Tous accros au X!

Engagée contre un prétendu retour du fascisme, la gauche a pensé pouvoir faire tomber Elon Musk en boycottant son réseau social Twitter / X en début d'année. Mais, comme souvent, elle est partie en ordre dispersé. Bilan des courses, trois mois après l’investiture de Donald Trump : la grande opération HelloQuitteX a fait flop, et le plongeon vers l’inconnu faisait trop peur... L’article Tous accros au X! est apparu en premier sur Causeur.

Avr 25, 2025 - 05:38
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Tous accros au X!

Engagée contre un prétendu retour du fascisme, la gauche a pensé pouvoir faire tomber Elon Musk en boycottant son réseau social Twitter / X en début d’année. Mais, comme souvent, elle est partie en ordre dispersé. Bilan des courses, trois mois après l’investiture de Donald Trump : la grande opération HelloQuitteX a fait flop, et le plongeon vers l’inconnu faisait trop peur…


Le 23 juillet 2023, l’étonnement est général. Au réveil, en se connectant à leur compte Twitter, les internautes découvrent que le petit oiseau bleu a disparu. À sa place : un « X » imposant, froid, stylisé. Ce changement, voulu par Elon Musk — qui a racheté le réseau social dix mois plus tôt — marque un tournant radical. C’est le 14 avril 2022 que le milliardaire excentrique propose pour la première fois le rachat du réseau, affirmant vouloir « libérer » l’oiseau bleu d’une plateforme qu’il juge hostile à la liberté d’expression.

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C’est l’affaire « The Babylon Bee » qui aurait particulièrement exaspéré Musk, père meurtri dans la sphère privée. Ce compte satirique conservateur avait désigné Rachel Levine — sous-secrétaire américaine démocrate à la Santé, et femme transgenre — comme « Homme de l’année », entraînant sa suspension pour « conduite haineuse ». Après un faux départ, Musk finalise le rachat le 4 octobre 2022, soutenu par une poignée d’investisseurs, et pour la somme astronomique de 44 milliards de dollars.

Du rachat à la campagne présidentielle de Trump

Une fois aux commandes, Elon Musk change radicalement la politique de modération de la plateforme, prônant une liberté d’expression quasi absolue. Il réactive des comptes précédemment bannis pour «propos haineux» ou «incitation à la violence». Certains comptes comme celui du président «émeutier» Donald Trump, du masculiniste Andrew Tate ou du Français Jean Messiha font leur grand retour sur la plateforme.

Numéro de février du magazine « Causeur »

Très vite, la gauche française s’alarme d’un virage idéologique à droite d’un Twitter rebaptisé « X », désormais perçu comme un foyer de désinformation. Le soutien public de Musk à Trump — puis son élection comme 47e président des États-Unis — précipite la rupture. En réaction, naît le mouvement #HelloQuitteX, incitant à abandonner X au profit de Bluesky, clone assumé de l’ancien Twitter. Fondé par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter en 2019, Bluesky se présente comme une alternative progressiste, respectueuse de la liberté d’expression — mais la bonne, cette fois. LA solution pour boycotter « une machine à manipulation de l’opinion[1] ».

HelloQuitteX : la contre-offensive contre le réseau honni

Le 11 janvier 2025, l’infatigable députée écoféministe Sandrine Rousseau annonce en fanfare avoir envoyé une lettre à tous les élus du Nouveau Front Populaire pour les inciter à quitter X, qualifié de « véritable machine désinformation, arme de destruction massive de la réalité factuelle, et caisse de résonnance (sic) des courant (resic) d’extrême droite » (avec quelques fautes d’orthographe dans le post original, soit dit en passant). Elle tient parole et se déconnecte définitivement le 20 janvier, après une semaine de campagne marquée par de nombreux tweets expliquant sa démarche.

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Marine Tondelier, présidente d’EELV, relaie aussi l’appel. Le 12 janvier, invitée du Grand Jury RTL-M6-Le Figaro-Public Sénat, elle déclare : « On doit tous quitter Twitter. Ce réseau devrait être interdit en Europe pour protéger notre démocratie et notre information. » Mais quelques jours plus tard, elle tweete toujours. Il semble que Marine Tondelier ne soit finalement pas tant inquiète que ça pour notre intégrité informationnelle et territoriale, car elle reste depuis très active ! Quand le chef du service politique de RTL Olivier Bost la relance sur le sujet, et semble étonné qu’elle soit toujours inscrite sur le réseau honni, elle confesse, pour se justifier : « Moi toute seule qui quitte un réseau, ça n’a pas énormément d’impact ».

En réalité, les rangs de la gauche ne suivent pas. Aucun des partis du NFP — LFI, EELV, PCF ou PS — n’a désactivé son compte X. Tous restent actifs, parfois silencieux, parfois bavards. Des exceptions confirment la règle : Yannick Jadot, Anne Hidalgo (ainsi que le compte de la mairie de Paris) ont déserté. Mais dans l’ensemble, l’attrait de X reste trop fort.

La plupart des élus ont préféré se tenir à bonne distance de la polémique HelloquitteX. Même opposés idéologiquement à Musk, ils ont choisi de garder leurs abonnés, leur influence… et leurs « buzz ». Louis Boyard, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Sébastien Delogu, Najat Vallaud-Belkacem, Boris Vallaud : tous sont restés. Raphaël Glucksmann, de Place Publique, avait promis un départ « organisé », avec le concours de chercheurs du CNRS. Il est toujours là. Le site du mouvement HelloQuitteX, soutenu par David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, a bien tenté de cartographier les déserteurs et les réfractaires, mais ne met plus à jour ses listes depuis des semaines.

Une portée médiatique considérable

L’initiative HelloQuitteX a largement dépassé le cercle politique. Elle a été promue intensément par des médias où la sociologie politique des journalistes penche plutôt à gauche. Le programme Quotidien, par exemple, annonce son départ de X dès décembre 2023. Il semble alors inciter les téléspectateurs à faire de même. En indiquant quitter X en direct à l’antenne, Yann Barthès surjoue le drame devant un public et des chroniqueurs hilares. Gesticulant (« qu’est-ce qu’on va devenir ? », « la vie vaut-elle d’être vécue ?»), l’animateur se met en scène, fier de montrer son désaccord avec le réseau. Il finira son grand monologue ce soir-là par cette superbe diatribe adressée aux réacs : « Insultez-vous mais sans nous, sans les sacs à merde que nous sommes, sans les collabos gauchiasses tailleurs de pipes qui puent la merde »…

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Sauf qu’Étienne Carbonnier, autre vedette du programme, continue depuis à tweeter. Des dizaines de fois, depuis le départ officiel de l’émission. Même constat pour Libération : si le quotidien de gauche quitte bien X en janvier 2025, ses chroniqueurs stars Thomas Legrand (politique) ou Daniel Schneidermann (médias) — y restent très actifs. Mediapart suit, mais de façon plus ambivalente. Le média quitte officiellement X le jour de l’investiture de Trump. Mais son fondateur, Edwy Plenel, ne résiste pas à l’appel du tweet. À l’inverse, Fabrice Arfi et Marine Turchi respectent la consigne donnée, en ne publiant rien même si leurs comptes ne sont pas fermés. Quant à la chroniqueuse agaçante de France Inter Charline Vanhoenacker, qui avait qualifié Elon Musk de « gros connard de fasciste », bien sûr elle tweete toujours. Même Julia Cagé, économiste de gauche spécialiste des médias, qui pense que Musk est un danger pour la démocratie, reste active sur la plateforme…

Malgré l’indignation initiale et les discours médiatiques musclés, l’appel à quitter X n’a pas été suivi massivement. Bluesky, qui revendique 32,5 millions d’utilisateurs, ne fait pas le poids. Quitter un réseau historique et centralisé comme Twitter/X, c’est risquer de perdre ses abonnés, sa portée médiatique, sa capacité de mobilisation. Un luxe que peu de personnalités publiques peuvent se permettre. En toile de fond, une prétendue fracture stratégique empêcherait une action coordonnée : certains à gauche refusent de « laisser le champ libre » à l’extrême droite. Comme le formule le grand penseur Antoine Léaument, député LFI : « Laisser les utilisateurs dans un monde où il n’y aurait plus qu’une opinion est impensable. » Résultat : une action morcelée, inefficace. Là où une réponse collective aurait pu marquer un tournant, la gauche a agi en ordre dispersé.

Heureusement, si nos progressistes laissent M. Musk un peu plus tranquille ces derniers temps, ils ont vite trouvé d’autres combats. Marine Tondelier vient par exemple de rassurer ses électeurs… sur X: « Je ne ferai pas de starter pack » [2] ! Et rassurez-vous, elle ne fera pas non plus de dessins copiant le studio Ghibli « sans l’autorisation de Miyazaki », afin « qu’il reste de l’eau et de l’art à nos enfants ».


[1] https://helloquittex.com

[2] En français, « kit de démarrage ». La création d’un «starter pack » est une tendance sur les réseaux sociaux qui vise à partager une image générée par l’IA, représentant une personne sous forme de figurine emballée dans une boîte, entourée d’objets qui la caractérisent

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