Annie Dillard, seule

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Fév 10, 2025 - 22:29
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Annie Dillard, seule

Rencontre au sommet : quand le plus grand américaniste vivant – Pierre-Yves Pétillon – se déplace pour traduire une femme écrivain devenue culte – Annie Dillard.


« Un écrivain cherchant un sujet ne s’intéresse pas à ce qu’il aime le plus, mais à ce qu’il est le seul à aimer. (…) Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur cette pensée particulière dont tu parles, sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend ? Parce que c’est à toi de jouer»

En vivant, en écrivant (1996)

L’Amour des Maytree est un roman où il est beaucoup question de la beauté, du sentiment de la nature (née en 1945, Dillard est l’auteur d’une thèse sur le Walden de H.D. Thoreau), des livres, de l’amour – de l’amour dans les livres, et de la vision qu’ils nous en donnent : « Des années de lecture n’avaient fait qu’étayer sa conjecture, à savoir qu’hommes et femmes ont en fait une perception identique de l’amour, à disons cinq pour cent près. »

L’Amour des Maytree est un livre où il est beaucoup question du temps qui passe, de la beauté qui persiste, et de ce à quoi permettent d’accéder les livres : l’émotion, la connaissance, la sagesse parfois – et ces sentiments que « seuls (ils) peuvent durablement fournir. »

L’Amour des Maytree est un livre crépusculaire et somptueux sur l’amour d’une vie, « l’amour longue durée comme acte de volonté » – et la « chute des jours » qui l’accompagne.

Argument d’autorité qui recommande de s’attarder : son traducteur qui se déplace peu ès qualités – Pierre-Yves Pétillon, le plus grand américaniste français vivant, auteur d’une Histoire de la littérature américaine – Notre demi-siècle 1939-1989 (1992 ; réédition augmentée en 2003, Fayard) – un de ces livres rares, sitôt parus, sitôt salués comme des classiques, qui justifient une vie de travail acharné… D’une intelligence incandescente. Donc Pétillon.

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Argument de votre serviteur : avec quelques romans contemporains, parus dans le domaine anglo-saxon – Sur la plage de Chesyl de Ian McEwan, La Maison des rencontres de Martin Amis, Demain de Graham Swift ou Fugitives d’Alice Munro -, c’est un des romans qui auront marqué la première décennie des années 2000 (oui, on tient les comptes) : on les lit, on les relit, on en parle, on regarde leurs tranches dans nos piles de livres – on est ému, ils nous ont touché, enseigné.

C’est l’histoire de l’amour des Maytree (le titre, donc), de Toby, poète et charpentier, et de Lou, peintre à ses heures. De la naissance de leur passion, de la vie de leur passion, de ses métamorphoses.

C’est ensuite, après quatorze années de mariage avec Lou, l’histoire de la fuite de Toby avec une amie, Deary, de leur amour qui durera vingt ans, de la maladie et de la mort de Deary – et des retrouvailles de Toby et de Lou.

C’est, enfin, l’histoire de Toby qui choisit… l’amour, comme sujet d’étude. Vaste programme : « Dans toute son œuvre, il avait évité les sujets sentimentaux : l’amour, le chagrin. Mais, malgré tout, n’est-ce pas, ils vous rattrapaient. »

Toby lit (les scientifiques, les poètes et les écrivains : Stevenson, Henry Green, Borges, Baudelaire, Thomas Hardy), se demande comment il est possible que « l’amour apparemment absolu puisse se reproduire » (Lou, Deary), tente de comprendre.

Annie Dillard mêle Thoreau, Melville et Emily Dickinson. Du premier, elle a le regard  « transcendantaliste », pour lequel « chaque détail, intensément observé devient un macrocosme et une terre sainte, chaque micro-événement, une épiphanie » ; du deuxième, et de la religion presbytérienne de son enfance, elle a la « sensibilité à la violence tapie dans la Nature » ; enfin de la hiératique troisième, elle a l’intrépidité et le courage, dans sa volonté d’éveiller son lecteur et de le consoler du silence – « le silence du Seigneur, lointain, caché, mais planant, néanmoins, sur les eaux ».

L’univers qu’envisage et décrit la contemplative Annie Dillard est chargé de sens, de pensée. Son écriture intense, tantôt très concrète, descriptive (la nature, le quotidien, l’habitude), tantôt métaphysique, a le caractère élémentaire (sens strict) de son propos : elle bâtit un petit temple – elle, dirait « une cabane » – destiné à honorer le passage furtif et humble de nos pas sur l’immense et si « taiseuse » terre – voire à lui donner un sens. Finalement, plus que l’élémentaire, ce qui intéresse et requiert la solitaire Annie Dillard, c’est l’essentiel. Qui est peut-être la même chose, son autre nom.


L’Amour des Maytree, d’Annie Dillard. Traduit de l’anglais par Pierre-Yves Pétillon, Christian Bourgois, 280p.

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Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

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