Georges Mathieu, de Bouvines aux graffitis

La Monnaie de Paris consacre une exposition magistrale à Georges Mathieu (1921 -2012), le fondateur de l’abstraction lyrique, jusqu’au 7 septembre. Monsieur Nostalgie revient sur cet artiste phénomène aussi flamboyant que sensible qui a insufflé un mouvement de libération en peinture mais aussi à la télé ou dans notre porte-monnaie… L’article Georges Mathieu, de Bouvines aux graffitis est apparu en premier sur Causeur.

Avr 20, 2025 - 14:34
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Georges Mathieu, de Bouvines aux graffitis

La Monnaie de Paris consacre une exposition magistrale à Georges Mathieu (1921-2012), le fondateur de l’abstraction lyrique, jusqu’au 7 septembre. Monsieur Nostalgie revient sur cet artiste phénomène aussi flamboyant que sensible qui a insufflé un mouvement de libération en peinture mais aussi à la télé ou dans notre porte-monnaie…


Il semble venir des temps immémoriaux et pourtant son esthétique signe l’apogée des années 1960-1970. Mathieu était un artiste global, aimant la controverse, conspuant la critique officielle et les pouvoirs bricoleurs, tout en s’inscrivant dans une tradition « grand siècle ».

Un sacré personnage

L’artiste est trop rapide, trop charpenté intellectuellement et aussi trop possédé par sa peinture pour trouver refuge dans les couloirs étriqués de la pensée actuelle. Il y avait du Godefroi de Bouillon en lui, un être inclassable, batailleur et sincère, il faut le voir conduire son cabriolet Mercedes de 1934 dans les rues d’un village et se lancer, avec fougue, tubes en mains, sur l’immensité d’une toile. Il fait le « show » en province, dans son appartement décorum ou au Japon devant un public médusé par une création vivante en mouvement et en foisonnement. Ce natif de Boulogne-sur-Mer fut mondialement connu, exposé dès les années 1950 aux États-Unis, puis oublié dans son propre pays, sous-coté sur le marché de l’art, et aujourd’hui la Monnaie de Paris lui dédie la plus belle des expositions du printemps. Sa légende est sur le point de renaître, les graffeurs le reconnaissent comme leur père spirituel. D’abord, on est amusé par le personnage, croisement d’un héros du Moyen-Age et d’une silhouette filiforme à la Don Quichotte. Des moustaches en guidon de vélocipède et ce visage longiligne, comme s’il avait un heaume posé au-dessus de la tête, une force vitale débordante l’agite, un don pour la provocation l’anime assurément ; cette mise en scène permanente n’empêche pas les convictions et une vision de l’art.

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L’Histoire en graffitis

Sur de nombreux sujets Mathieu a été visionnaire, il fut ringardisé au tournant des années 1980, sa parole déconstruite par les nouveaux maîtres de l’art et, peu à peu, évincé des cercles d’admiration. Quand il parlait de la « barbarie nouvelle », de l’augmentation de la criminalité, des ravages de la pornographie ou qu’il se moquait des « petits tableaux pour les vendre à des petits bourgeois », Mathieu dessinait notre horizon avec prescience et acuité. Il avait de l’affection pour Georges Pompidou, le seul président à ses yeux qui avait renoué le dialogue entre l’art et l’État. Mathieu intervenait alors dans le débat public, il voyait grand quand le monde rapetissait, ses toiles poussaient les murs, débordaient d’une fureur et d’une revanche contre dieu ; il croyait à la peinture à l’huile et s’insurgeait contre la prolifération des installations de cailloux. Il a été l’inventeur de l’abstraction lyrique qu’il définissait comme l’apparition de formes qui ne seraient pas tirées du réel. Le signe précède alors la signification. On le regarde « performer » dans le documentaire réalisé par Frédéric Rossif en 1971, il peint en instantané, agité et précis, libérant les jets et les élans dans une arabesque complètement addictive pour le téléspectateur sur une musique de Vangelis Papathanassiou. Avec d’autres, on crierait aux trucages, à la falsification mémorielle, avec Mathieu, son geste nous entraîne paradoxalement dans les entrailles de la France.

La bataille de Bouvines par Georges Mathieu © Adagp, Paris

Quand il s’attaque à l’Histoire, on est conquis par sa frise personnelle. L’exposition, vraiment superbe, nous offre un voyage dans le temps, d’abord à l’époque médiévale avec « Hommage à Louis XI » (1950) ou « Un Silence de Guibert de Nogent » (1951), elle se prolonge avec « les fastes du XVIIème siècle » et son « Hommage au maréchal de Turenne » (1952) jusqu’à des œuvres plus zen telles que « Karaté » (1971). Voir « La Bataille de Bouvines » (1954) ou « Les Capétiens partout ! » (1954) provoque toujours une onde féroce. Mais, pour tous les Français, l’art de Mathieu s’est immiscé dans notre quotidien, le plus ménager, le plus publicitaire et consommateur. Nous avons tous eu un Mathieu dans notre poche, l’artiste a remporté le concours organisé en janvier 1974 par le ministre de l’Économie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing pour la conception de la nouvelle pièce de 10 francs. Dans notre porte-monnaie, cet écu stylisé, d’inspiration industrielle, couleur « louis d’or » était notre pièce favorite. Entre 1974 et 1981, on pouvait s’en acheter des choses avec seulement 10 francs ! Mathieu a inondé notre univers visuel durant deux décennies : des affiches pour Air France datant de 1967, des porcelaines (collaboration avec la manufacture de Sèvres), des timbres, une épée d’académicien, des médailles et même une usine. En outre, Mathieu est l’inventeur du sigle d’Antenne 2 en 1974 et il a conçu le trophée des 7 d’or en 1985. En 2025, il est enfin temps de redécouvrir l’œuvre de Mathieu.

La pièce de 10 francs © Adagp, Paris
Affiche Air France © Collection Musée Air France / Adagp, Paris

Exposition Georges Mathieu – Geste, vitesse, mouvement jusqu’au 7 septembre 2025. 11 quai de Conti. 12€ l’entrée

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