Sax, danse et encre de Chine
Les Dessous chics... L’article Sax, danse et encre de Chine est apparu en premier sur Causeur.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
À Amiens, il est célèbre dans les milieux artistiques et underground. Lorsqu’on évoque le nom de Jean Detrémont aux habitués de La Briqueterie et/ou de La Maison du Colonel, leurs yeux s’allument de plaisir. On les comprend. Jean est un poète délicat, dadaïste et inspiré comme un merle anarchiste sur une barricade de 1870, rue de Vaugirard. Ses mots se suivent, se retournent, se mordent, s’enfuient en riant et en laissant derrière eux une pluie de confettis poétiques, doux comme le crépon sur la peau tendre d’une rousse vingtenaire.
A lire aussi: Leur mère ne s’est pas ratée !
Il y a du Tristan Tzara, du Picabia, du Ribemont-Dessaignes et du Restif de La Bretonne dans les poèmes du sieur Detrémont. Mêmes influences et mêmes atmosphères dans ses dessins réalisés à l’encre de Chine et aux pinceaux moyens ; c’est délicat, frais, élancé comme des corps de femmes qui dansent, s’élèvent comme pour caresser les poils nuageux et duveteux du ventre du ciel (Les coquines !) On dirait des souffles ; oui, des souffles. Comme les souffles qu’il nous donne à entendre lorsqu’il improvise avec son saxophone soprano, cette manière de clarinette dont le bois aurait rouillé pour se transformer en cuivre. Jean est bon en tout : en poèmes, en dessins et en saxophone. Il est bon car il est libre. Nous nous connaissons depuis des années, lui et moi. Nous nous sommes rencontrés au cœur des années 1990, à la Lune des Pirates, à la faveur d’un concert improbable. Nous avons découvert que nous avions des amis en commun : l’écrivain et homme de radio Roger Vrigny, et le romancier, poète et confesseur – à la radio – de Paul Léautaud, Robert Mallet. Deux hommes exquis, talentueux ; ils nous manquent. Tout cela rapproche. Alors, il y a peu, quand j’ai appris que Jean organisait une exposition jusqu’au 11 avril, de dix-neuf de ses dessins à l’encre de Chine, au café Côté Jardin, à la Maison de la culture – la MACU – (« Moi, je ne dis pas Côté Jardin, mais Macubar ; ça fait plus Simenon », sourit-il), j’en attrapé la main aux ongles vernis de rose de ma Sauvageonne pour l’entraîner vers l’événement. Notre homme était là, devant ses œuvres. Il y avait du monde. Nous avons observé les dessins un par un ; ma Sauvageonne, comme la plupart des visiteurs, y voyait des corps de danseuses élancées. J’étais d’accord, sauf pour un où j’ai cru apercevoir une chèvre. Ma Sauvageonne l’a répété à Jean qui a ri aux éclats. « En fait, je ne fais aucune interprétation précise », m’a-t-il avoué. « Je rédige mes poèmes avant de dessiner. » C’est un peu ce qu’a fait l’écrivain et poète Sylvie Payet qui a bien observé, un par un, les fameux dessins et a écrit un poème de dix-neuf vers. (Un vers par dessin.) On pouvait le lire sur place ainsi que d’autres poèmes de Detrémont 1er, prince des créateurs. Des dessins, il en a fait cinq ou six mille, « mais seuls cinq cents sont exploitables », reconnaît-il. « Je ne leur donne pas de titre car je n’aime pas les cadres. Je ne vois rien dans mes œuvres. » Il ne voit peut-être rien dans ses dessins, cela ne l’empêche pas d’avoir du souffle. Soudain, il a attrapé son saxophone ; Marie-Laure Duplessis et Mouhcine se sont mis à danser sur le fil cuivré de l’instrument de Jean. C’était beau, superbe, magnifique, magique. Les formes gracieuses et sombres de Marie-Laure et de Mouhcine, portées par les effets de lumière. Ma Sauvageonne et moi étions ailleurs, ballottés par les petits cris de l’alto comme dans les entrailles d’un hippopotame volant, fascinés par les ombres des danseurs comme un Cendrars émerveillé par les danseuses du Brésil. Ma sauvageonne était tellement bousculée qu’elle en a perdu ses clés de voitures. On les a retrouvées le lendemain, comme par miracle. On n’a rien compris. Mais est-il nécessaire de tout comprendre pour être heureux ?
L’article Sax, danse et encre de Chine est apparu en premier sur Causeur.