Librairies françaises : moins de 1% de rentabilité malgré un rôle culturel essentiel
Avec le Festival du livre du Paris, qui se tiendra au Grand Palais, du 11 au 13 avril 2025, les projecteurs sont braqués sur l’état de santé du secteur du livre. C’est l’occasion de faire le point sur les librairies.

Désormais rebaptisé Festival du livre de Paris, le Salon du livre va se tenir du 11 au 13 avril dans la capitale. L’occasion de prendre le pouls du secteur de la librairie. L’effet Covid semble passé et les libraires doivent faire face à un redoutable effet ciseau. Dans ce commerce pas comme les autres, cela menace leur viabilité financière, mais aussi, pour de nombreux indépendants du secteur, leur raison d’être.
Avec le Festival du livre du Paris, qui ouvre les portes du Grand Palais, du 11 au 13 avril 2025, les projecteurs sont évidemment braqués sur l’état de santé du secteur du livre. C’est l’occasion de faire le point sur les librairies. En déclin, pas rentables, résilientes, résistantes, fragiles, essentielles, tous les qualitatifs ont été utilisés ces dernières années pour qualifier les librairies. Mais où en sont-elles vraiment ?
En juin dernier, lors des Rencontres nationales de la librairie à Strasbourg, Xerfi a comme chaque année publié les principaux résultats de son étude sur la santé économique et financière des librairies. La tonalité de ces résultats a particulièrement détonné.
Le commerce le moins rentable de France
Alors que la période qui a suivi la pandémie (2021 et 2022) avait pu laisser croire que le rebond n’était pas que conjoncturel et que l’embellie alors observée s’installerait durablement, les prévisions du cabinet xerfi ont douché l’ambiance de la salle remplie de librairies lors de la présentation en juin 2024.
Avec une rentabilité moyenne de 1 %, la librairie continue en effet à être le commerce le moins rentable de France, loin derrière l’optique, la maroquinerie ou la parfumerie. Les principaux ratios de gestion sont tous à la peine : le chiffre d’affaires ralentit, les achats et charges externes (transport, banques, loyers notamment) et la masse salariale ont augmenté, le résultat brut d’exploitation atteint son plus bas niveau depuis 2018. Les auteurs de l’étude prévoyaient alors l’installation dans le temps d’un effet ciseau (diminution d’activité et augmentation des charges) conduisant à la fragilisation du tissu de librairies, synonyme de rentabilité négative et de fermetures.
Ces perspectives ont été abondamment reprises par les médias, soulignant les tensions sur la trésorerie, la grise mine des librairies et leur économie sur le fil du rasoir.
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Un tissu fragile
Qu’en est-il finalement des librairies au printemps 2025, presque un an après ces prévisions alarmantes ? À Riga (Lettonie), où les libraires de tous les pays se réunissaient en mars dernier pour leur conférence annuelle, les libraires français venus en délégation évoquent le climat d’inquiétude qui ouvre chaque réunion depuis le début d’année.
Cette perception se confirme dans les chiffres, quelle que soit leur source.
L’observatoire de la librairie montre une année 2024 en légère régression (environ -1 %) et un début d’année 2025 franchement au ralenti (environ -3 %). La mise à jour de l’étude Xerfi en février 2025 indique que les grandes librairies et les chaînes résistent mieux que les librairies de moindre envergure. Quand les premières ont vu leur activité diminuer de 1 % en 2024 (-2 % prévus pour 2025), les secondes ont déjà subi une baisse de 2 % en 2024 (-4 % prévus en 2025).
Toutes subissent la fragilisation de l’activité, mais les moins grandes sont davantage exposées. Les prévisions économiques sont elles aussi pessimistes : avec une activité qui stagne voire régresse et des charges qui augmentent, l’effet ciseau annoncé est manifeste. Fatalement, les résultats d’exploitation se réduisent encore, bien qu’ils soient déjà structurellement faibles.
Alors que les librairies ont vu leurs parts de marché dans la vente de livres se relever depuis une dizaine d’années selon les chiffres du ministère de la culture (passant de 21,5 % en 2013 à 23,7 % en 2023), elles sont plus que jamais en péril. Contrairement aux prévisions du début des années 2000, les librairies ont réussi à s’adapter aux nouvelles conditions de l’activité en développant notamment une activité hybride et omnicanale. Mais elles font face, maintenant, à une pression économique très forte qui met en question leur modèle. Leur place à part dans l’économie française résistera-t-elle encore ?
Une année 2025 compliquée
Le contexte de l’année 2025 semble plus que compliqué. Amazon a attaqué le décret d’application de la loi Darcos au Conseil d’État et cherche encore et toujours à lutter contre la régulation publique du secteur. Le changement des règles du jeu du dispositif du Pass culture, depuis le 1ᵉʳ mars, a suscité beaucoup d’inquiétudes de la part des libraires devant les probables pertes d’activité engendrées par les nouvelles modalités.
Le rythme des créations et reprises de librairies de ces dernières années, particulièrement dynamique, signe d’un secteur encore attractif, semble lui aussi ralentir.
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Outre ces faits marquants, une autre tendance perturbe le marché du livre et l’activité des librairies : le ralentissement très net des ventes de bande dessinées (BD). Alors que les librairies et l’ensemble des acteurs avaient profité jusque-là de l’explosion des ventes de BD (comics, mangas et BD) particulièrement fortes depuis la pandémie, ce secteur semble être davantage à la peine : l’activité a diminué de 9 % en 2024. Ce ralentissement n’est pas contrebalancé par le rebond des ventes de poésie signalé depuis quelque temps déjà.
Il est difficile à ce stade de vraiment savoir si ce ralentissement relève d’une « turbulence passagère de plus » ou d’un « problème structurel qui va s’enkyster ». Les libraires ont appelé, lors des Rencontres nationales de Strasbourg, à une prise de conscience de tous les acteurs du livre, et notamment des éditeurs, pour revaloriser les conditions commerciales. Un an après, où en sont les avancées ?
La promotion de la diversité culturelle
Les stocks des librairies atteignent un niveau bas, autour de 14,4 % pour 2025 : c’est le niveau le plus bas depuis 2016 (en dehors des deux années 2021 et 2022 liées à la pandémie). C’est certainement l’effet de l’optimisation de la gestion des librairies pour s’adapter aux contraintes économiques. Or, le stock d’une librairie – qu’on appelle aussi le fonds d’une librairie – participe aussi de son identité, son ADN culturel et reflète son rôle culturel.
Pourtant, malgré ces enjeux économiques et financiers prégnants, la librairie continue à jouer un rôle actif d’intermédiaire culturel. Une étude que nous avons menée avec Nicolas Guilhot à partir des données de l’Observatoire du syndicat de la librairie française montre ainsi que les libraires font face à un flux de nouveautés dont les chiffres sont étourdissants. Ainsi, le nombre de nouveautés vendues en librairie a augmenté de 4 % depuis 2017, malgré un léger fléchissement depuis la pandémie. Plus de 67 000 nouvelles références ont été vendues en 2023.
L’ampleur de la production est telle que, en 2023, les librairies ont vendu plus de 46 000 romans différents et 28 000 BD différentes. Pour un libraire travaillant dix années, le nombre de nouveaux romans à lire et connaître est de 53 000, c’est une quantité assez extraordinaire de nouveaux textes auxquels les libraires sont confrontés. Il faut rajouter à cela bien sûr 30 000 BD et 30 000 albums jeunesse, car la vie des libraires ne se limite bien souvent pas à la littérature.
Un rôle culturel et de curation
Et pourtant, face à ce flux énormissime de nouveautés, qualifié par la journaliste Claire Lecœuvre de « gâchis et de danger écologique », les libraires jouent encore un véritable rôle culturel et de curation. Les ventes ne se concentrent pas uniquement sur les nouveautés dites fraîches (de moins de 3 mois) : les ventes de catalogue (supérieures à 2 ans) restent pour la BD et la jeunesse très fortes (entre 44 % et 46 % du total des ventes de ces segments) et moindres mais malgré tout encore dominantes pour la littérature (34 %).
Le poids du catalogue (c’est-à-dire les titres anciens mais toujours intéressants) marque ainsi le travail des libraires pour ne pas subir la « best-sellerisation » et le primat des ventes issues des prix littéraires ou de la pression des médias. Ainsi, malgré des enjeux économiques compliqués et un cycle de production qui favorise les grandes ventes médiatisées, les libraires arrivent à faire vivre des titres à plus faible rotation, portés par des auteurs moins connus et des éditeurs bien souvent indépendants. Ils continuent encore à jouer un rôle en faveur de la diversité culturelle, mais pour combien de temps ?
David Piovesan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.