Droits de douane américains dans le cinéma: une décision insensée?

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Mai 9, 2025 - 16:44
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Droits de douane américains dans le cinéma: une décision insensée?

Et si Hollywood se tirait une balle dans le pied ? Analyse.


Popcorn salé. L’annonce par Donald Trump de futurs droits de douane de 100 % sur les films non produits aux États-Unis a pu apparaître comme insensée et même contre-productive dans la mesure où la production mondiale est largement dominée par Hollywood.

Si le cinéma est créé en France par les frères Lumière et que les premiers studios et grandes compagnies cinématographiques sont européens, dès le début du XXe siècle les États-Unis ont mené avec succès une politique offensive de domination tant économique que culturelle sur cette industrie et sur cet art.

Soft power américain

Dans un pas de deux culturel et économique, l’influence nord américaine a toujours pris en compte le cinéma et l’audiovisuel dans sa politique expansionniste économique globale.

Le président américain Herbert Clark Hoover déclarait ainsi déjà dans les années 30 : « Là où le film américain pénètre, nous vendons davantage d’automobiles américaines ».

Toute l’économie états-unienne a été portée par la diffusion cinématographique et télévisuelle de l’American way of life, et l’industrie audiovisuelle s’est octroyé une position dominante unique.

Si beaucoup de films ont toujours été et sont encore produits en Europe, en Inde, au Nigeria… Ce sont des marchés intérieurs forts mais qui peinent à exporter, car ce sont de loin les films américains qui rapportent le plus avec un quart des revenus mondiaux, et qui seuls s’exportent partout dans le monde avec notamment trois quarts des entrées en salle dans la plupart des pays occidentaux.

La domination est donc très confortable, mais là où Donald Trump a finalement raison, c’est que de plus en plus de tournages de films américains se font en dehors du territoire des États-Unis : plus de la moitié…

Les produits finis de l’industrie hollywoodienne, que cela soit les films ou les séries télévisées, écrasent toujours le marché mondial, mais leur conception en amont est souvent extra-nationale.

C’est finalement comme pour d’autres produits manufacturés, par exemple un IPhone : bien entendu il s’agit d’un produit américain qui va rapporter à la firme Apple, mais sa conception se fait essentiellement dans des ateliers d’Asie.

Cette délocalisation industrielle à échelle du produit culturel qu’est le film ou une série n’est pas anodine. L’accueil de tournages est une économie en soi.

Les Länder allemands ont très tôt théorisé sur le système de  « wirtschaftseffekt », soit des retombées économiques locales, repris par de nombreuses régions européennes et dans le reste du monde.

La réalisation d’un film doit ainsi permettre de revigorer et de doper l’économie locale avec notamment les dépenses pour les emplois techniques et des figurants, les logements, la restauration, les artisans…

Sans oublier un intérêt très important en matière d’image pour le territoire accueillant le tournage et surtout pour son développement touristique.

Imaginaires

Cette préoccupation des retombées économiques locales est en lien avec la politique d’aide publique du cinéma en Europe, particulièrement en France, fer de lance de la fameuse « Exception culturelle ». Si ce terme a été abandonné et remplacé par la « Diversité culturelle », il témoigne toujours du combat français, puis européen et désormais international, de financement public du cinéma au nom de la résistance à un impérialisme hollywoodien.

Au-delà de la considération strictement économique, l’aspect social de cette domination sans partage dans le cinéma et dans les images par les États-Unis est important.

En effet, l’imposition d’un imaginaire unique est dangereuse, car privant toutes les autres nations d’une représentation de soi. C’était l’objectif premier et louable de la « Diversité culturelle », mais qui peut apparaître comme un masque pour défendre des intérêts mercantiles…

Ainsi, dans la logique de Donald Trump, il est évident que l’accueil des tournages en dehors de son pays est un manque à gagner.

Son combat est finalement dans la suite de celle des majors hollywoodiennes contre le financement public du cinéma par les autres pays.

Les États européens ont subventionné leurs industries cinématographiques, souvent – comme en France – par une taxe sur les billets d’entrée (donc principalement sur des films américains !), et accueillent désormais de plus en plus de tournages de films américains en empochant ainsi les retombées économiques…

Vu sous cet angle, et d’un point de vue strictement états-unien, la déclaration de Donald Trump n’est finalement donc pas insensée du tout et correspond totalement à sa politique protectionniste.

De plus, il est improbable qu’à la manière de ce qui se fait dans d’autres secteurs, une riposte se mette en place. Qui peut croire en un boycott des productions américaines alors qu’elles sont les plus appréciées et même pire le seul dénominateur culturel commun des autres Occidentaux ?

Hollywood doit en revanche se méfier des droits de douane dans le cinéma voulus par Donald Trump qui peuvent sembler aller dans les intérêts financiers d’une nation dans sa fièvre protectionniste, mais qui compliqueraient sa tâche économique (les États-Unis ont besoin des facilités de tournage à l’extérieur de son territoire) et pourraient surtout lui faire perdre de vue une de ses plus grandes forces, celle d’avoir toujours su assimiler voire absorber l’influence et les cultures du reste du monde.

En effet, l’apport des créateurs étrangers dans l’industrie cinématographique américaine a toujours permis à Hollywood de se réinventer et de savoir raconter des histoires parlant au monde entier, et non seulement au nombril de l’Amérique.

Hollywood a su ainsi, répondre favorablement aux craintes liées à la « Diversité culturelle » tout en restant la seule industrie du secteur capable de s’exporter.

Un repli sur soi ne peut à long terme que lui faire perdre son influence mondiale unique et surtout (ce qui est certainement le plus important pour Hollywood) ses dollars…

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