Soumission chimique par benzodiazépines, anxiolytiques ou sédatifs : quels effets ? quelle prise en charge des victimes ? quelle prévention ?

Dans la soumission chimique, l’agresseur a recours à des benzodiazépines, des anxiolytiques apparentés, du GHB, etc. pour obtenir plus qu’une sédation, une perte de volonté consciente de sa victime.

Mar 4, 2025 - 13:52
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Soumission chimique par benzodiazépines, anxiolytiques ou sédatifs : quels effets ? quelle prise en charge des victimes ? quelle prévention ?

Dans la soumission chimique, l’agresseur a recours à des benzodiazépines, d’autres anxiolytiques ou hypnotiques apparentés, du GHB, etc. pour obtenir plus qu’une sédation, une perte de volonté consciente de sa victime en vue d’une agression sexuelle, d’un vol, etc. En France, une enquête nationale est menée tous les ans pour faire le point sur l’ampleur de ce phénomène.


Ces derniers mois, l’affaire Pelicot, fortement médiatisée en France et à l’international, a mis en lumière la problématique de la soumission chimique.


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En 2003, le décès d’un jeune sportif dans un accident de voiture, après un tournoi de tennis, alors que sa bouteille d’eau avait été trafiquée par le père de son adversaire, avait révélé au grand jour l’usage détourné des benzodiazépines dans le cadre d’une soumission chimique, ici pour affaiblir un adversaire sportif.

En décembre 2024, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a engagé un travail avec les firmes pharmaceutiques commercialisant des médicaments susceptibles d’être détournés à des fins de soumission chimique, afin de mettre en place des mesures appropriées pour alerter et protéger les potentielles victimes.


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Soumission chimique : de quoi parle-t-on ?

La soumission chimique n’est pas un phénomène récent. Dès 1983, le Pr Jacqueline Jouglard (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille) alertait sur l’implication des benzodiazépines dans ce phénomène, alors que l’utilisation de ces médicaments considérés comme sûrs devenait de plus en plus importante, notamment en France.

Elle rappelait ainsi que :

« C’est depuis la nuit des temps que des criminels tentent de diminuer les résistances d’une personne pour pouvoir, à leur guise, profiter de ses biens ou de son corps. L’effet recherché avec les benzodiazépines n’est pas une simple sédation confinant à l’endormissement, mais une perte de contrôle de soi, de sa volonté consciente, avec désinhibition et persistance d’un état de veille permettant à la victime de se soumettre à la demande de son agresseur sans en garder le souvenir. Soumettre quelqu’un, c’est le faire agir selon son bon vouloir, ce n’est pas simplement se servir de quelqu’un qui s’enfonce dans un sommeil, perd ses résistances et reste passif, incapable d’actions. »

Elle a ainsi proposé le terme de « soumission médicamenteuse », devenue ultérieurement « soumission chimique » devant l’étendue des substances utilisées au-delà des médicaments.

La soumission chimique consiste en l’administration d’une substance psychoactive (quel que soit son statut) à l’insu d’une victime (voire d’un groupe de victimes) ou sous la menace, à des fins délictueuses ou criminelles (vol, détournement d’argent, captation d’héritage, agression sexuelle, viol, inceste…).

Elle se distingue de la vulnérabilité chimique qui désigne un état de fragilité induit par la consommation volontaire d’une substance psychoactive ayant rendu la personne plus vulnérable à une agression (consommation d’alcool, par exemple).

Une mobilisation française de longue date

En France, les autorités sanitaires, et plus spécifiquement l’Agence du médicament, se sont emparées dès 1997 de ce sujet en lien avec la Direction générale de la santé, le ministère de la justice ainsi que les services de police et de gendarmerie.

Cela a conduit, en 2002, à l’établissement d’une circulaire codifiant les modalités de prises en charge des victimes de soumission chimique.

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Depuis 2003, l’Agence du médicament a mis en place une enquête nationale afin de disposer de données objectives sur les cas suspects de soumission chimique, d’identifier les substances en cause (médicaments ou autres substances), de définir les contextes des agressions et les modus operandi des agresseurs et d’évaluer les conséquences cliniques.

Cette enquête est réalisée chaque année à partir des signalements remontés par les 13 centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A) répartis sur l’ensemble du territoire. Ils sont chargés localement du recueil et de l’évaluation des cas notamment via les services hospitaliers, les urgences médicales et médico-judiciaires, les laboratoires d’analyses toxicologiques, les centres régionaux de pharmacovigilance et les centres antipoison. Les pharmacologues des CEIP-A suivent aussi de près les complications cliniques liées à l’usage détourné des substances psychoactives.

Chaque année, les résultats nationaux du rapport d’enquête sont accessibles à tous

Le CEIP-A de Paris, responsable de l’enquête nationale, analyse et synthétise les données recueillies dans les régions, donnant lieu chaque année à un rapport, dont les résultats principaux sont accessibles à tous.

Cette analyse suit l’évolution du nombre de cas de soumission chimique vraisemblables, qui a plus que doublé sur les cinq dernières années : 38 cas en 2018, 53 en 2019, 60 en 2020, 82 en 2021 et 97 en 2022.

Ce travail méthodique permet en effet de dénombrer et de distinguer, parmi les signalements, les cas avérés (vraisemblables) de soumission chimique (caractérisés par l’existence d’un agresseur, d’une victime, l’administration d’une substance psychoactive identifiée formellement dans une analyse toxicologique parfois sophistiquée, par exemple par analyse de cheveux), de ce qui relève de cas de vulnérabilité chimique (l’acte délictueux ou criminel subi par une victime ayant consommé le produit de sa propre initiative).

Cette analyse systématique a, par exemple, permis d’écarter les signalements en lien avec les piqûres (needle spiking), phénomène médiatisé en 2022, pour lequel aucune substance n’a pu être mise en évidence lors d’analyses appropriées, comme ce fut le cas dans d’autres pays.

Benzodiazépines : pourquoi ces médicaments, et avec quels effets ?

La soumission chimique se caractérise par la variété des produits utilisés. Le GHB (gamma-hydroxybutyrate) est rarement le produit concerné (contrairement à ce que beaucoup de médias relaient à tort). Les benzodiazépines (alprazolam, bromazépam, clonazépam, lorazépam…) et leurs « apparentés » (zopiclone et zolpidem) représentent à elles seules près de 50 % des produits incriminés.

Ces médicaments incolores, inodores et souvent sans goût peuvent passer inaperçus dans les boissons et dans les aliments, d’autant qu’ils sont souvent réduits en poudre. Leur effet est rapide, de l’ordre de quelques minutes.

Comme les benzodiazépines entraînent ce que l’on appelle une amnésie antérograde par une diminution de la fixation des évènements survenus pendant leur durée d’action, la victime amnésique des faits prend connaissance des actes effectués, soit sur des preuves matérielles (utilisation frauduleuse de sa carte bancaire…), soit sur des désordres vestimentaires, traces d’actes sexuels, soit par des témoins qui lui décrivent les faits.

Quelle prise en charge des victimes ?

La prise en charge d’une victime de soumission chimique doit avoir lieu le plus rapidement possible. Elle doit comporter :

  • un interrogatoire médical,

  • un examen clinique complet,

  • des frottis vaginaux, anaux, buccaux, selon l’orientation clinique et l’interrogatoire,

  • des prélèvements sanguins (profil sérologique notamment pour les infections sexuellement transmissibles, dosage bêta HCG pour exclure une grossesse…),

  • des prélèvements sanguins et urinaires pour des analyses toxicologiques (à prélever en double pour des prélèvements dits conservatoires en vue d’une éventuelle contre-expertise ultérieure),

  • un recueil des échantillons susceptibles d’avoir contenu le produit suspecté ou en cause (verre, aliments, vêtement…),

  • un suivi psychologique par des professionnels de santé.

De plus, il est absolument nécessaire d’encourager la victime à déposer une plainte.

La première étape est donc de savoir identifier une suspicion de soumission chimique. Si cela est aisé quand la victime l’évoque directement ou présente des troubles de la mémoire avec des signes de violences physiques, cette démarche est plus difficile chez un sujet vulnérable notamment du fait de son âge (cas des enfants « chimiquement battus » à qui des sédatifs sont administrés).

Prévention du grand public et sensibilisation des professionnels

Cette problématique nécessite la mobilisation de tous et doit comporter :

  • Une information du grand public sur ce qu’est la soumission chimique :

il convient notamment d’appeler à la vigilance dans les lieux festifs (ne pas quitter des yeux son verre ni accepter un verre d’un inconnu), même si des cas surviennent aussi dans la sphère privée et sont souvent sous-estimés lorsqu’il s’agit d’enfants victimes de leur entourage.

  • Une sensibilisation des services de police et de gendarmerie :

ils peuvent être les premiers interlocuteurs de la victime notamment pour le dépôt de plainte. À ce niveau, des obstacles ont été soulevés concernant l’exigence de la part de la victime de la preuve de ses allégations, souvent impossible vu son état. Leur rôle est également essentiel pour orienter la victime vers les services médicaux et mener l’enquête d’investigation.

  • Une mobilisation des autorités sanitaires et notamment de l’Agence du médicament :

l’ANSM s’investit pour mettre à disposition des médicaments rendant plus difficile une administration à l’insu (du fait de la couleur ou du goût) – pistes et axes ont été détaillés dans une expertise collective de l’Inserm. Certaines de ces mesures (coloration en bleu de formes buvables, inscription sur la liste des stupéfiants de certaines benzodiazépines) avaient d’ailleurs contribué à modifier le panorama des substances retrouvées dans les analyses toxicologiques.

  • Une sensibilisation des professionnels de santé :

la facilité d’accès à un médicament est aussi un facteur facilitant pour le détourner. Il convient donc d’être particulièrement vigilant sur la prescription des benzodiazépines ou apparentés – tant lors de la prescription initiale que du renouvellement. Sans oublier que la prescription des hypnotiques est limitée à une durée maximale de quatre semaines, et à 12 semaines maximum pour les anxiolytiques.

Enfin, cette sensibilisation doit concerner les médecins généralistes, urgentistes, gynécologues… pour une meilleure connaissance des tableaux cliniques devant faire suspecter une soumission chimique, afin d’optimiser la prise en charge de la victime potentielle et réaliser le plus rapidement des prélèvements toxicologiques (sang, urines).The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.