« Black dog », de Guan Hu : demain, les chiens ?

Notre chroniqueur est un mauvais Français — en matière de cinéma, au moins. Il ne s’extasie pas devant Anatomie d’une Chute, ne porte pas Omar Sy aux nues, et méprise Le Comte de Monte-Cristo. Mais parlez-lui d’un film chinois ou coréen, et il s’extasie volontiers. Ne serait-il pas un peu snob ?... L’article « Black dog », de Guan Hu : demain, les chiens ? est apparu en premier sur Causeur.

Mar 24, 2025 - 14:28
 0
« Black dog », de Guan Hu : demain, les chiens ?

Notre chroniqueur est un mauvais Français — en matière de cinéma, au moins. Il ne s’extasie pas devant Anatomie d’une Chute, ne porte pas Omar Sy aux nues, et méprise Le Comte de Monte-Cristo. Mais parlez-lui d’un film chinois ou coréen, et il s’extasie volontiers. Ne serait-il pas un peu snob ?


La ville — un gros village à l’échelle chinoise — est sur le déclin, ses immeubles sont vides, son zoo à l’abandon, et le seul gros entrepreneur est un boucher spécialisé dans la viande de serpent. Le paysage à l’entour est désolé — nous sommes sur la frange du désert de Gobi, au nord-ouest, loin de Pékin, Shanghaï et autres vitrines du décollage économique chinois.

©TheSeventhArtPictures

Paysage accablant, sublimement filmé en teintes gris-bleues, où le vent traîne des tumbleweeds, ces boules de broussailles qui roulaient dans les westerns de notre enfance – et de fait, il s’agit bien d’un eastern.

Lang, un homme taciturne (Eddie Peng, habitué des rôles de serial lover, utilisé ici à contre-emploi, n’a pas eu dix lignes de texte à apprendre), ancien cascadeur à moto, incarcéré dix ans pour meurtre, revient chez lui. Mais la ville est envahie de meutes de chiens errants qu’elle cherche à capturer pour s’en débarrasser et faire venir d’hypothétiques investisseurs. On craint en particulier un grand lévrier noir, famélique et soupçonné de porter la rage — mais la rage et la mort suintent des murs, que les tremblements de terre fissurent chaque jour davantage.

Cet homme sans attaches — son père est un alcoolique qui s’est donné pour tâche de nourrir les dernières bêtes du zoo, dont un tigre mélancolique — se prend d’amitié pour cette bête efflanquée qui ressemble exactement à l’Anubis égyptien, dieu des morts. Il récupère sa moto, répare le radio-cassettes obsolète qui diffuse en boucle « Hey you », chanson cafardeuse du Pink Floyd que l’on entendra aussi dans le générique final, erre dans ce paysage de dunes noires, pendant que le pays entier est sommé de s’enthousiasmer pour les Jeux olympiques qui vont commencer. Fichue année 2008, fichu destin.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Enseigner l’Histoire: l’exemple chinois

C’est d’une beauté sidérante, d’un intérêt constant. Le cafard a cette couleur froide, la mort se déplace à cette allure, les chiens délaissés par les hommes et les hommes abandonnés des dieux ont cet aspect squelettique, désespéré.

Le film est dédié, à la fin, « à ceux qui n’hésitent pas à reprendre la route ». Belle idée — et Lang reprend sa moto pour fuir dans le désert bleuté avec le chiot issu des amours du Black dog, pendant qu’une armée de chiens lui rend hommage. Magnifique. 

Guan Hu est ordinairement un réalisateur de films à grand spectacle — dont aucun n’est sorti en Occident : j’avais parlé en son temps de La Bataille des 800, film de guerre patriotique comme nous ne savons plus les faire. Il a utilisé ici un budget minimaliste (et non, ce n’est pas par manque de moyens que le cinéma est nul, c’est par manque de talent) et monté un film sidérant de beauté maladive, comme les fleurs de Baudelaire. N’importe quel plan est supérieur à la totalité d’un long métrage de Justine Triet, qui ne dépasse jamais le niveau d’un téléfilm du dimanche soir. Courez-y.

Et pendant que je suis dans le cinéma asiatique, allez voir Mickey 17, de Bong Joon Ho (oui, le réalisateur de Parasite). Ne croyez pas les petits jaloux qui vous susurrent que ce chef d’œuvre ne vaut pas un blockbuster américain. J’en ai dit ici tout le bien que j’en pense.

110 minutes.


Demain les chiens

Price: 8,00 €

34 used & new available from 3,32 €

L’article « Black dog », de Guan Hu : demain, les chiens ? est apparu en premier sur Causeur.