« The Last of Us » et les champignons : la vraie menace n’est pas celle des zombies…

La sortie de la saison 2 de la série « The Last of Us » est prévue le 14 avril. Le scénario de zombification est peu probable mais les champignons peuvent présenter des menaces.

Avr 12, 2025 - 14:29
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« The Last of Us » et les champignons : la vraie menace n’est pas celle des zombies…
Que devraient vraiment craindre les héros de la série « The Last of Us » ? HBO

La sortie de la saison 2 de la série américaine post-apocalyptique « The Last of Us » est prévue le 14 avril. Elle jette la lumière sur des champignons du genre Ophiocordyceps, connus par les scientifiques comme des parasites d’insectes et d’autres arthropodes capables de manipuler le comportement de leur hôte. Dans la série, suite à des mutations, ils deviennent responsables d’une pandémie mettant à mal la civilisation humaine. Si, dans le monde réel, ce scénario est heureusement plus qu’improbable, il n’en demeure pas moins que ces dernières années de nombreux scientifiques ont alerté sur les nouvelles menaces que font porter les champignons sur l’humain dans un contexte de dérèglement climatique.


L’attente a été longue pour les fans mais elle touche à sa fin : la sortie de la saison 2 de la série américaine post-apocalyptique « The Last of Us » est prévue pour ce 14 avril 2025. Cette série a été acclamée par le public comme par les critiques et a reçu plusieurs prix. Elle est l’adaptation d’un jeu vidéo homonyme sorti en 2013 qui s’est lui-même vendu à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires. Le synopsis est efficace et particulièrement original : depuis 2003, l’humanité est en proie à une pandémie provoquée par un champignon appelé cordyceps. Ce dernier est capable de transformer des « infectés » en zombies agressifs et a entraîné l’effondrement de la civilisation. Les rescapés s’organisent tant bien que mal dans un environnement violent dans des zones de quarantaine contrôlées par une organisation militaire, la FEDRA. Des groupes rebelles comme les « Lucioles » luttent contre ce régime autoritaire.


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Des insectes zombifiés

Les développeurs Neil Druckmann et Bruce Staley racontent que l’idée du jeu vidéo est née suite au visionnage d’un épisode de la série documentaire Planète Terre diffusée sur la chaîne BBC.

Cet épisode très impressionnant montre comment le champignon Ophiocordyceps unilateralis qui a infecté une fourmi prend le contrôle sur son hôte en agissant sur le contrôle des muscles pour l’amener à un endroit en hauteur particulièrement propice à la dissémination du mycète vers d’autres fourmis.

Une fourmi infectée par le champignon Ophiocordyceps unilateralis. On la voit accrochée à une feuille en hauteur
Une fourmi infectée par le champignon Ophiocordyceps unilateralis. On la voit accrochée à une feuille en hauteur. David P. Hughes, Maj-Britt Pontoppidan/Wikipedia, CC BY

Certains parlent de fourmis zombies et d’un champignon qui joue le rôle de marionnettiste. Une fois en hauteur, la fourmi plante ses mandibules dans une tige ou une feuille et attend la mort.

De manière surprenante, les fourmis saines sont capables de reconnaître une infection et s’empressent de transporter le congénère infecté le plus loin possible de la colonie. En voici la raison : le champignon présent à l’intérieur de l’insecte va percer sa cuticule et former une fructification (un sporophore) permettant la dissémination des spores (l’équivalent de semences) à l’extérieur. Ces spores produites en grandes quantités sont à l’origine de nouvelles infections lorsqu’elles rencontrent un nouvel hôte.

Bien que spectaculaire, ce n’est pas la seule « manipulation comportementale » connue d’un hôte par un champignon. On peut citer des cas de contrôle du vol de mouches ou de cigales, si bien que l’insecte devient un vecteur mobile pour disséminer largement et efficacement les spores fongiques dans l’environnement. Les mécanismes moléculaires qui supportent le contrôle du comportement des fourmis commencent seulement à être percés, ils sont complexes et semblent faire intervenir un cocktail de toxines et d’enzymes.

La bonne nouvelle est que le scénario d’un saut d’hôte de l’insecte à l’homme est peu crédible, même si ce phénomène est assez fréquent chez les champignons. C’est le cas avec des organismes fongiques initialement parasites d’arthropodes qui se sont finalement spécialisés comme parasites d’autres champignons.

La principale raison est que l’expansion à un nouvel hôte concerne préférentiellement un organisme proche de l’hôte primaire. Il est clair dans notre cas que l’humain et l’insecte ne constituent pas des taxons phylogénétiques rapprochés. Il existe aussi des différences physiologiques majeures, ne serait-ce que la complexité du système immunitaire ou la température du corps, qui constituent un obstacle sans doute infranchissable pour une adaptation du champignon Ophiocordyceps. Un autre facteur favorisant des sauts d’hôte réussis concerne une zone de coexistence par des préférences d’habitat qui se chevauchent au moins partiellement. Là encore on peut estimer que les insectes et les humains ne partagent pas de façon répétée et rapprochée les mêmes micro-niches écologiques, ce qui écarte l’hypothèse d’un saut d’Ophiocordyceps à l’Homme.

De véritables menaces pour les humains

Une fois écartée la menace imminente de la zombification massive, il n’en demeure pas moins que les infections fongiques ont été identifiées par les scientifiques comme un danger de plus en plus préoccupant. Lors des dernières décennies, un nombre croissant de maladies infectieuses d’origine fongique a été recensé que ce soit chez les animaux ou chez les plantes cultivées et sauvages.

L’inquiétude est telle que Sarah Gurr, pathologiste végétal à l’Université d’Oxford, a co-signé un commentaire dans la revue Nature en 2023 qui fait figure d’avertissement. Elle met en garde contre l’impact « dévastateur » que les maladies fongiques des cultures auront sur l’approvisionnement alimentaire mondial si les agences du monde entier ne s’unissent pas pour trouver de nouveaux moyens de combattre l’infection. À l’échelle de la planète, les pertes provoquées par des infections fongiques sont estimées chaque année entre 10 et 23 % des récoltes, malgré l’utilisation généralisée d’antifongiques. Pour cinq cultures fournissant des apports caloriques conséquents, à savoir le riz, le blé, le maïs, le soja et les pommes de terre, les infections provoquent des pertes qui équivalent à une quantité de nourriture suffisante pour fournir 2 000 calories par jour de quelque 600 millions à 4 milliards de personnes pendant un an. La sécurité alimentaire s’apprête donc à faire face à des défis sans précédent car l’augmentation de la population se traduit par une hausse de la demande.

L’impact dévastateur des maladies fongiques sur les cultures devrait de plus s’aggraver dans les années à venir en raison d’une combinaison de facteurs. Tout d’abord, le changement climatique s’accompagne d’une migration régulière des infections fongiques vers les pôles, ce qui signifie que davantage de pays sont susceptibles de connaître une prévalence plus élevée d’infections fongiques endommageant les récoltes.

Ce phénomène pourrait être par exemple à l’origine de l’identification de symptômes de rouille noire du blé en Irlande en 2020. Cette maladie touche exclusivement les parties aériennes de la plante, produisant des pustules externes et perturbant en particulier la nutrition. Elle est à l’origine de pertes de rendements conséquentes, pouvant aller jusqu’à 100 % dans des cas d’infection par des isolats particulièrement virulents.

Ensuite, la généralisation en agriculture des pratiques de monoculture, qui impliquent de vastes zones de cultures génétiquement uniformes, constitue des terrains de reproduction idéaux pour l’émergence rapide de nouveaux variants fongiques. N’oublions pas que les champignons sont des organismes qui évoluent rapidement et qui sont extrêmement adaptables. À cela s’ajoute que les champignons sont incroyablement résistants, restant viables dans le sol pendant plusieurs années, que les spores peuvent voyager dans le monde entier, notamment grâce à des échanges commerciaux de plus en plus intenses. Un dernier point loin d’être négligeable est que les champignons pathogènes continuent à développer une résistance aux fongicides conventionnels.

Des risques pour la santé humaine

L’impact des champignons sur la santé humaine a aussi tendance à être sous-estimé, bien que ces pathogènes infectent des milliards de personnes dans le monde et en tuent plus de 1,5 million par an.

Certains évènements récents préoccupent particulièrement les scientifiques. C’est le cas de Candida auris qui serait le premier pathogène fongique humain à émerger en raison de l’adaptation thermique en réponse au changement climatique. Cette levure constitue une nouvelle menace majeure pour la santé humaine en raison de sa capacité à persister, notamment, dans les hôpitaux et de son taux élevé de résistance aux antifongiques. Depuis le premier cas rapporté en 2009 au Japon, des infections à C. auris ont été signalées dans plus de 40 pays, avec des taux de mortalité compris entre 30 et 60 %. La majorité de ces infections survient chez des patients gravement malades dans des unités de soins intensifs.

L’augmentation alarmante du nombre de pathogènes résistants aux azoles est d’ailleurs une autre source d’inquiétude. Les azoles sont largement utilisés en agriculture comme fongicides, mais ils sont également utilisés en thérapeutique pour traiter les infections fongiques chez les humains et les animaux. Leur double utilisation en agriculture et en clinique a conduit à l’émergence mondiale d’une résistance aux azoles notamment chez C. auris mais aussi chez les champignons du genre Aspergillus. Ceux-ci sont depuis longtemps considérés comme des pathogènes humains majeurs, avec plus de 300 000 patients développant cette infection chaque année.

Les nombreuses émergences et l’identification de la résistance aux antifongiques chez de multiples champignons pathogènes apportent des éléments de poids aux défenseurs du concept « One Health », qui préconisent que les santés humaine, végétale et animale soient considérées comme étroitement interconnectées. Ces chercheurs issus d’universités prestigieuses proposent des recommandations actualisées pour relever les défis scientifiques et de santé publique dans cet environnement changeant.The Conversation

Thomas Guillemette a reçu des financements de l'ANR et de la Région Pays de La Loire.