America First : quand Donald Trump relance une idéologie centenaire controversée

C’est l’élément de langage préféré de Donald Trump : mais d’où vient le slogan « America First » ?

Avr 3, 2025 - 17:58
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America First : quand Donald Trump relance une idéologie centenaire controversée

L’expression America First a une longue histoire aux États-Unis. Remis au goût du jour par Donald Trump durant sa campagne présidentielle de 2016, et à nouveau promu en principe fondateur de sa politique depuis son retour à la Maison Blanche en janvier 2025, ce slogan reflète une vision nationaliste et protectionniste qui, pratiquement depuis la naissance du pays, proclame la primauté des intérêts américains en matière de politique étrangère et commerciale.


« Nous sommes réunis aujourd’hui pour annoncer un nouveau décret qu’on entendra dans toutes les villes, toutes les capitales étrangères et tous les centres du pouvoir. À partir d’aujourd’hui, ce sera strictement l’Amérique d’abord. L’Amérique d’abord ! », déclare Donald Trump lors de son discours d’investiture le 20 janvier 2017. Cette formule, « America First », qui avait inquiété les dirigeants du monde entier, a été remise en avant lors de son retour à la Maison Blanche huit ans plus tard.

« Trump : America first and only America first », CNN (2017).

L’origine de ce slogan devenu un élément central de la rhétorique de Donald Trump remonte en réalité à bien plus tôt dans l’histoire des États-Unis.

L’isolationnisme : un vieux refrain américain

En effet, l’isolationnisme ne date pas d’hier dans la politique étrangère des États-Unis. C’est une longue tradition américaine fondée sur l’idée selon laquelle le pays devait éviter de s’engager dans les affaires du monde pour se concentrer sur ses propres préoccupations internes.

C’est à la fin du XVIIIe siècle que cette vision de la politique extérieure trouve son origine, dans le célèbre dernier discours présidentiel de George Washington, « Farewell Adress » en 1796. Le premier président des États-Unis mettait en garde son peuple contre les alliances permanentes avec des puissances étrangères et préconisait plutôt une politique de neutralité et d’indépendance.

Au début du XXe siècle, cette tradition isolationniste a été mise à l’épreuve à plusieurs reprises, notamment avec la Première Guerre mondiale. Mais malgré la participation des États-Unis à la guerre (1917-1918), un très fort sentiment isolationniste est resté enraciné dans le pays. Après la guerre, une grande partie de l’opinion publique américaine souhaitait éviter une nouvelle implication dans les conflits européens. Cette distanciation s’est renforcée par la déception américaine face aux résultats du traité de Versailles, qui ne répondaient pas aux attentes de Washington en ce qui concerne la sécurité internationale.

Affiche électorale « America First » utilisée lors de la campagne aux municipales de Chicago en 1927. CC BY

C’est dans ce contexte des années 1920 que le slogan America First est né, scandé par ceux qui s’opposaient à l’entrée des États-Unis dans des engagements internationaux en lien avec les quatorze points du président Woodrow Wilson et la mise en place de la Société des nations.

Un fer de lance : l’America First Committee

La formule America First a été popularisée par le mouvement isolationniste des années 1940 America First Committee (AFC). Ce comité créé par des figures politiques et des intellectuels influents prônait le rejet de l’intervention américaine dans la Seconde Guerre mondiale et favorisait le protectionnisme.

À cette époque, l’expression America First a pris une signification plus forte sous l’influence de l’avocat Robert A. Taft, fils de l’ancien président William Howard Taft (1908-1912), et de l’aviateur Charles Lindbergh, devenu l’un des porte-parole du comité. Le but principal de l’America First Committee ? Faire pression sur le gouvernement des États-Unis pour que celui-ci n’implique pas le pays dans la guerre qui éclatait en Europe et en Asie.

Lindbergh s’adresse à quelque 3 000 personnes lors d’un rassemblement de l’America First Committee au Gospel Temple de Fort Wayne. Ce discours marquait sa première apparition depuis son discours controversé de Des Moines. 5 octobre 1941. CC BY

L’America First Committee prônait une politique de non-intervention et s’opposait vigoureusement à l’adhésion des États-Unis aux efforts de guerre des alliés face à l’Allemagne nazie. Pour le comité, s’engager dans la guerre européenne – ou, plus tard, dans le conflit mondial – allait affaiblir les États-Unis et mettre en péril leur souveraineté. Le tout pour un conflit lointain et coûteux.

L’argument principal était le suivant : les États-Unis ayant la capacité de se défendre eux-mêmes, il n’est pas nécessaire de s’impliquer dans les conflits extérieurs. « L’Amérique d’abord » devait se concentrer sur ses intérêts internes, sur la consolidation de son économie et de sa sécurité, plutôt que jouer un rôle de police mondiale.

Le slogan « America First » a trouvé une résonance particulière dans la population américaine qui ne voyait pas l’intérêt d’intervenir dans les affaires européennes ou asiatiques, particulièrement après les horreurs et les pertes humaines de la Première Guerre mondiale. Le comité a ainsi réussi à mobiliser une grande partie de l’opinion publique contre l’intervention des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.

Cette position a toutefois été contestée au fur et à mesure que l’Allemagne nazie étendait son contrôle sur l’Europe, et que les attaques japonaises se multipliaient dans le Pacifique. L’attaque de Pearl Harbor par le Japon le 17 décembre 1941 a changé la donne et forcé les États-Unis à entrer dans la guerre mettant fin à l’influence de l’AFC. L’opinion publique a alors radicalement basculé en faveur de l’intervention militaire, estimant que la sécurité nationale des États-Unis était désormais en danger. L’America First Committee s’est dissous peu après l’entrée des États-Unis dans le conflit, mais l’impact de ce mouvement sur la pensée politique américaine a persisté.

Le président Donald Trump salue un membre du public après avoir prononcé un discours sur le plan de santé America First, le jeudi 24 septembre 2020, au Duke Energy Hangar à Charlotte, en Caroline du Nord. Photo officielle de la Maison Blanche par Shealah Craighead. CC BY

Populisme et protectionnisme, héritiers de l’isolationnisme

Le sentiment isolationniste et nationaliste a été réactivé à plusieurs reprises tout au long du XXe siècle, pendant la guerre du Vietnam, les crises économiques, et lors des débats sur le commerce international. Dans les années 1980 et 1990, à l’époque des présidences de Ronald Reagan et George H. W. Bush, bien que les États-Unis soient restés un acteur clé du système international, des voix isolationnistes se sont fait entendre, en réaction aux interventions militaires américaines et à la mondialisation.

Le populisme économique et la critique du libre-échange se sont développés dans des secteurs économiques affectés par la délocalisation et la mondialisation.

Le retour en force du slogan « America First » s’est manifesté de manière marquante sous la première présidence de Donald Trump, qui a réutilisé l’expression pour mettre en avant une politique économique protectionniste, une critique radicale du multilatéralisme et un net désengagement des affaires internationales par rapport aux présidences présidentes de Barack Obama et de George W. Bush.

Trump avait d’ailleurs fait de cette philosophie un axe central de sa campagne électorale de 2016, se présentant comme un défenseur des intérêts des travailleurs américains et des citoyens ordinaires par opposition aux élites politiques et économiques mondialisées.

Ce retour au nationalisme économique, associé à un rejet des accords commerciaux internationaux et des engagements militaires à l’étranger, a ravivé les vieux débats sur la place de l’Amérique dans le monde et son rôle dans les affaires mondiales.

L’instrumentalisation des récits nationaux

Le succès du slogan « America First » repose également sur sa capacité à mobiliser des récits nationaux profonds. Les discours de Trump se sont appuyés sur une mythologie américaine mettant en avant la prospérité perdue (« Make America Great Again »), le peuple américain comme héros face aux élites corrompues et la nécessité de restaurer un ordre moral et économique qui aurait existé par le passé avant de s’effilocher.

Ces récits s’inscrivent dans une longue tradition politique, où l’Amérique est perçue comme une nation exceptionnelle, destinée à servir de modèle au monde.

La rhétorique de Trump, cependant, se distingue par une rupture avec l’idéal d’une Amérique cosmopolite et ouverte. En mettant l’accent sur le déclin supposé du pays, Trump a réactivé un discours populiste, opposant un peuple « véritablement américain » à des ennemis extérieurs (la Chine, l’Union européenne, l’immigration illégale) et intérieurs (les démocrates, les médias traditionnels, la bureaucratie).

La diplomatie du chacun pour soi

En réactivant et modernisant la doctrine America First Donald Trump a redéfini la politique étrangère et économique des États-Unis selon une vision nationaliste et protectionniste.

Son approche repose sur un rejet du multilatéralisme au profit d’accords bilatéraux plus favorables à Washington, une volonté de relocaliser l’industrie américaine et une posture de fermeté face à la Chine et à l’Europe.

Toutefois, cette modernisation de la doctrine s’est accompagnée de tensions avec les alliés traditionnels des États-Unis et d’une polarisation accrue au sein du pays. Si ses partisans saluent un retour à la souveraineté économique et à une diplomatie musclée, ses détracteurs dénoncent un isolement international et des politiques aux conséquences incertaines sur le long terme.

L’héritage de cette doctrine reste donc sujet à débat : a-t-elle renforcé les États-Unis ou fragilisé leur leadership mondial ? Plus d’un siècle après son émergence, Donald Trump peut-il réellement se poser en héritier légitime de cette doctrine historique, ou en a-t-il dévoyé les principes pour servir une vision plus personnelle du pouvoir ?The Conversation

Frédérique Sandretto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.