Covid, chikungunya : à La Réunion, une gestion des crises sanitaires entre héritages coloniaux et volonté de participation citoyenne

Emmanuel Macron se rendra sur l’île de La Réunion dans la semaine du 21 avril. Les crises sanitaires récentes – Covid, chikungunya – ont été gérées de façon verticale depuis Paris. Elles ont suscité méfiance et colère dans la population.

Avr 17, 2025 - 16:14
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Covid, chikungunya : à La Réunion, une gestion des crises sanitaires entre héritages coloniaux et volonté de participation citoyenne

Emmanuel Macron se rendra sur l’île de La Réunion dans la semaine du 21 avril. Les crises sanitaires récentes – Covid, chikungunya – ont signalé l’approche verticale et autoritaire du pouvoir hexagonal. Une étude post-Covid montre pourquoi ces politiques de santé, imposées sans concertation avec les populations locales, ont suscité méfiance et colère. Partager la responsabilité avec les communautés s’avère indispensable pour une gestion de crise efficace.


Les débats contemporains mettent en évidence l’héritage colonial persistant dans les politiques coercitives de santé publique. Dans les territoires ultramarins, la gestion centralisée des crises sanitaires a souvent montré ses limites. La situation sanitaire à Mayotte après le passage du cyclone Chido en est une nouvelle illustration, entre frustrations et colères des populations concernées.

Le cas de la crise du chikungunya à La Réunion en 2006

Sur l’île de La Réunion, la réponse de la santé publique contre le chikungunya, virus transmis par un moustique, a été marquée par une intervention tardive, un manque de moyens adaptés et une coordination jugée insuffisante. Ces carences ont été particulièrement mal vécues sur place, donnant le sentiment que La Réunion était un « sous territoire ».

Face à la pandémie de Covid-19 en 2020, la France a-t-elle appris de ses erreurs ? Manifestement, non. Certaines analyses montrent que l’approche relevait davantage de l’infantilisation des populations – à coups de communications fondées sur la menace et sur la peur, s’accompagnant de moyens répressifs – plutôt que sur une démarche de renforcement de leur pouvoir d’agir (empowerment).

Cette politique autoritaire est en contradiction, notamment, avec le mouvement de promotion de la santé réaffirmé lors de l’adoption de la Charte d’Ottawa, en 1986. Celle-ci insiste sur la nécessité de permettre aux individus et aux communautés d’exercer un contrôle effectif sur les déterminants de leur santé, afin de pouvoir l’améliorer de manière autonome et durable.


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Si la centralisation des décisions présente l’avantage de favoriser une coordination rapide et cohérente des mesures de riposte, elle comporte le risque de passer à côté des spécificités et des besoins propres à chaque territoire. C’est pourquoi ces directives suscitent souvent des réticences. À La Réunion, des contestations publiques ont démontré la méfiance vis-à-vis de la vaccination contre le Covid ou des restrictions de déplacement.

Enquête sur les Réunionnais au moment de la crise du Covid

À partir de 53 entretiens qualitatifs réalisés entre février et mai 2021, nous avons observé une grande variabilité dans les perceptions à l’égard du virus et des mesures sanitaires prises par les autorités.

Pour une partie des personnes interrogées, le Covid-19 était une menace réelle et dangereuse, justifiant des règles strictes, tandis que d’autres minimisaient son impact, voire remettaient en cause son existence, une posture repérée dans 42 % des discours analysés.

Indépendamment de ces divergences d’opinions, notre étude montre que l’usage d’une communication anxiogène a contribué à renforcer certaines croyances conspirationnistes, présentes dans 42,2 % des discours, en particulier celles mettant en doute l’existence même de la maladie ou la véracité du nombre de cas déclarés. L’adhésion aux consignes émises par les autorités de santé en fut amoindrie, réduisant l’efficacité des préconisations sanitaires.

Un État autoritaire et défaillant

Par ailleurs, 28 % des discours analysés reflètent une perception des mesures comme imposées « d’en haut ». Comme le dit un participant : « Je pense que le préfet est obligé de suivre le gouvernement. »

En outre, face à des prescriptions telles que la fermeture tardive de l’aéroport ou l’instauration de couvre-feux partiels, les éléments de discours suggèrent un scepticisme marqué, en particulier dans un territoire ultramarin où les frustrations historiques liées aux inégalités sociales restent vives. L’exemple de la crise du chikungunya en 2005-2006 en est une illustration frappante : la mobilisation effective de l’État ne s’est intensifiée qu’au début de l’année 2006, soit près d’un an plus tard, laissant une trace indélébile dans la mémoire collective réunionnaise.

L’étude révèle que la vie sociale, familiale et communautaire occupe une place centrale dans le quotidien des Réunionnais, et que certaines mesures – telles que les couvre-feux ou l’interdiction des pique-niques du dimanche – ont été vécues comme des atteintes directes à leur mode de vie traditionnel.

Dans ce contexte, une co-construction des décisions avec les acteurs locaux aurait permis de mieux concilier les impératifs de santé publique et les formes de sociabilité propres au territoire. Même lorsque des structures régionales comme l’Agence régionale de santé (ARS) sont présentes, leur dépendance aux cadres nationaux crée une rupture face à des stratégies jugées pénibles et inadaptées.

Le rôle crucial de la science et des populations locales

L’étude menée à La Réunion est un exemple probant bien que des activités de courtage en connaissances – c’est-à-dire la transmission utile des savoirs scientifiques vers les décideurs et acteurs de terrain – s’avèrent indispensables. En mettant en lumière la pluralité des représentations du Covid-19 – de la remise en question de son existence à la dénonciation des gestions politiques –, cette étude montre que les réactions face aux mesures sanitaires sont étroitement liées aux expériences passées, aux pratiques sociales et aux imaginaires collectifs.

Dans ce cadre, la science a un rôle essentiel à jouer, non seulement pour comprendre ces perceptions, mais également pour s’appuyer sur des approches qualitatives, participatives et inclusives. La recherche permet ainsi aux populations de devenir non de simples destinataires des décisions, mais des acteurs de la santé communautaire.

Une communication transparente, insistant sur le choix de mots précis, non alarmistes, favorise la compréhension du public. C’est tout l’inverse d’expressions comme « confinement obligatoire » ou « danger imminent », utilisées à l’excès par les autorités.

Des formulations telles que « protection collective » ou « mesure de précaution solidaire » véhiculent, au contraire, une dimension plus positive et engageante de responsabilité partagée.

Ebola en Afrique de l’Ouest : une gestion impliquant les acteurs locaux

Impliquer les acteurs locaux fonctionne. Ainsi, lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, face à l’hostilité initiale des populations, les autorités ont revu leur approche en s’appuyant sur les leaders religieux, les chefs de village et les relais communautaires pour construire des messages de prévention culturellement adaptés. Des relais communautaires ont été utilisés pour faire passer les messages dans les langues locales. Les protocoles funéraires étaient pensés pour respecter les règles sanitaires, mais aussi les rites religieux des locaux.

Comme vient de le confirmer Santé publique France, la pandémie de Covid-19 a été une nouvelle occasion manquée de lutte contre les inégalités sociales de santé.

Au-delà de la seule efficience des mesures sanitaires, c’est la capacité à reconnaître les savoirs, les expériences et les voix des territoires qui constitue un levier primordial pour construire une relation de confiance durable. En ce sens, les crises sanitaires deviennent des occasions non seulement de protéger, mais aussi d’émanciper les populations face aux incertitudes à venir.The Conversation

Amandine Payet-Junot est membre de l'association de psychologie positive de l'océan indien.

Pascale Chabanet a reçu des financements de l'Europe, Etat Français, Région Réunion

Valery Ridde a reçu des financements de l'ANR, de la FRM, de l'INSERM, Enabel, OMS, Banque Mondiale