Collision d’un pétrolier et d’un cargo en mer du Nord : un désastre écologique ?
Le kérosène libéré par la collision pourrait affecter des sites de reproduction essentiels pour les phoques et les oiseaux de mer.

La collision entre un pétrolier et un cargo en mer du Nord, le 10 mars 2025, a libéré dans les eaux du carburant pour avions qui pourrait affecter des sites de reproduction essentiels pour les phoques et les oiseaux de mer, le long des côtes britanniques.
Le 10 mars dernier, un pétrolier transportant du kérosène a été heurté par un cargo alors qu’il était à 21 km de la côte est de l’Angleterre. Cette collision a déclenché une série d’explosions et un énorme panache de fumée noire, tandis qu’une quantité encore inconnue de carburant s’est déversée dans la mer.
Nous sommes écologues marins à l’Université de Hull (Royaume-Uni), la ville la plus proche de l’incident. Nous connaissons très bien cette côte et ces eaux. Bien qu’il soit trop tôt pour dire exactement quelles seront les conséquences environnementales de la catastrophe, nous savons que ce déversement met en péril l’une des parties les plus importantes du littoral britannique, tant pour la préservation de la biodiversité que pour la pêche commerciale.
La collision s’est produite dans une zone marine protégée au large de Holderness, une région où les fonds marins sont constitués de sable grossier et où vivent de nombreuses espèces différentes. Parmi celles-ci, le quahog nordique, une palourde comestible dont l’espérance de vie est supérieure à 500 ans. La zone sert également de nurserie à des poissons comme la limande-sole, la plie et le sprat européen.
Cette zone chevauche aussi celles qui ont été désignées pour protéger les marsouins communs et l’estuaire de l’Humber tout proche, avec ses vasières, ses dunes de sable et ses marais où des milliers d’oiseaux passent l’hiver, ainsi que d’autres espèces importantes, telles que les lamproies et les phoques gris.
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La plus grande colonie continentale d’oiseaux marins nicheurs du Royaume-Uni se trouve juste au nord du lieu de la collision, le long de la côte de Flamborough et de Filey. Plus de 250 000 oiseaux y nichent chaque année, dont un nombre impressionnant de guillemots et de petits pingouins. Elle accueille également des espèces dont la conservation est préoccupante, comme des fous de Bassan, des mouettes tridactyles et des macareux moines.
Au sud, on retrouve d’autres côtes protégées et un important site de reproduction pour les phoques gris. Le Wash, un estuaire de forme carrée où quatre rivières se jettent dans la mer, se trouve à 70 km au sud, et les courants pourraient y faire dériver le pétrole de la collision. La région possède de vastes marais salants et constitue un autre site important pour l’hivernage des oiseaux.
Le déversement a eu lieu dans une zone de pêche qui soutient la plus grande pêcherie de crustacés en Europe, avec l’équivalent de 15 millions de livres sterling (plus de 17 millions d’euros) de homards vivants débarqués chaque année. Le mélange de sable grossier et de galets sur le fond marin constitue un terrain d’élevage idéal pour les homards, car ils peuvent créer des terriers sous des pierres de taille parfaite.
Des impacts multiples sur la biodiversité
Compte tenu de l’importance écologique et commerciale de la région, les populations ont raison de s’inquiéter des effets du déversement de kérosène dans les eaux, de la pollution de l’air et du dépôt de suies contaminées provenant du panache de fumée. Bien qu’il soit trop tôt pour se prononcer sur la gravité du déversement de carburant, la nature du contaminant et les conditions environnementales nous permettent d’émettre quelques hypothèses.
Le kérosène est plus fin que le pétrole brut et s’étale rapidement pour former un film à la surface de l’eau. Il est peu probable que le carburant déversé entraîne un mazoutage important des oiseaux, la formation de « boules de goudron » ou l’asphyxie du fond marin par des matières huileuses, comme cela peut se produire après des déversements de pétrole brut.
Les conditions sur le site de l’accident sont très dynamiques. Il y a donc de fortes chances que le carburant se mélange à l’eau de mer, brisant la nappe de surface et exposant potentiellement les fonds marins à des contaminants. Les forts courants, l’action des vagues et les sédiments relativement grossiers favorisent le mélange de l’oxygène dans l’eau et les sédiments, ce qui permet au carburant de se dégrader plus rapidement.
Dans les zones plus calmes, en particulier lorsqu’il y a beaucoup de sédiments en suspension dans l’eau (comme dans l’estuaire de l’Humber et certaines parties du Wash), les contaminants peuvent adhérer aux fines particules en suspension et couler ensuite sur le fond marin. Les carburants mettront probablement plus de temps à se dégrader dans les sédiments riches en matières organiques, à grain fin et peu oxygénés de l’estuaire que dans les zones situées au large.
Même si les conditions en mer favorisent sa dégradation, le kérosène est hautement toxique et aura probablement un impact sur les espèces aquatiques, du minuscule plancton à la base de la chaîne alimentaire jusqu’aux oiseaux prédateurs, aux phoques, aux marsouins et aux dauphins qui se trouvent à son sommet.
Les animaux qui se trouvent à la surface de l’eau et ceux qui la traversent régulièrement pour se nourrir ou respirer seront particulièrement affectés par le contact direct avec la nappe superficielle. Bien que les phoques se reproduisent entre la fin du mois d’octobre et le mois de décembre, il y a encore des phoques sur les sites de reproduction à proximité, y compris, potentiellement, des jeunes phoques.
Même si on n’observe pas de taux de mortalité élevé, l’incident n’aurait pas pu survenir à un pire moment pour les oiseaux, alors que la saison de reproduction va bientôt débuter. Les oiseaux adultes exposés aux produits pétroliers toxiques peuvent souffrir à court terme d’une diminution de leurs capacités reproductives, bien qu’il soit difficile de l’affirmer avec certitude pour le moment.
Il faudra attendre un certain temps avant d’avoir une vue d’ensemble de la situation. Nous ne savons toujours pas quelle quantité de carburant a été déversée, sa composition chimique et sa toxicité, nous ne connaissons pas son comportement en mer, sa trajectoire ni sa durée de vie.
Tous ces facteurs sont importants pour comprendre dans quelle mesure cet accident va affecter l’environnement.
Krysia Mazik a reçu des financements du Natural Environment Research Council (https://www.ukri.org/councils/nerc/), de Natural England, du Joint Nature Conservation Committee, du Cefas et de divers partenaires commerciaux.
Magnus Johnson est affilié à Fisheries Research Yorkshire, à la National Federation of Fishermen's Organisations, à la Shellfish Association of Great Britain et à la Marine Biological Association.
Rodney Forster et Sue Hull ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.