Conservatoire: on ne joue plus!

Qu'enseigne aujourd'hui le Conservatoire national d'art dramatique ? Pas grand-chose, semble-t-il. Les élèves en ressortent vierges de toute culture théâtrale et de toute technique de jeu. Pour mesurer la catastrophe, il faut se rappeler les grands artistes qu'il a su former dans le passé et observer les diplômés d'aujourd'hui... L’article Conservatoire: on ne joue plus! est apparu en premier sur Causeur.

Avr 3, 2025 - 17:54
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Conservatoire: on ne joue plus!

Qu’enseigne aujourd’hui le Conservatoire national d’art dramatique? Pas grand-chose, semble-t-il. Les élèves en ressortent vierges de toute culture théâtrale et de toute technique de jeu. Pour mesurer la catastrophe, il faut se rappeler les grands artistes qu’il a su former dans le passé et observer les diplômés d’aujourd’hui.


J’ai déjà craché dans les pages de Causeur sur la Comédie-Française, adorée de tous, progressistes déconstructeurs et réactionnaires incultes ou ayant simplement perdu la mémoire de la beauté. Je veux aujourd’hui – et bien seul toujours ! – m’attaquer à une autre institution : le Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Dans son état actuel, à quoi sert-il encore ?

Une institution (autrefois) prestigieuse

Autrefois, les professeurs du Conservatoire étaient en majeure partie d’éminents maîtres de l’art dramatique, des acteurs ou metteurs en scène rayonnants. Talma, Sarah Bernhardt, Paul Mounet, Jouvet, Jean Yonnel, Béatrix Dussane, Jean-Louis Barrault, Fernand Ledoux, Louis Seigner, Madeleine Marion, Vitez, Claude Régy, Michel Bouquet, Catherine Hiegel, Daniel Mesguich ou encore Michel Fau (pour ne citer qu’eux !) y ont enseigné. Connaissez-vous les professeurs actuels ? Agnès Adam, Adama Diop, Sharif Andoura, Valérie Blanchon, Valérie Dréville et Nada Strancar. Bien qu’inconnue du grand public, Nada Strancar (élève de Georges Chamarat, puis de Vitez au Conservatoire), est une grande actrice, entendu. Mais ce n’est pas l’actuelle directrice Sandy Ouvrier, ni son horrible prédécesseur Claire Lasne, qui l’ont nommée. Strancar est un héritage. Quant aux autres, en quoi font-ils autorité ?! Pour comprendre ce qu’étaient cette institution et sa mission, il faut écouter quelques-uns des grands maîtres qui y professaient. Roger Ferdinand, directeur de 1955 à 1967, expliquait que le devoir de cette école était de « former des défenseurs éclatants du grand répertoire ». C’est-à-dire des acteurs capables de jouer dans les règles de l’art les différents styles du répertoire dramatique. Pour vous rendre concrète cette parole, on citera Denise Grey. « Je ne suis jamais passée par une école et je le regrette parce que, si ça avait été le cas, lorsque j’ai eu la chance d’être engagée à la Comédie-Française, j’aurais été capable de jouer les rôles pour lesquels la culture classique est absolument nécessaire. » Le Conservatoire enseignait, entre autres, une technique pour aborder les auteurs classiques et le style dans lequel les jouer. La diction, le maintien en scène, le geste, le rythme, l’alexandrin, les ruptures, les apartés, le placement de la voix. Une culture théâtrale ! Des connaissances solides pour s’attaquer aux montagnes tragiques, farcesques ou vaudevillesques de Racine, Corneille, Molière, Feydeau ou encore Labiche. Lise Delamare, ex-sociétaire de la Comédie-Française, nommée professeur au Conservatoire en 1967 où elle a notamment formé Nicole Garcia et Patrick Chesnais, expliquait : « Je ne suis pas là pour donner des directives artistiques, mais pour apprendre, comme un professeur de piano apprend à jouer du piano. » Elle force un peu le trait. Il me semble qu’un professeur doit aussi proposer une vision de son art à ses élèves et les aider à faire éclater leur personnalité. Mais l’enseignement de la technique était autrefois inévitable ! Georges Le Roy, illustre professeur au Conservatoire, lui-même ancien élève de Sarah Bernhardt, expliquait en 1964 : « Il y a beaucoup de comédiens qui ont du talent mais n’ont pas la maîtrise pour jouer le grand répertoire. » S’il voyait aujourd’hui l’état des lieux ! Je ne connais pas un acteur de moins de 40 ans possédant la technique et le savoir nécessaires pour jouer la tragédie en alexandrins. En 1967, Jean Meyer, professeur au Conservatoire lui aussi, disait : « L’une de mes préoccupations essentielles est le respect d’une tradition […] Nul n’a le droit à la liberté sans la tradition. Aujourd’hui, lorsqu’on joue une tragédie, on fait à peu près 4 000 à 5 000 fautes techniques par représentation. Si l’on faisait trois fautes dans une symphonie de Mozart, la salle hurlerait. » Beaucoup d’entre nos lecteurs ont en tête – j’en suis sûr ! – les admirables vaudevilles joués à la Comédie-Française par Charon, Hirsch, Denise Gence ou encore Catherine Samie. Ou encore les alexandrins jaillissant des entrailles de Martine Chevallier ou de Christine Fersen. Tous ces acteurs ont été formés au Conservatoire. J’engage maintenant nos lecteurs à regarder le documentaire de Valérie Donzelli intitulé Rue du Conservatoire. Elle y filme en 2024 les répétitions du spectacle de fin d’année d’une classe d’élèves de troisième et donc dernière année. C’est Hamlet qui est monté (ou plutôt démonté) si j’ai bien compris (et c’est difficile à comprendre !). Il faut voir ce ramassis de jeunes acteurs ineptes s’agiter dans tous les sens anarchiquement, hurler, s’égosiller, bafouiller. Ils en sont au niveau zéro. Qu’ont-ils appris en trois ans ? Quelle maîtrise ont-ils de leur art ? Aucune ! Voilà l’état du théâtre. Qu’ils me pardonnent ma sévérité. Ce n’est évidemment pas de leur faute. Que leur a-t-on enseigné ?

« Rue du conservatoire », documentaire de Valérie Donzelli, 2024 © CNSD

Nouvelle directrice, nouveau tournant radical

Depuis la nomination de Claire Lasne à la tête de l’école en 2013, c’est la déconstruction, la destruction, le néant. L’obsession unique de cette sinistre femme a été l’égalitarisme, l’inclusion, la représentation des minorités. « Tout geste artistique dont est a priori exclue une partie de la population ne m’intéresse pas. Si brillant soit-il, si merveilleux soit-il. […] Moi, j’ai peur dans un endroit où il n’y a que des Blancs. » Voilà le grand projet de Madame Lasne. Jamais je n’ai entendu cette femme parler d’art. Insertion, égalité, solidarité, racisme, inclusion sont les seuls mots qui sortent de sa bouche à jet continu. C’est cette même directrice qui, dès sa nomination, a décidé du non-renouvellement du poste du grand Michel Fau, alors professeur d’interprétation. Cependant, j’exagère un peu en dédouanant totalement les élèves. Accepteraient-ils un enseignement « traditionnel » ? N’oublions pas que ce sont les élèves qui, en 2012, ont eu la peau du directeur Daniel Mesguich. La quasi-totalité avait cosigné une lettre au ministère de la Culture demandant le non-renouvellement du mandat de leur directeur auquel ils reprochaient notamment de les « couper progressivement du monde ». En clair, il était trop tradi, pas assez branché. Mesguich avait magistralement répondu dans une superbe lettre, cruelle, érudite, désespérée, mais pleine de style et de panache que je vous supplie de lire pour bien comprendre ce que je tente brièvement d’exposer ici. « J’ai voulu, écrivait-il notamment, préserver [les élèves] des effets de mode (fluctuants dans nos métiers). Et je n’ai pas sollicité les metteurs en scène qui auraient réussi un spectacle […], mais resteraient cois devant une scène de Shakespeare ou de Racine. » Il ajoutait qu’un professeur doit « être savant, détenteur d’une culture générale solide »1. Rappelons que Mesguich avait nommé Michel Fau professeur et tenté de convaincre Philippe Caubère. Il avait également fait intervenir le grand Alfredo Arias. Des hommes de théâtre solides, des vrais quoi ! Il insistait aussi sur l’importance des cours d’histoire du théâtre. Oui, Mesguich s’inscrivait dans la continuité de l’histoire de cette institution. Trop pour des élèves de notre temps.

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Il n’y a plus rien à conserver

Pourquoi ratiociner dans Causeur sur une institution dont tout le monde se fout ? Parce que, si vous vous fichez du théâtre, je suis certain que vous êtes soucieux de notre langue et de son avenir. Je mentionnerai donc une seule des conséquences de tout ce merdier. Vous qui aimez et défendez la grande langue française, mépriseriez-vous Racine et Corneille au point d’être indifférent au fait de ne plus pouvoir entendre jamais rayonner leur langue sur les scènes des théâtres ? La tragédie en alexandrins n’a pas été écrite pour être lue, mais pour être jouée. Le simple lecteur n’a pas la force d’inventer la voix tragique qui porte le vers au firmament. Non. Si vous désirez accéder à nos grands poètes tragiques, il vous faut inévitablement passer par le truchement de leurs prêtres et de leurs prêtresses. C’était encore possible il y a quelque temps… Il y avait Maria Casarès ou plus récemment encore Christine Fersen, Jany Gastaldi et Martine Chevallier (dégueulassement virée de la Comédie-Française il y a quelques années). Et aujourd’hui ? Plus personne. Oui, je vous le dis, plus personne. Les quelques tragédiens qui restent sont au chômage. Lorsque Philippe Girard, Martine Chevallier et les quelques autres quitteront cette terre, la grande tradition de la tragédie en alexandrins disparaîtra. Pour ressurgir peut-être, qui sait, dans un siècle ou deux. Mais une filiation se sera interrompue.

Les élèves du Conservatoire national de musique sortent de l’école dotés d’une technique à toute épreuve et sachant jouer Bach, Debussy ou Ravel dans le style voulu par les compositeurs. Ceux du Conservatoire national d’art dramatique, eux, en sortent comme ils sont entrés : vierges de toute culture et de toute technique. Du conservatoire de musique et de danse on peut, aujourd’hui encore, sortir avec un premier ou un second prix. Pas du Conservatoire national d’art dramatique depuis que Jacques Rosner – directeur chargé de réformer l’école après 1968 – a supprimé les concours de sortie. Après la suppression du concours de sortie, je propose donc un pas de plus : supprimer le Conservatoire. Il n’y a plus rien à conserver. Rideau !

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  1. Lien article ↩

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