C’est pas Versailles ici… c’est Vauban

Manifestation ratée ou stratégie en pause ? Certes, les discours de Jordan Bardella et de Marine Le Pen ont su galvaniser l’auditoire. Mais alors que le parti misait sur une vaste mobilisation populaire à Paris pour soutenir sa candidate, récemment condamnée à cinq ans d’inéligibilité en première instance, le Rassemblement national donnait plutôt l’impression de faire salon en plein air, ce dimanche après-midi… Dans le public, certains militants laissent transparaître leur amertume: « Pas assez de monde... » L’article C’est pas Versailles ici… c’est Vauban est apparu en premier sur Causeur.

Avr 7, 2025 - 07:13
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C’est pas Versailles ici… c’est Vauban

Manifestation ratée ou stratégie en pause ? Certes, les discours de Jordan Bardella et de Marine Le Pen ont su galvaniser l’auditoire. Mais alors que le parti misait sur une vaste mobilisation populaire à Paris pour soutenir sa candidate, récemment condamnée à cinq ans d’inéligibilité en première instance, le Rassemblement national donnait plutôt l’impression de faire salon en plein air, ce dimanche après-midi… Dans le public, certains militants laissaient transparaître leur amertume: « Pas assez de monde… »


Les masses se font encore attendre…

Sur scène, place Vauban, Jordan Bardella s’enthousiasme : « Vous êtes plus de 10 000 ! » À l’examen, les sympathisants ayant répondu, dimanche 6 avril, à l’appel du Rassemblement national pour « sauver la démocratie » et soutenir la candidature de Marine Le Pen étaient plutôt au nombre de 7 000. Assez pour offrir à la télévision des vues de foule compacte grâce à des angles serrés, mais pas suffisant pour remplir réellement la place Vauban. Les vues aériennes révèlent une masse tricolore modeste autour du podium.

Après le coup de massue judiciaire de la semaine précédente, le RN tentait hier le pari de la mobilisation. Pari en partie raté. L’ouest parisien n’est pas exactement un bastion de Marine Le Pen. Lors de leurs deux meetings au Trocadéro, François Fillon en 2017 et Éric Zemmour en 2022 avaient pu compter sur la mobilisation des réseaux catholiques et sur le soutien de la bourgeoisie conservatrice des beaux quartiers. Rien de tel pour le RN.

« Pas assez de monde »

« Il n’y a pas assez de monde… Les gens n’ont pas encore compris. Il faut que les Français se reprennent », peste Anne, venue avec son fils Paul et son époux Bruno. Militante du Frexit au sein du mouvement Les Patriotes de Florian Philippot, elle est venue grossir les rangs clairsemés du Rassemblement national : « Je viens pour Marine, car c’est une fille bien. » Autour de la scène, on aperçoit quelques cars affrétés par les fédérations de province du parti, et Marc de Fleurian, député de Calais, conduisant ses militants vers la place Vauban. Mais dans l’ensemble, les renforts restent maigres.

« C’est une manifestation qu’il a fallu organiser en seulement quelques jours, le temps nous a manqué », tente de justifier un assistant parlementaire. Est-ce seulement une question de logistique ? « Je ne suis pas sûr que mobiliser plus de moyens aurait changé grand-chose. Le car de Normandie était à moitié vide… » soupire un cadre. Dans la foule, la ferveur est polie. On applaudit au rythme des interventions. L’ambiance évoque davantage une garden-party qu’un meeting politique. Les militants ont pris un coup sur la tête. Et les sondages révèlent par ailleurs une relative indifférence de la base électorale, tout à fait prête à voter pour Jordan Bardella en cas d’empêchement de Marine Le Pen.

Ouverture à droite

La droite et la rue… toute une histoire. Certains redoutaient des débordements comme aux grandes heures des défilés du 1er mai du Front national de Jean-Marie Le Pen, parfois entachés de violences ou de provocations (venant parfois de groupuscules extrémistes rejoignant le cortège). La contre-manifestation de la gauche, place de la République, ainsi que le meeting de Renaissance à Saint-Denis, se déroulaient sous le signe de la défense de l’État de droit et de l’institution judiciaire, dénonçant les attaques du RN et ses discours hostiles aux magistrats.

Jordan Bardella tente de rassurer : « Il ne s’agira jamais pour nous de jeter le discrédit sur l’ensemble des juges. Jamais notre mouvement ne remettra en cause la séparation des pouvoirs ou l’indépendance de la justice, qui sont les garanties de l’État de droit. »

Sans rien céder sur le fond, les orateurs ont voulu donner quelques signes d’ouverture à droite et de modération. En appelant à une « résistance pacifique, démocratique, populaire et patriote », Marine Le Pen invoque la figure de Martin Luther King, héros des droits civiques aux États-Unis : « Notre ligne de conduite ne sera jamais celle de la brutalisation, mais celle, pacifique, du pasteur Martin Luther King, pour les droits civiques des citoyens américains à l’époque opprimés et privés de droits. » Une référence qu’on aurait difficilement entendue lors d’un défilé du 1er mai à l’époque de Jean-Marie Le Pen ! Fait rare : Marine Le Pen évoque le procès de Nicolas Sarkozy, qu’elle qualifie « d’humiliation », notamment en raison de « la perte des droits familiaux ».

De son côté, Éric Ciotti continue de se réclamer de François Fillon : « J’ai déjà subi, en 2017, le destin confisqué de la démocratie française avec François Fillon. » En les remerciant pour leur soutien, Louis Aliot fait applaudir les noms de « Philippe de Villiers, Éric Zemmour, Marion Maréchal et Nicolas Dupont-Aignan ». Nicolas Sarkozy et Éric Zemmour acclamés par une foule RN ? L’heure est décidément grave.

À la recherche du RN de l’ouest parisien…

C’est aussi le paradoxe de cette manifestation : organisée pour soutenir Marine Le Pen, elle attire finalement peu de « marinistes » pur jus. Ni les sympathisants de la France périphérique, ni ceux de la grande banlieue parisienne — pourtant des bastions électoraux du RN — ne sont venus en nombre soutenir leur candidate.

Depuis qu’elle a pris la tête du FN en 2011, Marine Le Pen a en partie brisé le mouvement populaire que représentaient les fêtes Bleu Blanc Rouge ou les défilés du 1er mai, contribuant à l’anesthésie des fédérations. Alors, quand vient le moment de descendre dans la rue, il ne reste qu’un public plus bourgeois et conservateur, souvent plus enclin à ce type d’événements.

Inhabituel au RN : on aperçoit barbours, blazers et polos Ralph Lauren. Le nom de Marion Maréchal, présente sur place et au profil plus conservateur que sa tante, est numéro un à l’applaudimètre. Ce public, très « canal historique », rappelle l’époque où Jean-Marie Le Pen faisait des scores honorables dans les beaux quartiers et se faisait élire député de Paris aux côtés du maire CNIP du VIIe arrondissement, Édouard Frédéric-Dupont. Frigide Barjot, égérie de la Manif pour Tous, est présente. Éric, professeur de droit, se dit « plus Jean-Marie que Marine » et exprime quelques réserves sur la stratégie de dédiabolisation : « Donner des gages en permanence, c’est maladroit. La preuve : les juges ne nous font pas de cadeaux. » Il ajoute, agacé par la sono : « Rien que cette musique m’exaspère… On se croirait à un meeting de la CGT. Le Pen arrivait avec de la musique classique, ça emportait l’enthousiasme. » Le RN, aujourd’hui, s’est accoutumé aux musiques de discothèque.

Dragana, électrice RN, arbore son drapeau serbe et revendique sa triple nationalité: « serbe, française et serbe de Bosnie ». Elle voit dans les ennuis judiciaires du RN un parallèle avec l’histoire de son pays : « Cette mise au ban judiciaire me rappelle celle de la Serbie lors des bombardements de l’OTAN en 1999. » Des résonances qui évoquent les mobilisations nationalistes et souverainistes des années 1990.

Si tous les orateurs affichent leur volonté de rassurer et de rassembler, la stratégie de dédiabolisation n’a pas empêché le choc judiciaire. Ce revers nourrit, chez certains militants, une tentation de retour au FN « canal historique ». Certains observateurs redoutaient une mobilisation virulente contre les juges et les institutions, ou faisaient le parallèle avec le 6 février 1934… Mais le 6 avril n’aura pas été un jour de rupture. Ni scandale, ni émeute, ni ferveur. Seulement un parti donnant l’image d’un mouvement hésitant quant aux moyens d’action et au degré de radicalité à opposer au « verrouillage judiciaire » qu’il dénonce.

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