AME à Mayotte: un moindre mal
Le 15 mai 2025, l'Assemblée nationale examinera une proposition de loi visant à étendre l'Aide médicale d'État (AME) à Mayotte, actuellement le seul département français exclu de ce dispositif destiné aux étrangers en situation irrégulière. Portée par la députée Estelle Youssouffa (groupe LIOT), cette initiative vise à répondre aux défis sanitaires de l'île. « Les étrangers en situation irrégulière se tournent majoritairement vers le seul Centre hospitalier de Mayotte (CHM), et plus spécifiquement vers ses services d’urgence, plutôt que vers la médecine de ville, où ils seraient confrontés à des frais à avancer » plaide-t-elle. Pour Mansour Kamardine, le statu quo est intenable: il défend cette instauration de l’AME sur l’île, mais aussi une réforme globale au niveau national L’article AME à Mayotte: un moindre mal est apparu en premier sur Causeur.

Le 15 mai 2025, l’Assemblée nationale examinera une proposition de loi visant à étendre l’Aide médicale d’État (AME) à Mayotte, actuellement le seul département français exclu de ce dispositif destiné aux étrangers en situation irrégulière. Portée par la députée Estelle Youssouffa (groupe LIOT), cette initiative vise à répondre aux défis sanitaires de l’île. « Les étrangers en situation irrégulière se tournent majoritairement vers le seul Centre hospitalier de Mayotte (CHM), et plus spécifiquement vers ses services d’urgence, plutôt que vers la médecine de ville, où ils seraient confrontés à des frais à avancer » plaide-t-elle. Pour Mansour Kamardine, le statu quo est intenable: il défend cette instauration de l’AME sur l’île, mais aussi une réforme globale au niveau national

Causeur. Une proposition de loi pour étendre à Mayotte l’aide médicale de l’État (AME), réservée aux étrangers sans papiers, sera étudiée le 15 mai dans le cadre de la journée dédiée aux textes du groupe indépendant LIOT. Mayotte est aujourd’hui le seul département français exclu du dispositif de l’AME. Quelle est votre position sur cette situation ?
Mansour Kamardine. L’établissement de l’AME à Mayotte impliquerait le transfert d’environ 200 millions d’euros d’une enveloppe budgétaire existante vers une autre. Ce simple ajustement comptable ferait apparaître, mécaniquement et d’un seul coup, une hausse de 20 % du budget national alloué à l’AME. S’ajouterait à cela la visibilité immédiate de 150 000 bénéficiaires clandestins supplémentaires, jusque-là dissimulés dans les statistiques.
C’est précisément pour ne pas assumer cette réalité budgétaire et sanitaire que l’AME n’a jamais été appliquée à Mayotte.
Or, un tiers de la population réelle de l’île est en situation irrégulière. À l’hôpital, environ la moitié des dépenses concerne des patients étrangers, et plus de 80 % des 2 000 évacuations sanitaires annuelles vers La Réunion ou la Métropole concernent également des personnes non françaises.
La normalisation de la prise en charge des soins pour les personnes en situation irrégulière ferait tomber un tabou : celui de l’impact massif de l’immigration clandestine sur notre système de santé. C’est un sujet que beaucoup veulent éviter, notamment ceux que j’appellerais, pour reprendre une terminologie aujourd’hui bien connue, les « droit-de-l’hommistes » ou les « immigrationnistes ».
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Pendant ce temps, les Mahorais paient le prix fort. L’espérance de vie sur l’île est inférieure de sept ans à la moyenne nationale. Le système de santé est à la fois sous-développé et saturé. À Mayotte, pardonnez-moi l’expression, mais on crève du déni de réalité.
Estelle Youssouffa défend cette proposition de loi. La soutenez-vous ? Pourquoi ?
Absolument. Entre 2018 et 2024, en tant que député, j’ai porté à de nombreuses reprises cette demande au parlement, à travers des interventions et des amendements. Ma collègue Véronique Louwagie, du groupe Les Républicains, a appuyé la même démarche en commission des finances.
Il est donc évident que je soutiens pleinement la proposition de loi du groupe LIOT. Néanmoins, nous pensons qu’il faut aller plus loin et faire évoluer l’AME en AMU, Aide Médicale d’Urgence, sur l’ensemble du territoire, avec un panier de soins réduit à l’essentiel, en cohérence avec les contraintes actuelles de notre système de santé.
Par ailleurs, je demande l’application de la T2A, c’est-à-dire la tarification à l’acte, au Centre Hospitalier de Mayotte, comme c’est déjà le cas dans les autres départements français. Il est également temps de mettre à niveau notre hôpital, en le transformant en CHRU (Centre Hospitalier Régional Universitaire), à l’occasion de la construction — tant attendue — du deuxième établissement promis depuis des années.
Enfin, rappelons un fait dramatique : Mayotte compte vingt fois moins de médecins libéraux et quatre fois moins de pharmacies par habitant que la moyenne nationale. C’est le plus grand désert médical de France. La mise en place de l’AME permettrait aussi d’encourager l’installation de la médecine de ville et de faciliter l’accès aux médicaments, qui sont évidemment essentiels à la santé des Français, où qu’ils vivent.
Certains estiment que l’extension de l’AME à Mayotte provoquerait un appel d’air migratoire. Que répondez-vous à cette crainte ?
Franchement ? C’est une vue de l’esprit totalement dépassée. L’appel d’air migratoire, à Mayotte, il existe déjà, et ce depuis des années. Aujourd’hui, l’accès aux soins est gratuit, généralisé et illimité pour les étrangers en situation régulière comme pour les demandeurs d’asile. Pire : dans bien des cas, les personnes en situation irrégulière sont prioritaires dans l’accès aux soins.
Ce déséquilibre conduit les Mahorais à devoir se rendre à La Réunion ou en Métropole pour des soins, des examens ou un simple suivi médical. Mais comment faire, quand 75 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté ? Ce type de mobilité est inaccessible pour la majorité d’entre eux.
La mise en place de l’AME, ou plutôt de l’AME-AMU, à Mayotte permettra au contraire de rétablir un minimum d’égalité entre les citoyens français et les étrangers. C’est, si vous me permettez l’expression, le minimum syndical.
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En l’absence d’AME, les étrangers en situation irrégulière se tournent massivement vers le CHM, contribuant à sa saturation. Comment répondre à cette urgence sanitaire sans encourager l’immigration illégale ?
D’abord, en instaurant l’AME à Mayotte, tout en la transformant, à l’échelle nationale, en AMU, c’est-à-dire en une aide restreinte aux soins essentiels, urgents et non programmables. Ensuite, en facturant à prix coûtant tous les soins hors AMU : examens, consultations, traitements, médicaments. Cela permettra aussi de tarir les trafics de médicaments qui alimentent aujourd’hui certaines filières entre les territoires français et des pays tiers.
Ensuite, il faut cesser les demi-mesures. Il est temps de mettre en place une politique cohérente, ferme et globale de lutte contre l’immigration clandestine :
– un contrôle réel des frontières,
– une action diplomatique sans ambiguïté,
– une lutte déterminée contre les réseaux criminels transnationaux,
– et surtout une réforme de notre cadre législatif, pour empêcher les contournements de l’esprit des lois.
Notre humanisme doit être protégé, mais il doit aussi être respecté.
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