Tribune – Ce que les « starter packs » révèlent de notre époque
Tribune rédigée par Emmanuel Carré (Dr, HDR), Directeur de Excelia Communication School. Si vous parcourez vos réseaux sociaux, vous n’avez pu y échapper : le phénomène « starter pack » déferle sur nos fils d’actualité. Ces figurines virtuelles sous blister, générées par IA, proposent une mise en scène de soi à la fois ludique et […] L’article Tribune – Ce que les « starter packs » révèlent de notre époque est apparu en premier sur JUPDLC.

Tribune rédigée par Emmanuel Carré (Dr, HDR), Directeur de Excelia Communication School.
Si vous parcourez vos réseaux sociaux, vous n’avez pu y échapper : le phénomène « starter pack » déferle sur nos fils d’actualité. Ces figurines virtuelles sous blister, générées par IA, proposent une mise en scène de soi à la fois ludique et révélatrice. Un portrait numérique emballé comme un jouet, accompagné d’accessoires choisis pour résumer une personnalité (un laptop, un carnet, une tasse de thé). La formule cartonne, et les internautes s’y adonnent avec enthousiasme.
Notre intention n’est pas de juger cette tendance, mais de comprendre ce qu’elle révèle de notre époque.
Quand l’identité se met sous blister
Certes, il y a quelque chose d’amusant dans cette exposition de soi en figurine emballée comme un produit de consommation. La démarche est assumée : je deviens ce que je possède et ce que j’affiche. Mon identité tient désormais dans un package standardisé, saisissable en un regard. La magie opère par l’auto-dérision, cette capacité à nous conformer et nous réduire aux clichés qui nous définissent.
Cette figurine représente ainsi un alter ego ludique, une version condensée de nous-mêmes qui habite littéralement dans une boîte. Comme un jouet de collection, elle est reconnaissable mais caricaturée, figée. Elle n’existe que par ses accessoires, choisis pour signifier instantanément une fonction sociale ou un style de vie. Le blister devient une métaphore puissante : il nous protège autant qu’il nous enferme. Ce packaging évoque ce que Goffman nommait la mise en scène du moi – une performance où le décor prime sur la profondeur.
Ce divertissement en apparence anodin révèle pourtant une reconfiguration subtile de notre rapport à l’identité, où l’emballage finit par supplanter le contenu.
L’hyper-starter pack décrypté
Pour saisir ce phénomène, considérons-le comme un objet total, saturé de signes – un artefact postmoderne condensant des logiques de consommation et de standardisation que les théoriciens des années 60 auraient anticipées.
Baudrillard y verrait l’illustration parfaite de l’hyperréalité. Ces figurines ne représentent pas l’individu réel mais un simulacre séduisant, une version idéalisée devenant « plus vraie que nature ». Dans Simulacres et Simulation, il nous mettait en garde contre cette confusion entre la carte et le territoire. Le starter pack ne reflète pas qui nous sommes : il redéfinit notre identité, nous incitant à modifier nos comportements pour correspondre à cette image figée. L’accessoire cesse d’être ce qui nous caractérise pour devenir ce qui nous définit. Et si cette figurine n’était plus la reproduction d’une réalité, mais le modèle que nous imitons désormais ?
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Cette tendance illustre également l’hypermodernité théorisée par Lipovetsky. Elle révèle comment l’individualisme atteint son paroxysme lorsque chacun devient entrepreneur de sa propre image. La légèreté apparente masque une anxiété réelle : celle de ne pas exister suffisamment dans le regard des autres, de ne pas être assez « likable ». L’hypermodernité se caractérise par cette tension entre affirmation de soi et quête de reconnaissance – « Voici qui je suis, validez-moi ». Plus révélateur encore est le caractère éphémère de cette mode, l’identité devenant un produit recyclable, sinon jetable.
Ce phénomène incarne aussi ce que Tisseron nomme l’extimité, ce désir d’exposer son intimité dans l’espace public. Dans L’Intimité surexposée, il analysait comment nous sélectionnons les fragments de vie privée que nous rendons publics, non pour révéler notre nature, mais pour produire un effet calculé. Le starter pack parachève cette logique : une extimité calibrée où chaque élément vaut par sa puissance évocatrice. Je ne montre pas qui je suis vraiment, mais ce que je souhaite que vous pensiez de moi. L’algorithme d’IA devient le metteur en scène de notre théâtre intime. Le paradoxe est saisissant : ce n’est plus le sujet qui se reconnaît dans l’image, mais l’image qui définit désormais le sujet.
Au-delà du blister…
Si le starter pack n’était qu’une mode éphémère, il ne mériterait peut-être pas tant d’attention. Mais il s’inscrit dans une évolution fondamentale de notre rapport à l’identité numérique. Il témoigne de notre propension croissante à nous concevoir comme des produits à marketer, des marques à promouvoir, des contenus à optimiser pour la consommation d’autrui.
Ce phénomène révèle une forme d’aliénation consentie, presque joyeuse, où nous acceptons d’être réduits à quelques attributs stéréotypés, standardisés par des algorithmes. Plus troublant est ce transfert de notre pouvoir créatif à l’intelligence artificielle. Nous déléguons à une machine la représentation de notre essence, pour nous émerveiller ensuite de la « justesse » de cette représentation. Cette aliénation est vécue comme un jeu divertissant qui nous permet de nous observer à distance. C’est précisément cette légèreté qui rend le phénomène significatif : nous avons intégré la logique du simulacre au point de ne plus la percevoir comme problématique. Les artistes qui créent des packs plus « authentiques » ne s’y trompent pas : ils détournent ces codes pour raviver la créativité et questionner la standardisation algorithmique de notre identité.
Par ailleurs, ce jeu de représentation, aussi ludique soit-il, soulève d’autres questions en termes de responsabilité sociale. Certains packs, jugés stigmatisants, ont été retirés des réseaux – comme celui de Gisèle Pelicot sur TikTok. Et derrière chaque visuel se cache un coût environnemental non négligeable : jusqu’à 5 litres d’eau pour générer un seul pack. Un petit plaisir numérique, pas tout à fait sans conséquences.
Au fond, le starter pack n’est qu’une étape dans notre quête perpétuelle de représentation de soi – quête qui, paradoxalement, nous éloigne et nous rapproche simultanément de notre authenticité. Le « starter pack » nous invite à réfléchir : jusqu’où irons-nous dans la mise en scène de nous-mêmes ? Que reste-t-il de notre identité quand elle est ainsi formatée, empaquetée, prête à la consommation ?
À l’heure où l’IA redessine les contours de notre humanité, peut-être que ce qui nous sauve, ce ne sont pas les représentations parfaites, mais les maladresses, les dissonances, les objets incongrus qu’on ose y glisser. Ce qui déborde du cadre, ce qui résiste encore à être « impackageable ».
(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n’engagent pas J’ai un pote dans la com).
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