Afrique du Sud: le meurtrier de l’ «imam gay» court toujours…
C’était le premier imam gay d’Afrique du Sud. Son mystérieux assassinat a révélé une face cachée de la nation "arc-en-ciel"... L’article Afrique du Sud: le meurtrier de l’ «imam gay» court toujours… est apparu en premier sur Causeur.

C’était le premier imam gay d’Afrique du Sud. Son mystérieux assassinat a révélé une face cachée de la nation « arc-en-ciel »
Le 1er mars 2025, la ville du Cap s’est parée de ses plus belles couleurs arc-en-ciel lors d’une marche des Fiertés improvisée. Habituellement festive, l’ambiance était particulièrement lourde de tristesse et de colère. La communauté homosexuelle a rendu hommage à Muhsin Hendricks, premier imam au monde à avoir revendiqué publiquement son homosexualité, assassiné de manière brutale. Un crime qui soulève de nombreuses interrogations et ravive les tensions autour de la place des minorités sexuelles au sein des religions dans cette partie de l’Afrique australe.
Un pays pionnier, mais encore marqué par l’homophobie
L’Afrique du Sud est souvent citée comme un modèle en matière de droits « LGBTQI+ » sur le continent africain. Dès la fin de l’Apartheid (1994), elle a été l’un des premiers pays à dépénaliser l’homosexualité et à inscrire la protection contre les discriminations dans sa Constitution. Pourtant, cette avancée législative cache une réalité plus sombre : les crimes homophobes restent fréquents et la société demeure profondément divisée sur ces questions, notamment au sein des ethnies africaines (selon un sondage de 2017, 24 % des Sud-Africains estiment que les personnes qui entretiennent des relations homosexuelles devraient être poursuivies comme des criminels).
Sous le régime de ségrégation raciale, l’homosexualité était déjà perçue comme une menace à l’ordre moral. Le gouvernement de l’Apartheid menait même des campagnes de persécution contre les homosexuels, notamment dans l’armée, où des soldats identifiés comme gays étaient « traités médicalement », soumis à des tortures ou castrés chimiquement. Un chapitre traumatisant de l’histoire raciale de l’Afrique du Sud qui a été mis en lumière avec le film » Moffie » (tapette en Afrikaans) , sorti sur les écrans en 2019.
La fin de cette homophobie d’État a permis à certains, comme Muhsin Hendricks, d’affirmer leur identité au grand jour. Mais au sein des communautés religieuses conservatrices, l’acceptation a été loin d’être acquise.
L’itinéraire d’un homme en rupture avec la tradition
Né au sein d’une une famille musulmane pratiquante, Muhsin Hendricks se destinait à une vie conforme aux traditions. Parti étudié l’islam dans l’une des plus prestigieuses universités de Karachi, au Pakistan, il est revenu imam. Il s’est rapidement marié et a eu des enfants. Mais cette existence bâtie sur des conventions n’a pu masquer sa véritable identité très longtemps. « Au cours de la première année de mon mariage, j’ai réalisé que j’avais commis l’une des plus grosses erreurs de ma vie. C’était très éprouvant pour moi. J’ai fini par être déprimé », a-t-il déclaré dans un témoignage poignant.
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Son coming-out, en 1996, à l’âge de 29 ans, a provoqué un séisme. Tandis que son grand-père le condamnait en affirmant que cette révélation le mènerait « vers l’enfer », son père a pris sa défense, malgré les invectives de sa mère à son encontre. Rejeté par une partie de sa communauté, il a été démis des fonctions qu’il exerçait dans sa mosquée et licencié de la madrassa où il enseignait. Confronté à l’isolement, il s’est exilé dans une grange, en quête de réponses spirituelles. « Je me suis mis à jeûner jusqu’à ce que Dieu me donne une réponse sur ce que je dois faire de ma vie, sur le but de ma vie et sur ce qu’Il a prévu pour moi », expliquait Muhsin Hendricks de son vivant.
Une lutte pour la réconciliation entre foi et homosexualité
Plutôt que de se résigner, Muhsin Hendricks a finalement fait de son combat un engagement. En 2004, il fonde la Mosquée du Peuple du Cap, un espace inclusif destiné aux musulmans LGBT en quête de spiritualité. Mais, son initiative déclenche très vite une vague de critiques, mais aussi un immense espoir pour ceux qui cachaient leur orientation dans la communauté musulmane. Parallèlement, il crée « The Inner Circle » (TIC), une association visant à accompagner ces croyants un peu particuliers dans leur réconciliation entre foi et orientation sexuelle.
« TIC a commencé dans mon garage, après mon coming-out. Nous étions six à huit musulmans homosexuels qui nous réunissions chaque jeudi soir. Nous parlions de nos histoires très douloureuses, de l’islam et de notre identité sexuelle. Nous nous soutenions car il y avait beaucoup de larmes. Quelques années plus tard, TIC est devenue une organisation internationale, car il s’est révélé que cet espace était nécessaire à tous », expliquait-il encore il y a peu. Mais en brisant un tabou majeur, Muhsin Hendricks s’est attiré aussi de puissants ennemis. Pour certains religieux conservateurs, il n’était qu’un hérétique dont les enseignements remettaient en cause les fondements de l’islam. Si les menaces à son encontre étaient connues, son assassinat a cependant pris tout le monde de court.
Un crime non élucidé, des soupçons qui pèsent
Le 15 février 2025, Muhsin Hendricks a été froidement abattu dans sa voiture, en pleine rue. Les images de vidéosurveillance montrent une silhouette encapuchonnée sortir d’une camionnette, bloquer son véhicule, sortir une arme et tirer à plusieurs reprises à travers la vitre de sa voiture. Une exécution en règle.
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L’enquête piétine toujours depuis cette date et, à ce jour, aucun suspect n’a été arrêté. Face aux accusations implicites pesant sur certains groupes religieux, le Conseil judiciaire musulman d’Afrique du Sud (MJC) et le Conseil des oulémas unis d’Afrique du Sud ont rapidement condamné le meurtre, déclarant défendre « la coexistence pacifique et le respect mutuel, même en cas d’opinions divergentes ».
Parallèlement, la communauté musulmane sud-africaine s’est retrouvée sous les projecteurs dans un contexte politique tendu par la guerre entre le Hamas et Israël, la découverte de camps d’entrainement djihadiste sur son sol et un gangstérisme communautariste qui a fait des ravages. Bien qu’elle ne représente que 2% de la population, elle a gagné en visibilité avec le parti islamiste Al Jama-ah qui affirme représenter les intérêts des musulmans sud-africains. Ce mouvement, qui a brièvement occupé la mairie de Johannesburg entre janvier 2023 et août 2024, a fait partiellement introduire la charia dans la législation. Cependant, son influence demeure encore limitée à l’échelle nationale. En Afrique du Sud, où la violence à l’encontre des personnes homosexuelles reste un sujet tabou, son assassinat rappelle brutalement que les avancées légales ne suffisent pas à protéger ceux qui défient l’ordre établi. Pour ses proches et ses partisans, une seule certitude demeure : Muhsin Hendricks restera à jamais une figure emblématique de la lutte pour l’égalité et la justice.
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