Un Algérois mal dans sa peau

Rarement exposée à l’écran, la haute bourgeoisie algérienne se dévoile dans L’Effacement, où se mêlent pouvoir, silence et violence. Reda Belamri, héritier discret d’un empire pétrolier, est confronté aux injonctions paternelles, à l’humiliation militaire et à une quête d’émancipation... L’article Un Algérois mal dans sa peau est apparu en premier sur Causeur.

Avr 26, 2025 - 20:38
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Un Algérois mal dans sa peau

Rarement exposée à l’écran, la haute bourgeoisie algérienne se dévoile dans L’Effacement, où se mêlent pouvoir, silence et violence. Reda Belamri, héritier discret d’un empire pétrolier, est confronté aux injonctions paternelles, à l’humiliation militaire et à une quête d’émancipation.


Une autre Algérie ? Rarement montré au cinéma, le milieu de la haute bourgeoisie d’affaires dans ses tribulations algéroises, ses manigances et ses compromissions. Monsieur Belamri, vieux patron madré de la Sonapeg, énorme entreprise liée aux intérêts pétroliers et gaziers du pays, domine d’une implacable autorité son fils Reda, un jeune homme bien fait bien mis, pas bavard et quelque peu… effacé. Papa Belamri a réussi à le placer dans la boîte, comme « responsable de l’information stratégique », et lui met un bon parti dans la poche : « ne perds pas ton temps, il est temps de fonder une famille ». (On passe naturellement, dans une même réplique, de l’idiome français à l’arabe – trait essentiel de la culture post-coloniale dans les hautes sphères de la société algéroise, ce dont témoignent les dialogues du film avec une parfaite exactitude).

Faycal, le frère aîné de Reda, jouisseur chevelu moins soumis que son cadet, entre en rébellion sans retour possible lorsque le pater familias, ayant surpris, à cause d’un voyage d’affaires interrompu, une fiesta délurée donnée à son insu dans l’enceinte de sa villa, vire manu militari tout ce petit monde, en pleine nuit : coupant les ponts, Faycal file illico s’exiler à Paris pour y exercer ses talents de DJ. Reda le taciturne se retrouve seul face à lui-même.

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En ces années 2020, dans une Algérie troublée par le terrorisme islamique autant que par une jeunesse tumultueuse, les mâles de 20 ans n’échappent pas à la conscription sans de sérieux appuis, et pour garder son poste dans l’entreprise, Reda doit faire son service militaire. Le voilà donc contraint malgré lui d’endosser le treillis, expérience éprouvante pour ses fesses, car le rejeton, pas franchement gymnaste dans l’âme et traité de « bourgeois », devient vite le bouc émissaire idéal du fantassin de base. Ça ne tarde pas : il devra rembourser en nature ses privilèges de classe, via l’introduction forcée d’un manche à balai par trois zigues déchaînés. On serait mal dans sa peau à moins. Mais Faycal encaisse en silence, et quand le colonel lui suggère de cafter : « – il ne s’est rien passé, tout va bien ».

Là-dessus trépasse soudain Belamri père – larmes, chagrin… L’expérience virile a cependant durci Reda, à telle enseigne que lorsque sa sage petite fiancée, attablée avec lui dans un restau chic d’Alger, se montre exclusivement occupée par les préparatifs mondains de la noce (« – et rase-toi, s’il te plaît ! »), il balance une énorme torgnole à la demoiselle. Geste qui compromet définitivement le projet matrimonial.

Il faudra attendre les presque deux tiers du film pour piger la raison profonde du titre : L’effacement. Je vous en laisse la surprise. Toujours est-il que, serti dans une fine et discrète ponctuation musicale, le scénario fait un écart transitoire, tout à fait inattendu vers l’irrationnel, incise qui, par son étrangeté métaphorique, vous accroche au destin de l’instable Reda : il finit par se lier avec la patronne du seul restau du bled où l’on sert de l’alcool, y officie bientôt comme serveur, et plus si affinité – le bonheur serait-il à sa portée ? Le soutien paternel lui faisant désormais défaut, Reda se heurte bientôt aux nouveaux patrons de la Sonapeg, qui font sciemment barrage à sa carrière. Il le prend très mal. La violence absolue du dénouement donnera la mesure de l’affront.


L’Effacement. Avec Sammi Lechea, Zar Amir, Hamid Amirouche… Film de Karim Moussaoui, France-Algérie, couleur, 2024. Durée : 1h33 En salles le 7 mai 2025

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