Un autre Saint Louis… qui n’a pas été roi

Jean de La Rochefoucauld publie "Le duc de Bourgogne, promesses et mirages du petit-fils de Louis XIV" (Perrin)... L’article Un autre Saint Louis… qui n’a pas été roi est apparu en premier sur Causeur.

Mar 12, 2025 - 21:15
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Un autre Saint Louis… qui n’a pas été roi

Jean de La Rochefoucauld publie Le duc de Bourgogne, promesses et mirages du petit-fils de Louis XIV (Perrin)


Un autre Saint Louis ? Mais lui n’aura pas eu la chance de régner. Petit-fils du Roi Soleil, le duc de Bourgogne s’éteint en 1712, âgé de 29 ans à peine. Le vieux Louis XIV lui survivra jusqu’en 1715. Le duc d’Anjou, son jeune frère, sera donc le futur Louis XV ; mais il n’a que 5 ans alors. Son règne, après la Régence exercée comme l’on sait par le duc d’Orléans, sera fort long. Si Bourgogne avait vécu, l’ancien régime aurait-il connu un sort tout différent ? On peut en rêver.

En parallèle à ses activités professionnelles au Sénat, le très bien-né Jean de La Rochefoucauld a donc trouvé le loisir de se pencher sur cette personnalité méconnue du Grand siècle, le duc de Bourgogne, auquel il consacre une remarquable biographie. Le temps de sa courte vie, le fils aîné de Louis de France, dit Le Grand Dauphin, aura été pourtant au centre de l’attention du microcosme curial :  ce prince tellement chéri de son grand-père assurait potentiellement, dans l’exercice de la primogéniture mâle, la précieuse continuité de la dynastie.

Bossu, malingre, boiteux

Au-delà du portrait qu’en dresse cette biographie avec une constante élégance de style, un univers d’intrigues de palais, de préséances jalouses, d’instrumentalisations matrimoniales, de cabales ou de joutes théologiques se déploie sous nos yeux, sur fond de conflits territoriaux – cf. la sanglante et funeste Guerre de succession d’Espagne dont le duc de Bourgogne, promis en mariage (ce dès les deux ans révolus de la princesse !) à la Turinoise Marie-Adélaïde de Savoie, la fille de Victor-Amédée II, ennemi de la monarchie française, aura été tout à la fois un enjeu, un témoin, et un acteur vaillant mais malheureux…

La superbe toile de Rigaud qui illustre la couverture de l’ouvrage nous montre un bel adolescent emperruqué, en armure : portait trompeur, car le fils du Grand Dauphin était en réalité fort « mal conformé », selon l’expression consacrée : bossu, malingre, boiteux. Pour pédagogue, on lui donne Fénelon : l’auteur des Aventures de Télémaque indique à son studieux élève « une direction éloignée du luxe de Versailles et des guerres de son grand-père ». Jusqu’à sa mort, le pieux duc de Bourgogne demeurera très attaché à son précepteur, même au-delà de la disgrâce qui contraint ce dernier, exilé à Cambrai sur ordre royal, à garder ses distances avec le rejeton princier.

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Les tractations, festivités, dépenses somptuaires, voyages, intrinsèquement liés au statut du duc de Bourgogne au sein (et même au sommet) de cette société d’ordres implacablement hiérarchisée font tout le sel de l’ouvrage de Jean de La Rochefoucauld, lequel sait de quoi il parle : en filigrane, c’est tout un monde disparu qui transparaît lumineusement dans ces pages. Ce monde d’étiquette rigide, de cérémonials implacables, de rites religieux aussi contraignants qu’incoercibles, mais aussi bien ce microcosme vibrionnant de haines sourdes et de rivalités féroces, clapotant dans les badinages et les secrets d’alcôves, où les seigneurs de haut rang, leurs épouses, leurs maîtresses, leurs progénitures constituent autour des princes et des bâtards, légitimés ou pas, une courtisanerie servile, perpétuellement en quête d’honneurs, de préséances, de charges lucratives…  C’est ce tissu sociologique si particulier, si étonnant pour le regard contemporain, que nous restitue Jean de La Rochefoucauld dans toute son épaisseur et sa vitalité.  

Rival du duc de Vendôme sur le terrain de la guerre, déconsidéré bientôt, à tort ou à raison, par sa défaite à Audenarde en 1708 face à la coalition, le duc de Bourgogne se mue peu à peu en bigot : « le dimanche 12 mai [1709], à Marly, convoquant de façon inédite un conseil de guerre, le roi [Louis XIV] l’y invite, « en lui disant un peu aigrement » [dixit Saint-Simon] : ‘’A moins que vous n’aimiez mieux aller à vêpres’’ »… Au fil des pages, d’ailleurs, les extraits des fielleux et si plaisants Mémoires du célèbre « duc et pair » servent de fil conducteur au récit, qui puise assez copieusement ses sources, également, dans les extraordinaires Mémoires du marquis de Sourches sur le règne de Louis XIV.  

Trois dauphins meurent en une année

Se confiant sur le tard à l’amitié fidèle du génial mémorialiste Saint-Simon, bien plus proche de son grand-père que de son père le Grand Dauphin (lequel meurt en 1711) « dans l’atmosphère macabre qui continue d’envelopper la cour » en cette fin de règne calamiteuse, l’héritier de la couronne et père du futur Louis XV est passé, par un mauvais coup du sort, à côté du destin qui lui avait été promis. Maltraité par la postérité (en particulier par l’historiographie, – Michelet en tête), l’homme était intelligent, de grande culture, profondément bon, intègre et généreux. Eperdument amoureux de son épouse Marie-Adélaïde, laquelle rend son dernier souffle à peine âgée de 26 ans, il ne lui survit que de quelques jours, en ce mois de février 1712 ! Saint-Simon pleure « la disparition de celui qu’il considère comme un saint ». Le 8 mars, c’est au tour du second fils survivant de Louis et Marie-Adélaïde, le duc de Bretagne, de rendre l’âme : il avait 5 ans.  Ainsi ne reste, pour assurer la succession, que le troisième arrière-petit fils de Louis XIV, le duc d’Anjou. Saint-Simon, toujours : « Trois dauphins moururent donc en moins d’un an, dont un seul enfant, et, en vingt-quatre jours, le père, la mère et le fils aîné ».

De ce personnage comme éclipsé par l’histoire, cette excellente biographie donne une juste mesure. Car le duc de Bourgogne, contrairement à tant d’autres princes de sang, n’a pas suscité de légende, ni de geste poétique autour de son nom. Comme l’exprime fort bien le sous-titre du livre, celui qui aurait dû être roi ne demeure, en somme, que l’incarnation d’une promesse qui finit en mirage.       

A lire : Le duc de Bourgogne, promesses et mirages du petit-fils de Louis XIV. Jean de La Rochefoucauld. Perrin, 2025. En librairies. 384 pages.

Le duc de Bourgogne: Promesses et mirages du petit-fils de Louis XIV

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