Sud-Ouest: le disparu ne faisait pas une «retraite spirituelle»
Fait divers. En 2019, à Ribérac (Dordogne), Daniel Guillet disparait… L’article Sud-Ouest: le disparu ne faisait pas une «retraite spirituelle» est apparu en premier sur Causeur.

Fait divers. En 2019, à Ribérac (Dordogne), Daniel Guillet disparait…
Assurément, ni Agatha Christie, la « reine du crime » pourtant pas avare en énigmes tordues, ni Georges Simenon, explorateur implacable des esprits criminels parmi les plus retors, n’auraient pu imaginer histoire pareille tant elle est invraisemblable, mais, cependant, bien réelle. Ni encore moins celle-ci aurait pu servir d’argument à un épisode de la rocambolesque série américaine Columbo si prodigue en meurtres alambiqués.
Le crime était parfait puisqu’à première vue il n’y avait pas eu de crime, juste une intrigante et longue absence. Et comme souvent, ce sera un détail insignifiant qui fera éclater la vérité… à la stupéfaction générale.
Meurtre à Ribérac
Capitale du Périgord Vert, Ribérac est une petite et très tranquille commune rurale de 3 700 habitants, sans édifices ou monuments marquants, située à 40 km au nord de Périgueux, préfecture de la Dordogne. Un pittoresque ruisseau, le Ribéraguet, la traverse. Comme il se doit, elle a sa rue principale bordée de quelques boutiques où on se croise. Peu ou prou, tout le monde se connaît, se salue, échange quelques considérations sur le temps, parfois sur la politique. On est aussi en terre de rugby. On suppute donc sur le prochain match de l’équipe locale. Le vendredi est jour d’un marché très couru. On y potine tout en faisant ses courses.
On y vote depuis toujours majoritairement socialiste. Sauf en 2014 quand aux municipales, la mairie bascula de peu à droite. Mais à l’élection suivante de 2020, la gauche récupéra son bien « ancestral ».
Grâce à une intuition, le nouveau maire socialiste et conseiller régional de Nouvelle Aquitaine, Nicolas Platon, un homme de 58 ans, chauve, au physique rond, aimable, se révélera à son insu être le Hercule Poirot ou le Maigret dans cette déconcertante affaire, à savoir celui qui contribuera à mettre fin au mystère qui taraudait en silence la ville depuis six ans.
Dans les hauts de la cité, avec vue sur celle-ci, la rue Alphonse Daudet avec ses maisons cossues, « avec jardin et haies taillées » des deux côtés, comme l’a décrite le journal régional Sud-Ouest, est le quartier résidentiel. Au numéro 10 vivait Daniel Guillet, portant beau malgré ses 86 ans. Dernier d’une vieille lignée d’imprimeurs, c’était une notabilité de la ville. « Une figure importante de la vie locale », insiste le maire.
C’est chez lui que depuis des générations, on faisait imprimer ses faire-part de naissance, de mariage, de décès, où les associations commandaient leurs affiches. Faute de repreneurs, au mitan de la décennie passée, il avait dû se résigner à baisser définitivement le rideau de son imprimerie fondée par son grand-père et qu’il avait héritée de son père. Située en plein centre-ville, c’est aussi ici qu’on tirait l’hebdo local L’écho du Ribéracois depuis sa fondation en 1947 jusqu’à sa fermeture.
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Vingt ans auparavant, Daniel Guillet s’était remarié avec une femme de 27 ans sa cadette, Corinne Verdière, ce qui lui avait valu une rupture définitive avec ses deux filles, nées d’un premier mariage. Depuis sa retraite, le couple menait une existence discrète. A l’aise financièrement, Daniel Guillet pouvait s’adonner à sa grande passion, les vieilles voitures. Dans son garage, jouxtant son domicile, il les restaurait, les collectionnait et s’offrait des balades à leur volant qui ne passaient pas inaperçues. Tout le monde connaissait sa marotte. Il était devenu « le vieux monsieur aux vieilles bagnoles » qu’on enviait certainement un peu. Ces voitures, « c’était ses bébés », dira encore le maire à l’autre quotidien régional, La Dordogne libre. Puis, soudain, à partir de 2019, on ne l’a plus revu.
Le temps passant, le voisinage a commencé à être intrigué. Sa femme continuait à mener une vie normale, faisant ses courses, sa promenade quotidienne. Et pourquoi donc, se demandait-on, lui, on ne le voit pas, pourquoi il ne bricole plus dans son garage ses vieilles guimbardes, pourquoi ne fait-il plus ses rituelles promenades à bord de celles-ci ? Quand quelqu’un s’aventurait à demander à sa femme : « Madame, ça fait un moment qu’on n’aperçoit plus votre mari. Il va bien ? » sa réponse était presque toujours la même : « Il fait une retraite spirituelle dans un monastère ». À de rares fois, elle disait : « Ces temps-ci, il est en cure ». Une certaine retenue interdisait bien sûr d’en demander davantage. D’autant, comme l’a confié une voisine à Sud-Ouest, qu’elle voyait parfois des chemises blanches étendues dehors. « Je me disais qu’il devait revenir de temps en temps à la maison. »
Nos charmants voisins
C’était une femme « fuyante qui ne discutait jamais après avoir dit bonjour et au revoir en marchant toujours très vite », d’après un autre voisin. Bien sûr que son comportement était un peu bizarre, mais de là à soupçonner… et à se mêler des affaires d’autrui. Les vieux hommes n’ont-ils pas d’étranges lubies parfois ? Alors pourquoi pas « cette retraite spirituelle », surtout quand on sent que la fin approche…
Mais début mars, le maire a vent que les vieilles voitures seraient à vendre. Daniel Guillet, se séparer de ses voitures ? « Ca, je n’ai pas pu le croire, c’était sa plus grande passion. J’ai trouvé ça très suspect, d’autant qu’il n’avait pas besoin d’argent » a-t-il expliqué à La Dordogne libre. Alors, il prend sur lui, il alerte la brigade de Ribérac qui saisit le parquet de Périgueux qui ouvre une enquête préliminaire « pour disparition ». Le procureur Jacques-Edouard Andrault ordonne une perquisition du domicile du supposé disparu.
Le lundi 17 mars, en début de matinée, la rue Alphonse Daudet est le théâtre d’une brusque effervescence. Plusieurs véhicules de la gendarmerie déboulent et s’arrêtent au niveau du numéro 10 dont les volets de la façade restaient clos depuis longtemps. C’est l’émoi dans tout le voisinage. Ce tumulte provoque les aboiements des chiens alentour. Une escouade de gendarmes investit la maison, la passe au peigne fin et, stupeur, font une stupéfiante découverte dans une fosse du garage. Les restes du corps d’un homme y croupissent : ceux de l’octogénaire Daniel Guillet. Son épouse, Corinne Verdière, 59 ans, est arrêtée, avoue qu’elle l’a tué, et est mise en examen pour « meurtre par conjoint et escroquerie ».
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« J’ai eu des premières inquiétudes durant la période du Covid-19. Je voyais parfois son épouse aller faire les courses. Mais lui était invisible, a expliqué à la presse locale le maire. Chaque fois que je la questionnais, elle me disait qu’il allait bien, qu’il s’était retiré dans un monastère et qu’il n’y avait aucun moyen de communiquer avec lui de l’extérieur. Il n’y avait aucune raison s’être suspicieux au sujet du choix de retraite qui aurait pu être un choix de vie légitime. »
Pour expliquer son geste, a indiqué le procureur, « son époux lui avait demandé une relation sexuelle en tenant un couteau à la main » qu’elle avait refusée et pour se défendre lui aurait porté des coups de marteau à la tête. Mais au lieu d’appeler la gendarmerie de dire « j’ai tué mon mari qui me menaçait », et c’est là que l’affaire prend toute sa densité mentale obscure et troublante, quelques jours plus tard, elle décide d’enfouir le corps dans la fosse du garage, le lieu de vie privilégié de la victime qui partageait avec ces voitures qu’il bichonnait. Et elle invente cette histoire plausible de « retraite spirituelle ». Quelles turpitudes de la vie quotidienne du couple l’ont poussée à se murer dans un pesant silence, dans cette dissimulation permanente ?
Pendant les six ans qui suivent, elle va vivre avec ce secret, avec la compagnie omniprésente et silencieuse du cadavre, supporter l’idée que le voisinage ne manquera de suspecter quelque chose. Pour dissiper tout doute, elle va jusqu’imaginer à étendre des chemises blanches du défunt sur le fil à linge du jardin pour qu’on les voit bien. Elle mène une vie de presque recluse. Elle ne sortait que pour faire ses courses, semble-t-il, n’avait de relation avec personne, évitait les rencontres, et le soir, seule avec elle-même et peut-être avec sa mauvaise conscience, elle se préparait un chiche dîner tout en regardant la télévision. Pendant ces six années, elle va percevoir la retraite de feu son époux faire leur déclaration d’impôts, régler les factures, encaisser les revenus de probables placements, avoir accès aux comptes bancaires. Son erreur fatale, a été sa décision de vouloir se défaire des voitures collections… Pour quelle raison ? À la cour d’assisses de le dire.
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