjà surmonté une partie de ces défis grâce à leur modèle économique en plein essor, à un espace aérien moins saturé et à une large acceptation sociale – car ils sauvent des vies.

Entretien avec Tony Segales, l’un des scientifiques chargés de la construction et de la conception de drones pour mesurer l’atmosphère et améliorer les prévisions au National Weather Center de Norman, Oklahoma.

Fiabilité des données : des défis mais un fort potentiel

Reste la question de la fiabilité. Même si les drones de livraison captent des variables essentielles (vent, température, pression…), on ne peut les intégrer aux systèmes de prévision qu’à condition de valider et d’étalonner correctement les capteurs. Mais avec des protocoles rigoureux de comparaison et de calibration, ces « données opportunistes » pourraient répondre aux exigences de la météo opérationnelle et devenir un pilier inédit de la surveillance atmosphérique.

Leur utilisation serait d’autant plus précieuse dans les zones rurales, en première ligne face au changement climatique. Là où les stations au sol manquent ou vieillissent, les survols réguliers des drones pourraient fournir des relevés indispensables pour anticiper épisodes secs, orages violents ou autres phénomènes météo extrêmes.


À lire aussi : VIH : et si les drones servaient aussi à sauver des vies ?


L’essor d’initiatives locales

Parallèlement, des initiatives émergent pour démocratiser l’accès à la technologie drone. Au Malawi, par exemple, des projets universitaires (dont EcoSoar et African Drone and Data Academy) montrent que l’on peut construire à bas coût des drones de livraison efficaces à partir de matériaux simples (mousse, pièces imprimées en 3D). Cette démarche ouvre la voie à une potentielle collecte de données météo supplémentaires, accessible à des communautés qui souhaitent mieux comprendre et anticiper les aléas climatiques.

Coopération internationale et perspectives

À une échelle plus large, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) mène la campagne Uncrewed Aircraft Systems Demonstration Campaign (UAS-DC), réunissant des opérateurs publics et privés autour d’un même objectif : intégrer les drones dans le réseau mondial d’observation météorologique et hydrologique. Les discussions portent sur la définition des mesures fondamentales (température, pression, vitesse du vent, etc.), et l’harmonisation des formats de données et sur leur diffusion pour que ces mesures soient immédiatement utiles aux systèmes de prévision.

Cependant, ces perspectives ne deviendront réalité qu’au prix d’une coopération poussée. Entre acteurs publics, opérateurs de drones et gouvernements, il faudra coordonner la gestion, la standardisation et, surtout, le partage des informations. Assurer un libre accès – au moins pour des organismes à but non lucratif et des communautés rurales – pourrait transformer ces données en un levier majeur pour la prévision et la résilience climatiques.

Qu’ils soient opérés par de grandes sociétés ou construits localement à moindre coût et s’ils continuent d’essaimer leurs services et de collecter des relevés, les drones de livraison africains pourraient bien inaugurer une nouvelle ère de la météorologie sur le continent : plus riche, plus précise et, espérons-le, plus solidaire – grâce à des modèles économiques soutenables, à l’utilisation déjà effective de données météo embarquées et à la créativité citoyenne qui émerge un peu partout.The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.