Vivre dans un climat d’insécurité : quand le traumatisme déclenche une tempête émotionnelle
Guerre, violences intrafamiliales, migrations… Subir de telles conditions sur le long terme favorise la survenue d’un trouble de stress post-traumatique particulier, dit « complexe ».

De l’Ukraine à Gaza, en passant par le Soudan et d’autres régions du globe, l’actualité nous rappelle sans cesse que, partout sur la planète, des individus vivent un quotidien dramatique. Ces conditions très dégradées ont des conséquences directes sur l’équilibre psychologique des êtres humains qui les vivent, qu’ils soient civils ou militaires. Leurs processus émotionnels, en particulier, peuvent s’en trouver très perturbés, générant un trouble de stress post-traumatique particulier, dit « complexe ».
Zones de guerre, parcours de migration, violences intrafamiliales, sexuelles ou physiques, catastrophes naturelles : tous ces évènements participent au climat d’insécurité dans lequel vivent des milliards de personnes.
Dans le monde, 70 % de la population est confronté au moins une fois dans sa vie à un évènement de ce type, qualifié de traumatique, et plus de la moitié des individus vivent au moins deux évènements traumatiques au cours de leur vie. Ces chiffres alarmants posent la question de la santé psychologique dans de tels contextes.
On sait désormais que la répétition d’évènements traumatiques et de situations de mise en danger ou leur établissement dans la durée peuvent avoir des conséquences sur le développement des personnes qui les vivent et sur leur fonctionnement quotidien, notamment émotionnel. Ces effets peuvent se faire sentir à n’importe quel moment de la vie, et s’avérer durables.
Pour améliorer la prise en charge des individus concernés, les chercheurs en psychologie s’emploient à mieux comprendre l’impact de telles expositions. Leurs travaux ont permis de définir un trouble de stress post-traumatique particulier, le trouble de stress post-traumatique complexe.
Insécurité et santé psychologique
Depuis 2018, le trouble de stress post-traumatique complexe est entré dans la classification internationale des maladies, l’un des recueils de référence des maladies reconnues par les professionnels de santé.
Il se définit par des symptômes similaires au trouble de stress post-traumatique (flash-backs, cauchemars, impression d’être menacé, évitement de lieux, de situations ou de personnes), tout en se traduisant par une triade de symptômes plus spécifiques : les personnes souffrant d’un trouble complexe ont des difficultés à réguler leurs émotions, formulent des croyances négatives sur elles-mêmes (elles croient qu’elles ne valent rien, qu’elles ne méritent pas d’être heureuses, aimées, etc.) et rencontrent des difficultés dans les relations avec les autres.
Si l’existence de ce trouble a été évoquée dès les années 1990 par les chercheurs en psychopathologie, sa reconnaissance a été beaucoup plus tardive, puisqu’elle n’a été actée qu’en 2018. Ce qui n’a pas été sans conséquence.
Une très lente reconnaissance
Dès 1991, Leonor Terr, psychiatre états-unienne reconnue pour ses travaux sur le psychotraumatisme, avait défendu – à travers l’exploration des maltraitances infantiles – l’existence d’un nouveau type de trouble de stress post-traumatique. Selon elle, ce trouble distinct était directement en lien avec la survenue d’évènements traumatiques multiples. Ces derniers avaient des conséquences sur le fonctionnement psychologique des enfants, lesquelles perduraient à l’adolescence et à l’âge adulte.
En 1992, une autre psychiatre états-unienne reconnue pour ses travaux sur la mémoire traumatique, Judith Lewis Herman, évoquait quant à elle une forme complexe du trouble de stress post-traumatique chez les survivants d’évènements traumatiques prolongés, répétés. Différence notable avec le trouble mis en évidence par Leonor Terr, selon Judith Lewis les évènements impliqués pouvaient survenir à tout âge et non plus seulement précocement, dans l’enfance.
À partir de ces deux études fondamentales, les connaissances se sont étoffées grâce aux travaux d’autres chercheurs, parmi lesquels Marylène Cloitre. Professeure états-unienne en psychiatrie, elle est particulièrement reconnue pour ses contributions sur le sujet du trouble de stress post-traumatique complexe. En 2005, MArylène Cloitre a permis à la recherche sur le sujet de prendre de nouvelles directions en soulignant, dans une étude, l’importance de la régulation émotionnelle dans la capacité à fonctionner normalement. De ses travaux découleront de nouvelles perspectives pour la prise en charge de ces patients.
Il faudra toutefois attendre 2018 pour que le trouble de stress post-traumatique complexe soit enfin reconnu officiellement. Ce long délai a retardé la compréhension de son fonctionnement et de ses répercussions sur la santé mentale, retardant d’autant le développement de thérapies efficaces.
L’importance de la régulation des émotions
La régulation des émotions joue un rôle important dans le trouble de stress post-traumatique complexe. Bien connue dans le domaine de la psychologie, cette compétence peut être définie comme le moyen de contrôler comment et quand une émotion est exprimée, vécue et « diminuée » (ce dernier terme exprime le fait que l’émotion baisse en intensité).
Pour la plupart d’entre nous, ce processus, bien acquis, se produit continuellement ; nous sommes capables de remarquer et comprendre les changements corporels et comportementaux que nos émotions impliquent. En revanche, pour les personnes confrontées à des évènements de vie traumatique, les choses sont différentes. Tout se passe comme si elles se retrouvaient au centre d’une « tempête émotionnelle ».
Imaginez : à l’endroit où vous vivez, la situation est telle que seule votre survie importe. En outre, vous êtes dans une quasi-impossibilité d’influer sur le cours des évènements que vous subissez en continu depuis un certain temps. Rester sain et sauf, préserver votre intégrité physique, vous occupe tout entier. Dans ce contexte, les contrariétés et les émotions ressenties n’ont pas la même répercussion que dans une situation quotidienne « saine ».
Les personnes qui vivent de façon prolongée dans un tel climat d’insécurité, ou qui y sont confrontées de manière répétée, développent des difficultés en matière de régulation de leurs émotions, caractéristiques du trouble de stress post-traumatique complexe. Les recherches menées en psychopathologie indiquent que les personnes qui ont été confrontées à ce type d’évènements sont plus enclines à supprimer leurs émotions déplaisantes, à les enfouir, à les « mettre sous le tapis ».
Cependant, cette technique ne permet pas de réguler efficacement les émotions. Faute de pouvoir gérer correctement ces dernières, la santé psychique se dégrade de plus en plus, un peu comme une cocotte-minute dont la soupape ne fonctionne plus monte progressivement en pression, jusqu’à l’explosion.
Dans les faits, cette situation se traduit par de l’irritabilité ou des accès de colère intenses, ainsi que, dans certains cas de figure, par de fortes réactions face à certaines situations, et par une tendance à se faire du mal à soi-même.
Quels traitements ?
La prise en charge des patients souffrant de trouble de stress post-traumatique complexe nécessite, en amont d’un traitement psychothérapeutique, d’adopter une approche centrée sur les émotions. L’objectif est de les aider à mieux les reconnaître, à les comprendre et à les gérer, afin de réduire la souffrance qu’elles provoquent. Il s’agit d’une étape essentielle sur le chemin vers le rétablissement et le bien-être psychologique.
Les patients concernés peuvent se voir proposer un premier travail sur l’acceptation de ces émotions, ainsi que des stratégies alternatives pour les réguler. Par exemple, plutôt que de « mettre l’émotion sous le tapis » et de laisser monter la pression, des exercices de respiration peuvent être enseignés, afin de jouer sur la modulation du ressenti émotionnel, pour ne pas se laisser déborder. Cette proposition psychothérapeutique permet aux patients d’améliorer leurs capacités à gérer les émotions fortes et, ainsi, de faire face à ce qui est, pour eux, une difficulté majeure du quotidien.
Si le trouble de stress post-traumatique complexe est désormais reconnu, les recherches sur ce sujet sont loin d’être terminées. Elles sont même en pleine expansion. Parmi les questions qui restent en suspens figure notamment celle des disparités interindividuelles. En effet, les difficultés rencontrées ne s’expriment pas de la même façon d’une personne à l’autre. Mieux prendre en compte ces différences permettrait d’améliorer la formation des professionnels à la détection de ce trouble, et d’adapter les interventions psychothérapeutiques.
Camille Raysséguier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.