Confinement et école à distance, le ressenti des élèves comme témoin des inégalités
En confinement, si les familles se sont investies pour maintenir le lien entre l’école et leurs enfants, elles se sont heurtées à de multiples contraintes qui ont influencé leur vécu.

Si les enfants témoignent de l’investissement des familles pour maintenir le lien avec l’école durant la « continuité pédagogique » mise en place lors de la période de confinement, elles se sont heurtées à des contraintes matérielles, de logement et d’accompagnement qui ont influencé le vécu de cette période.
Au printemps 2020, alors que le confinement était décrété face à l’explosion de l’épidémie de Covid-19 et que les écoles fermaient leurs portes, la communauté éducative a été invitée à organiser dans l’urgence une continuité pédagogique. Les enseignants ont dû bricoler des scénarios à distance pour maintenir le lien avec leurs élèves sur la période de mars à juin 2020, non sans éprouver de fortes émotions.
Du côté des parents, l’expérience de l’école à la maison a mis en évidence des difficultés documentées par le projet COVED (Covid et vulnérabilités éducatives). Cette recherche s’est notamment intéressée aux expériences des élèves de cycle 3 (CE2-CM1-CM2) durant le premier confinement dans la région des Hauts-de-France, l’un des territoires français les plus touchés par l’échec scolaire.
Comment les enfants ont-ils vécu ces situations de confinement ? Dans quelles conditions ont-ils suivi les activités d’apprentissage à distance ?
Être en famille mais se sentir isolé
Après l’effervescence du début du confinement provoqué par le caractère inédit de la situation, des sentiments communs de lassitude, de tristesse et d’ennui ont progressivement touché les enfants en raison du manque d’interactions avec leurs amis : « Je n’ai pas aimé car je n’ai pas pu voir tous mes copains et je me sentais triste » écrit Rémi en CM1.
Les élèves ont également rappelé l’attachement à leur enseignant, figure centrale dans la transmission des savoirs. S’ils comptent habituellement sur leurs dispositions personnelles ou le soutien parental pour apprendre à la maison, le besoin d’être accompagné par l’enseignant à distance s’est rapidement fait ressentir : « Quand je ne comprenais pas Madame n’était pas là pour m’expliquer », constate Margot, alors en CM2.
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Cette mise à distance a néanmoins pu être compensée par un temps à soi qui s’est étendu et une proximité permanente avec les autres membres de la famille qui a largement été appréciée, comme le raconte Manon, élève en CM1 : « On pouvait faire des grasses matinées et la fête le soir, il n’y avait plus de notion du temps, pas besoin de se presser, en plus on a eu du beau temps, on a passé du temps en famille. »
Les périodes de confinement ont aussi été l’occasion de s’adonner à des activités de loisirs, notamment numériques. C’est le cas de Lucas, scolarisé en CM2 dans un établissement REP qui « jouait tout le temps aux jeux vidéo et dehors ». Si l’enquête n’a pas permis d’évaluer la répartition entre les activités de loisirs et de travail scolaire, les enfants ont décrit des agendas et des organisations du quotidien variables.
À lire aussi : Inégalités scolaires : des risques du confinement sur les plus vulnérables
La plupart des parents se sont ainsi efforcés d’appliquer le modèle travail/récréation/déjeuner afin de préserver un espace spatio-temporel favorable aux rythmes de développement biologique et physiologique de leurs enfants.
Si l’usage des écrans a trouvé une place importante dans les emplois du temps des enfants interrogés, la nature et la diversité des loisirs variaient selon la taille de la fratrie, du logement et les conditions sociales d’existence : alors que Valentin, fils unique, scolarisé en CM2 dans un établissement défavorisé jouait « avec des amis sur Fortnite, Brawl Stars et Rocket League », Maël scolarisé dans un établissement mixte décrivait une journée ordinaire : « Déjeuner, devoirs d’école, devoirs conservatoires, sport, lire, manger, dormir ».
Une obligation d’équipement et de connexion
L’enquête a par ailleurs révélé plusieurs contraintes qui ont pesé sur la continuité pédagogique à distance. Il y a eu des difficultés à se connecter lorsque les équipements numériques étaient partagés entre plusieurs membres de la famille. Les résultats ont permis de réaffirmer le lien entre inégalités numériques et inégalités sociales puisqu’ils font état d’une potentielle dépendance entre le lieu de scolarisation des élèves (en REP ou non) et le type de difficultés rencontrées lors du confinement, notamment technologiques.
Ensuite, le logement a offert des conditions plus ou moins favorables au suivi des activités d’apprentissage à distance. En effet, pour 56,4 % des répondants, le bruit apparaissait comme l’élément ayant le plus perturbé le travail à domicile, la taille de la fratrie faisant augmenter significativement cette contrainte.
Des inégalités d’accompagnement
Les parents se sont efforcés de préserver un cadre temporel s’apparentant à celui fixé habituellement à l’école. Ainsi, pour la plupart des élèves, la matinée était réservée au travail scolaire, souvent entrecoupée de pauses.
Conformément aux travaux existants sur la répartition sexuée des rôles, la mère a été la principale « ressource » pour accompagner les enfants dans leurs devoirs puisqu’ils sont 73,4 % à avoir demandé de l’aide à leur mère lorsqu’ils étaient confrontés à une difficulté. En revanche, la quantité des accompagnants variait selon le secteur de scolarisation des élèves : plus les élèves étaient scolarisés dans des secteurs favorisés, plus ils pouvaient multiplier les soutiens (père, mère, frères et sœurs).
À cela s’ajoutent les inégalités de compétences parentales qui ont particulièrement joué sur l’accompagnement : 23,8 % des élèves scolarisés en REP ont regretté l’absence de soutien contre 9,9 % et 12,8 % dans les autres secteurs.
Les enseignants ont par ailleurs redoublé d’efforts pour garder le contact avec leurs élèves. Si l’usage du mail, du téléphone ou de l’espace numérique de travail a été le principal vecteur de l’accompagnement, les élèves ont aussi utilisé des supports moins conventionnels comme les réseaux sociaux. Symboliquement moins rattachés à la culture de l’écrit, ceux-ci se sont avérés, pour certains enseignants, particulièrement adaptés suivi des élèves les plus défavorisés.
Comprendre les consignes et s’organiser
À distance, les apprenants peuvent rencontrer des difficultés dans la compréhension des consignes : c’était le cas de 45,6 % des élèves interrogés ; 28,6 % trouvaient que le travail était trop difficile et 49,2 % ont évoqué la difficulté à faire face à la quantité de travail.
La charge de travail ressentie s’explique par des inégalités dans la capacité à organiser le travail à domicile qui n’aurait pas été vécue comme telle si les interactions avec l’enseignant avaient été plus fréquentes.
Si les conditions sociales d’existence ont coloré les expériences vécues, les résultats de recherche montrent donc que, sur le plan des apprentissages scolaires, l’accès aux équipements technologiques semble moins discriminant que le poids de l’accompagnement parental cumulé aux conditions environnementales dans lesquelles les enfants ont étudié. Loin d’être démissionnaires, les familles populaires se sont efforcées de poser un cadre même si celui-ci a pu être fragilisé par un rapport plus distant à la culture scolaire.
Mickaël Le Mentec a reçu des financements de DITP - Direction interministérielle de la transformation publique.
Laure Sochala ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.