De la salle de classe à la rue: le partenariat avec l’université Reichman embrase Sciences Po Strasbourg
Climat pesant, pressions internes, divisions profondes: derrière la controverse autour du partenariat entre Sciences Po Strasbourg et l’Université Reichman, un étudiant témoigne d'une institution prise dans la tourmente. Entre mobilisations, accusations de partialité et tensions croissantes, chaque camp continue d’essayer d'imposer sa vision... L’article De la salle de classe à la rue: le partenariat avec l’université Reichman embrase Sciences Po Strasbourg est apparu en premier sur Causeur.

Climat pesant, pressions internes, divisions profondes: derrière la controverse autour du partenariat entre Sciences Po Strasbourg et l’Université Reichman, un étudiant témoigne d’une institution prise dans la tourmente. Entre mobilisations, accusations de partialité et tensions croissantes, chaque camp continue d’essayer d’imposer sa vision
L’Institut d’études politiques de Strasbourg (Sciences Po Strasbourg) a récemment été le théâtre de vives tensions autour de son partenariat académique avec l’Université Reichman, un établissement privé israélien situé à Herzliya. Cette université jouit d’une réputation internationale dans les domaines des relations internationales, du droit, du commerce et de l’innovation technologique, et accueille chaque année un grand nombre d’étudiants venus du monde entier. Le lien entre les deux institutions remonte à l’année 2015, date à laquelle un accord de coopération a été signé. Ce partenariat prenait la forme d’un programme d’échange, permettant à des étudiants de Sciences Po Strasbourg de poursuivre un semestre ou une année de leur cursus à l’Université Reichman, et offrait en retour à des étudiants israéliens l’opportunité d’étudier à Strasbourg.

En juin 2024, dans un climat international particulièrement tendu à la suite du massacre du 7-octobre et de la guerre qui l’avait suivi, le conseil d’administration de l’Institut d’études politiques de Strasbourg a voté la suspension du partenariat qui le liait à l’Université Reichman. Cette décision ne s’est pas imposée d’elle-même : elle faisait suite à une motion portée par Solidarit’Étudiants, une association étudiante majoritaire au sein du conseil, qui dénonçait le contenu politique implicite d’un tel partenariat. Solidarit’Étudiants est une organisation étudiante active au sein de l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Elle s’est fait connaître notamment par son positionnement engagé sur les enjeux sociaux, internationaux et éthiques. En 2024, elle détenait huit des dix sièges réservés aux étudiants au sein du conseil d’administration de l’établissement, ce qui lui conférait une majorité décisive dans certaines prises de position institutionnelles. L’association se revendique comme « progressiste, solidaire et internationaliste, attachée à la défense des droits humains, à la critique des rapports de domination, et à une approche éthique de la coopération universitaire ».
Mobilisation étudiante et tensions sur le campus
Il est significatif de constater qu’à Sciences Po Strasbourg, la dynamique étudiante autour de la cause palestinienne a trouvé un relais actif dans l’émergence d’un Comité Palestine, dont le rôle s’est affirmé au fil des mois dans les mobilisations liées aux relations entre l’institution strasbourgeoise et l’Université Reichman en Israël. Ce comité a organisé plusieurs manifestations sur le campus et semble avoir joué le rôle de catalyseur. Parmi ces initiatives, on note notamment la tenue d’une soirée de soutien à la cause palestinienne, organisée le 9 avril 2024, qui s’inscrivait dans une logique de sensibilisation mais aussi de contestation des partenariats jugés problématiques. Un étudiant, qui a souhaité rester anonyme, témoigne d’un climat de plus en plus polarisé au sein de l’établissement. Selon lui, « la division à l’intérieur de l’université est palpable. Certains professeurs soutiennent le boycott et exercent une pression sur la direction, tandis que d’autres subissent les blocages et tentent de résister. »
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La suspension du partenariat a suscité de vives réactions. La Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) a exprimé son inquiétude.1 Le 4 décembre, sur le plateau de BFM Alsace, Simon Levan (étudiant et dirigeant de Solidarit’Étudiants) et Vincent Dubois (professeur à Sciences Po Strasbourg et soutien de la suspension du partenariat) expliquaient qu’il ne s’agit pas d’un boycott de Reichman parce qu’université israélienne, mais à cause de son implication spécifique dans la guerre à Gaza, à travers ses liens particulièrement étroits avec les institutions de la défense du pays.2
Coup de théâtre au conseil d’administration
Ces arguments n’ont pas convaincu le conseil d’administration de l’IEP, qui, le 18 décembre 2024, a voté en faveur de la reprise du partenariat avec l’université Reichman. Cette décision a été adoptée à quatorze voix pour, une contre et quatre abstentions, tandis que quatorze membres n’ont pas pris part au vote. À la suite de ce vote, cinq enseignants-chercheurs ont démissionné du conseil d’administration. Vincent Dubois, Michel Fabreguet, Valérie Lozac’h, Jérémy Sinigaglia et Nadine Willmann ont qualifié ce vote de « déni de démocratie » et ont dénoncé les « nombreuses pressions tant internes qu’externes » entourant le scrutin.
À la suite de cette décision, plusieurs collectifs étudiants ont de nouveau exprimé leur opposition au maintien du partenariat avec l’Université Reichman. Cette mobilisation a entraîné des actions concrètes à l’intérieur même de l’établissement. En janvier 2025, des étudiants ont bloqué l’accès à l’IEP pour protester contre la reprise du partenariat. Le 30 janvier, les forces de l’ordre sont intervenues pour évacuer les manifestants, permettant la reprise des activités normales de l’établissement. En mars 2025, un accord a enfin été trouvé pour créer un comité d’examen chargé d’évaluer le partenariat avec l’université Reichman. À la suite de cet accord, les étudiants ont finalement levé le blocage de l’établissement.
Mais, pour certains observateurs, ce comité ne reflèterait pas la diversité des points de vue au sein de l’établissement. L’étudiant anonyme mentionné plus tôt évoque une ambiance pesante où « la difficulté à débattre sereinement » est devenue manifeste : « Beaucoup d’étudiants, bien qu’intéressés par le sujet, évitent les discussions par peur d’être mal perçus ou de s’attirer des ennuis. » Selon lui, la radicalisation des positions entrave le dialogue et marginalise les voix nuancées ou prudentes. Pire encore, il pointe également des conditions inéquitables dans la création du comité étudiant chargé d’examiner le partenariat : « Alors que certains avaient plusieurs semaines pour se préparer, d’autres n’ont eu que deux jours, ce qui posait de sérieuses questions en termes de démocratie et d’équité. » Il ajoute que la composition du comité semblait orientée, en majorité favorable aux militants pro-palestiniens. Sauf surprise, le comité déciderait de suspendre le partenariat avec Reichman dans les prochains jours…
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- Sciences Po Strasbourg: les raisons de la suspension du partenariat avec l’université Reichman
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