Réflexions sur les débuts d’une guerre commerciale
Il est trop tôt pour connaître toutes les conséquences de la guerre commerciale lancée au monde entier par Donald Trump le mercredi 2 avril (« Liberation day ») : droits de douane ad valorem sur les biens importés par les Etats-Unis augmentés de 10% au minimum (Royaume-Uni), 20% pour l’UE, (sauf pour l’aluminium, l’acier et […]

Il est trop tôt pour connaître toutes les conséquences de la guerre commerciale lancée au monde entier par Donald Trump le mercredi 2 avril (« Liberation day ») : droits de douane ad valorem sur les biens importés par les Etats-Unis augmentés de 10% au minimum (Royaume-Uni), 20% pour l’UE, (sauf pour l’aluminium, l’acier et l’automobile, qui sont déjà à 25%), 34 % pour la Chine, plus de 40 % pour Viet-Nam, Cambodge, Laos, etc. Ces taux d’augmentation auraient été calculés « généreusement » comme environ la moitié du taux du déficit commercial des Etats-Unis avec chaque pays (calculé en % des importations). Exemple pour l’UE en 2024 : exports vers les Etats-Unis: 532 Mds d’euros (principalement véhicules routiers, avions, produits pharmaceutiques, machines, produits agricoles, produits de luxe); imports de l’UE:333 Mds d’euros (produits pétroliers, pharmaceutiques, machines, équipement électrique), soit un déficit commercial des US avec l’UE de199 Mds d’euros (37,4% des importations US – et non 39% comme annoncé par Trump) d’où le taux d’augmentation de 20% des droits de douane US pour les produits européens.
Les droits de douane moyens appliqués par les Etats-Unis aux biens du monde entier passeraient ainsi de 2,3 % à environ 25%.
Non concernés : les services (où le déficit 2023 de l’UE avec les US était de 137 Mds d’euros), produits pharmaceutiques, semi-conducteurs, or.
On connaît la réaction de la Chine, annoncée dès le Vendredi 4 avril: augmentation de 34 % des droits de douane chinois sur les biens importés des Etats-Unis. Un risque est ainsi créé pour l’Europe : les Chinois vont chercher à exporter vers l’Europe des produits qu’ils ne pourront plus exporter vers les Etats-Unis.
On connaît aussi les réactions des bourses, toutes négatives, car les restrictions au commerce international sont défavorables à la croissance de l’activité et des bénéfices des entreprises : du 1er au 8 avril, -10 % pour le Nasdaq, le S&P 500 et le CAC 40.
On ne connaît pas :
- Les réactions des clients américains aux hausses de prix dues à la hausse des droits de douane. De combien vont-ils réduire leurs achats de produits importés devenus plus chers ?
- Les réactions des élus américains à la perte de pouvoir d’achat des consommateurs américains.
- Les réactions des producteurs américains à la diminution de leur concurrence étrangère sur le marché américain. Le pari de Trump est qu’ils vont créer de nouvelles usines, diminuer le chômage et accroître les salaires américains. La loi Hawley-Smoot du 17/6/1930, figurant au programme électoral du républicain Hoover, créait une taxe de 59% sur 3.200 produits importés par les US. Elle fut votée malgré une opposition assez vive. Ainsi Henry Ford essaya-t-il de convaincre Hoover que c’était une « stupidité économique ». Elle fut appliquée dès l’été 1930 et les importations américaines baissèrent de 40% dans les deux années suivantes. Une partie importante de cette baisse des importations US n’était pas due à l’augmentation des droits de douane mais à la récession, le PIB des US ayant baissé de 26% de 1929 à 1932. Une grande partie de cette baisse du PIB était due à la crise financière : faillites de banques et baisse du crédit. De 1930 à 1932 le commerce mondial a chuté de plus d’1/3. L’expérience des années 30 incite à poser la question : la guerre commerciale déclenchée par Trump va-t-elle déclencher une crise financière ?
- Le président de la FED (banque centrale US) a déclaré le 4 avril: « Nous ne faisons pas de prévisions sur la probabilité d’une récession, mais de nombreux prévisionnistes extérieurs le font et beaucoup d’entre eux ont augmenté la probabilité ». Christine Lagarde a déclaré : « Toute guerre commerciale fait des perdants. Personne ne gagne ».
- Les réactions des Européens ne seront connues qu’à la fin du mois : augmentations (ciblées ou non) des droits de douane sur les importations venant des US, restrictions aux échanges commerciaux, à l’activité des entreprises US, notamment dans les services, amendes, taxes, subventions, etc ? Georgia Meloni a déclaré qu’une escalade tarifaire serait néfaste à l’Europe. Le commissaire européen au commerce extérieur a annoncé qu’il privilégiait une « solution négociée » avec son homologue américain. Ursula von der Leyen semble vouloir faire de l’Europe un « phare du libre-échange ». Elle insiste pour l’application du Mercosur. Elle a même proposé aux Etats-Unis de supprimer tous les droits de douane sur tous les produits industriels. (Il est douteux qu’elle fasse la même proposition à la Chine!)
- La réaction de la France a été comme d’habitude : interventionniste. Le ministre des Finances a déclaré le 4 avril qu’« il n’y aura pas de coup de rabot supplémentaire à la dépenses publique ».Emmanuel Macron a déclaré le 3 avril qu’une première réaction européenne serait annoncée à mi-avril sur les droits sur l’acier, l’aluminium et l’automobile, et une deuxième fin avril, une réponse « filière par filière », c’est-à-dire sans doute des restrictions sur les services numériques (les GAFAM), ainsi que la décision d’« accélérer nos programmes d’investissements » (c’est-à-dire augmenter le rôle de l’Etat et de l’UE) et d’« assumer l’agenda de décarbonation » (c’est-à-dire plus de dépenses inutiles ou nuisibles). Il a demandé une baisse des investissements des entreprises françaises aux Etats-Unis. Certains évoquent l’interdiction de l’activité des GAFAM en Europe. On peut ainsi prévoir que l’Europe ne sera pas unie pour réagir aux décisions américaines.
- C’est ce qu’espère Donald Trump, qui se réjouit déjà qu’une cinquantaine de pays aient demandé des dérogations aux nouveaux droits de douane américains.
La guerre commerciale lancée par Trump n’est donc qu’à ses débuts. Des négociations vont commencer. Il est probable que Donald Trump mettra un peu d’eau dans son vin. Peut-être même se débarrassera-t-il de son principal conseiller dans ce domaine, Peter Navarro, qui a inventé, pour le convaincre du bien-fondé de ses décisions insensées, un économiste qui n’a jamais existé, Ron Vara (anagramme de son nom) et a même poussé Donald Trump à déclarer le 3 avril que, après ses décisions, les bourses mondiales feraient un bond !