Économie de guerre: mode d’emploi

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Mai 6, 2025 - 16:43
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Économie de guerre: mode d’emploi

ReArm Europe. Et si la France parvenait à tirer son épingle du jeu en Europe de la reconfiguration des cartes géostratégiques?


Ça y est ! Les Européens ont décidé de prendre en main leur sécurité. Face à la Russie qui mène la guerre sur le continent et les États-Unis qui recentrent leurs priorités sur la Chine, la Commission de Bruxelles lance son plan « ReArm Europe » : Huit cents milliards d’euros doivent être mobilisés d’ici 2030 pour renforcer les capacités militaires des 27 Etats-membres. La France, avec son industrie de défense encore performante, pourrait s’imposer comme chef de file de cette stratégie. À condition d’en avoir les moyens.

Petit rappel : en août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. En septembre, un premier plan de mobilisation industrielle est défini par le ministère Viviani et dès le printemps 1915, le pays produit 100 000 obus par jour. On peut alors parler d’une « économie de guerre ». Tout l’appareil économique national est mobilisé pour satisfaire les besoins militaires.

La situation est aujourd’hui bien différente. En 2024, la France atteignait une production de 100 000 obus… par an, et tandis que l’ensemble des pays européens prévoient de produire 2 millions d’obus cette année, la Russie, elle, pourtant trois fois moins peuplée, en produisait déjà deux fois davantage l’an dernier, à un coût unitaire en moyenne quatre fois inférieur. Derrière la formule, une réalité économique s’impose : une « économie de guerre » suppose de flécher les capacités industrielles vers les besoins militaires. Or, comment réorienter un outil productif qui n’existe plus à l’échelle nécessaire ?

Courir avant de savoir marcher

Produire des blindés, des missiles ou des munitions exige de l’acier, du titane, des terres rares. Autant de ressources dont la France ne maîtrise pas l’approvisionnement. Le tungstène, par exemple, essentiel aux obus perforants et aux alliages de l’aéronautique, est chinois. Même l’acier européen, concurrencé par les productions asiatiques, est menacé de disparition, faute de soutien politique. Et lorsque les matières premières sont disponibles, encore faut-il que l’énergie soit accessible à un prix compétitif. À cet égard, EDF, bien que nationalisée, ne joue pas pleinement son rôle de soutien à l’industrie, comme l’a récemment dénoncé l’ancien ministre de l’Industrie, Roland Lescure. De plus, l’armement moderne repose sur des semi-conducteurs avancés, or la France ne maîtrise plus leur production et dépend des États-Unis et de l’Asie.

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En parallèle, la capacité industrielle reste insuffisante. Pour produire plus d’obus, il ne suffit pas d’augmenter les cadences, il faut ouvrir d’autres usines, former, recruter. Aujourd’hui, le principal goulot d’étranglement réside dans le manque de sites de production spécialisés. De même, sans main-d’œuvre qualifiée, impossible d’accélérer la production. Or, la France manque d’ouvriers spécialisés et d’ingénieurs et les former demande plusieurs années.

La réalité d’une « économie de guerre » en 2025

Trois modèles se dégagent pour poursuivre l’analyse :

Depuis 2022, la Russie n’a pas changé la structure de son économie, elle a simplement priorisé la production militaire. Des usines de wagons assemblent désormais des chars, tandis que d’autres ont été agrandies pour accroître la production. Les chaînes tournent en 24/7, avec un renforcement massif des effectifs. Contrairement aux idées reçues, la Russie n’a pas sacrifié son économie, elle a simplement réorienté ses capacités industrielles civiles.

La Chine, elle, n’est pas en guerre, mais son économie est déjà structurée pour pouvoir basculer en quelques semaines. Les grandes entreprises manufacturières du pays conservent des capacités de production duales pour passer du civil au militaire à tout moment. Les fabricants de semi-conducteurs sont contraints de produire une part de leur stock pour l’armée, garantissant un accès immédiat aux composants critiques. Le gouvernement a également mis en place une loi de mobilisation nationale qui oblige toutes les entreprises manufacturières à être prêtes à répondre aux besoins militaires en cas de crise. Contrairement à la France qui commence à réfléchir une fois la guerre commencée, la Chine a déjà intégré cette logique dans son organisation économique.

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Les États-Unis préparent, eux aussi, leur industrie à un éventuel conflit prolongé. Ils relocalisent la production d’acier et de semi-conducteurs, tandis que la Bipartisan Infrastructure Law de 2021 modernise les grands axes routiers stratégiques reliant les bases militaires et que l’administration prévoit des coupes dans le budget de la Défense, en réduisant les pensions et les retraites, pour libérer des fonds qui servent à subventionner la réindustrialisation nationale.

Devenir le capitaine du complexe militaro-industriel de l’Europe

La France est la seule nation européenne à avoir préservé un semblant d’indépendance stratégique en matière de défense. Il est temps d’en récolter les fruits, mais cela va demander des efforts.

Il faut une vraie volonté politique. Mettre par exemple la pression sur la Bourse de Paris, qui voudrait exclure de son indice « CAC 40 ESG » les sociétés Airbus, Thales et Safran sous prétexte qu’elles ne seraient pas « socialement responsables ». Il n’y aura pas de puissance militaire sans industrie, et pas d’industrie sans financements massifs. Or, les entreprises du secteur ont besoin de visibilité pour ces investissements de long terme.

Le réarmement ne peut être une variable d’ajustement budgétaire. Avec un système de retraite qui creuse chaque année la dette, la question du financement public est aussi centrale. Qui va payer ? Emmanuel Macron lui-même a déclaré que notre génération ne toucherait plus les dividendes de la paix. Mais qui en a profité depuis des décennies, au point de laisser notre industrie disparaître ? Les générations qui ont sabré dans les intérêts vitaux du pays pour financer leur confort pourrait, a minima, faire pénitence en mettant la main à la poche.

Enfin, la France doit s’imposer comme le centre de gravité du réarmement européen. Une première bataille vient d’être remportée avec l’adoption d’une préférence européenne pour les fonds européens. Ce n’est qu’un point de départ. Désormais, il faut être proactif pour capter un maximum de fonds, sécuriser des contrats et multiplier les partenariats. L’UE ne doit pas être une contrainte, mais un levier pour renforcer notre souveraineté industrielle et imposer la France comme l’arsenal de l’Europe. Cela implique une présence active à Bruxelles, un lobbying offensif et une capacité à fédérer des alliances industrielles avec nos voisins. Si la France ne prend pas l’initiative, d’autres pays occuperont l’espace. L’heure n’est plus à l’attentisme, mais à la conquête.

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