Slovaquie : la société civile vent debout face au pouvoir autoritaire et prorusse

La société civile slovaque se mobilise pour protester contre la politique illibérale mise en oeuvre par le premier ministre populiste Robert Fico. Elle appelle à sa démission.

Mar 25, 2025 - 18:06
 0
Slovaquie : la société civile vent debout face au pouvoir autoritaire et prorusse

La Slovaquie est traversée par une crise sociale et politique majeure. Pour protester contre le gouvernement, et plus particulièrement contre le premier ministre, Robert Fico, la société civile se mobilise : manifestations massives, multiplication des pétitions… autant de moyens d’action pour dénoncer les dérives autoritaires de Fico et appeler à sa démission.


Alors que la société slovaque apparaît aujourd’hui profondément divisée, la scène politique du pays se caractérise par une instabilité croissante et une montée en puissance des discours populistes. Plusieurs événements successifs ont attisé les mécontentements et les protestations qui se focalisent désormais sur la personnalité du premier ministre, Robert Fico.

Les élections législatives d’octobre 2023 ont vu s’affronter deux visions radicalement opposées de la politique slovaque : d’un côté, des partis progressistes qui prônent une plus grande intégration européenne et des réformes en profondeur ; de l’autre, des formations populistes et eurosceptiques qui développent un discours nationaliste et identitaire, critique envers l’UE et l’OTAN, et très compréhensif à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine. Au premier rang de celles-ci, on retrouve le SMER-SD, le parti social-démocrate et populiste de Robert Fico, qui avait déjà exercé la fonction de premier ministre de 2006 à 2010, puis de 2012 à 2018. En capitalisant sur le mécontentement d’une partie de l’électorat, le SMER-SD a réussi à mobiliser un large soutien, notamment dans les régions les plus défavorisées du pays, et à porter une nouvelle fois son leader à la tête du gouvernement.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


En 2024, l’élection présidentielle, qui s’est soldée par la victoire de Peter Pellegrini, un allié de Robert Fico (le rôle du président est moins important, en matière de pouvoir exécutif, que celui du premier ministre), puis les élections européennes, où le SMER-SD a été légèrement devancé par le parti libéral et pro-UE Slovaquie progressiste, ont encore accentué les divisions. Celles-ci avaient été exacerbées, entre les deux scrutins, par l’attentat qui a failli coûter la vie à Robert Fico, le 15 mai 2024. Les discours de haine et les attaques personnelles se sont ensuite multipliés.

Le pouvoir est actuellement exercé par une coalition gouvernementale très fragile, regroupant des partis aux idéologies parfois divergentes, alors que la Slovaquie doit concilier ses intérêts nationaux avec les exigences de l’Union européenne. S’y ajoute la corruption, un problème endémique qui continue d’éroder la confiance des citoyens dans les institutions et freine le développement du pays.

Mobilisations et pétitions comme moyen de contestation

Lors de ces différentes élections, le SMER-SD a surtout bénéficié du soutien des habitants des zones rurales et des personnes âgées. Ces dernières ont été séduites par son discours populiste sur la protection sociale, le rejet des élites, la critique de l’immigration et la priorité donnée à « la paix aux frontières slovaques » (entendre : le refus d’un alignement sur l’appui de la plupart des pays de l’UE à l’Ukraine en guerre), discours largement relayé par les médias progouvernementaux et sur les réseaux sociaux, y compris par l’usage de fake news.

Face à la montée du populisme et à l’inquiétude liée à la fragmentation de la population, une partie de la société civile slovaque se mobilise depuis les dernières élections législatives pour défendre les valeurs démocratiques et les droits humains, en particulier la protection contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle.

Des manifestations et des actions citoyennes sont régulièrement organisées pour exprimer le mécontentement de la population et demander des changements. Des dizaines de milliers de personnes se rassemblent chaque semaine, surtout à Bratislava et à Kosice, la deuxième ville du pays. D’abord réunies pour protester contre la suppression du bureau du procureur spécial en charge de la lutte anticorruption, elles ont ensuite dénoncé les attaques du pouvoir contre les médias indépendants et l’alignement de Fico sur Vladimir Poutine dans le dossier ukrainien, avant d’exprimer leur opposition radicale à Robert Fico et à son gouvernement au sens large.

Dans le même temps, de nombreuses initiatives ont été prises pour promouvoir la démocratie, les droits humains et les valeurs européennes. À travers l’organisation de campagnes de sensibilisation et de débats publics, les ONG, mouvements citoyens et médias indépendants jouent actuellement un rôle essentiel dans l’information des citoyens. Le conflit qui a opposé une partie de la société civile au ministère de la culture sur des questions liées à la liberté d’expression et à la protection du patrimoine culturel a mis en évidence les tensions entre les défenseurs des valeurs démocratiques et un gouvernement accusé de vouloir restreindre les libertés individuelles.

En décembre, l’apparition de Robert Fico à la télévision russe et la confirmation de sa présence aux commémorations du Jour de la victoire du mois de mai 2025 à Moscou ont suscité des réactions importantes. Les partis d’opposition appellent à manifester partout en Slovaquie. Malgré le froid hivernal, les manifestations rassemblent plus de 60 000 manifestants à Bratislava et des dizaines de milliers dans les autres villes.

Une autre forme de protestation a pris une ampleur inédite en Slovaquie : pétitions et lettres ouvertes se sont multipliées, s’adressant au gouvernement slovaque et s’attaquant à la personnalité même de Robert Fico.

Magda Vasaryova, ancienne secrétaire d’État aux affaires étrangères et ambassadrice en République tchèque, dénonce ainsi, dans une pétition publiée début novembre 2024, les agissements du premier ministre :

« Nous protestons contre ses démarches volontaristes qui depuis longtemps discréditent la République slovaque auprès des alliés et des États coopérants […]. Aucun pouvoir obtenu lors d’élections libres ne peut être transformé en une tentative de gouverner à vie au mépris des règles d’un État démocratique. »

Une deuxième pétition est initiée par des psychiatres et psychologues qui s’alarment du comportement du premier ministre, « caractérisé par un style de plus en plus autoritaire, la manipulation des faits, le mensonge, la diffamation » :

« Votre comportement politique et vos positions proclamées polarisent la société et […] génèrent frustration et mécontentement. Il semble que l’agressivité et l’explosivité émotionnelle dans vos apparitions publiques soient devenues plus prononcées après la tentative d’assassinat dont vous avez été victime. […] Nous espérons que vous développerez votre capacité d’introspection et que vous aurez la possibilité de corriger votre comportement politique, y compris d’envisager de quitter la haute politique. »

D’autres pétitions et lettres ouvertes réunissent des milliers de signataires – universitaires, entrepreneurs, investisseurs, membres d’associations. Elles traduisent leur indignation vis-à-vis de la gestion des affaires publiques et de la politique étrangère et leur inquiétude face aux attaques verbales contre les ONG et les associations citoyennes qui « rappellent les anciens régimes totalitaires (fascistes et communistes), qui ont suivi des étapes similaires pour établir un ordre politique non démocratique ».

En réaction, les soutiens du gouvernement s’emparent eux aussi de ce nouveau moyen de mobilisation. Ils diffusent leurs propres pétitions, comme celle du 27 janvier 2025, qui dénonce les ONG financées par des « forces étrangères », accusées de remettre en cause la « souveraineté nationale », la « démocratie » et la « stabilité politique » – les manifestations étant, selon eux, organisées « sous l’influence de forces étrangères ».

Quelles perspectives pour le gouvernement Fico ?

En janvier 2025, la Slovaquie a été la cible d’une série de cyberattaques de grande ampleur. Des infrastructures critiques comme les services du cadastre ou la Compagnie générale d’assurance maladie ont été touchés, à différents degrés de gravité.

Robert Fico y a vu un complot visant à aggraver les tensions et à déstabiliser la République slovaque. Il a dénoncé une tentative de coup d’État grâce à un plan d’occupation de bâtiments gouvernementaux, de blocage des routes et d’organisation de grèves nationales. Pour lui, les responsables de ces cyberattaques ne sont autres que les représentants de l’opposition, d’ONG financées par l’étranger, d’une grande partie des médias antigouvernementaux slovaques et d’agents étrangers – ceux-là mêmes qui participeraient aux désordres en Géorgie ou qui auraient provoqué le soulèvement populaire en Ukraine en 2014.

En outre, le gouvernement slovaque continue de s’isoler sur la scène européenne, notamment en raison de ses prises de position vis-à-vis de l’Ukraine ou de l’État de droit. Les tensions peuvent encore s’aggraver si le gouvernement persiste dans ses réformes autoritaires et/ou si l’économie continue de stagner. L’UE peut aussi décider d’intensifier sa pression sur le gouvernement et de lancer des procédures contre Bratislava pour atteinte à l’État de droit. Et sans changement de ligne de la part du pouvoir, la mobilisation citoyenne se poursuivra.

La crise politique et sociale actuelle est telle qu’elle pousse une partie du corps social à se mobiliser selon des modalités anciennes (les manifestations) et plus récentes (les pétitions en ligne). À travers ces mobilisations, la société civile s’attaque non seulement à une ligne idéologique contestée, mais aussi à la personnalité et au comportement d’un seul homme, le premier ministre. Sa démission, attendue comme en 2018 – elle était alors intervenue après le scandale national provoqué par l’assassinat par balles d’un journaliste qui enquêtait sur la corruption du pouvoir, ainsi que de sa fiancée – ne suffirait toutefois pas à résoudre tous les problèmes…The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.