Pourquoi la France ne restituera pas la dette d’Haïti dite «dette de l’indépendance»

Le 17 avril, le président Macron a semblé émettre une fin de non-recevoir à la mouvance réparationniste qui réclamait à la France le remboursement de la dette de l’indépendance d’Haïti exigée en 1825 et estimée à 21 milliards d’euros. Aussi convient-il de rappeler les tenants et aboutissants de cette fameuse dette payée par l’ancienne colonie entre 1825 et 1893... L’article Pourquoi la France ne restituera pas la dette d’Haïti dite «dette de l’indépendance» est apparu en premier sur Causeur.

Avr 19, 2025 - 11:56
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Pourquoi la France ne restituera pas la dette d’Haïti dite «dette de l’indépendance»

Dans un communiqué de l’Élysée publié jeudi, Emmanuel Macron a donné le sentiment de rejeter la revendication portée par les mouvements réparationnistes, décoloniaux et d’ultra-gauche, concernant le remboursement par la France de l’indemnité imposée à Haïti en 1825 pour la reconnaissance de son indépendance, aujourd’hui estimée à 21 milliards d’euros. Cette revendication s’appuyait sur de nombreux anachronismes, contresens, et raccourcis


Le 17 avril 1825, le roi Charles X reconnaissait l’indépendance d’Haïti, en échange d’une indemnité.

Le 17 avril 2025, le président Macron a semblé émettre une fin de non-recevoir à la mouvance réparationniste qui réclamait à la France le remboursement de la dette de l’indépendance d’Haïti exigée en 1825 et estimée à 21 milliards d’euros. Aussi convient-il de rappeler les tenants et aboutissants de cette fameuse dette payée par l’ancienne colonie entre 1825 et 1893.

L’achat de l’indépendance est une proposition haïtienne, vieille de deux siècles !

La France avait été battue par l’armée indigène à Vertières en 1803, mais ne s’avouait pas vaincue définitivement pour autant, les Français tenant toujours l’est de l’île. Tant qu’un traité de paix reconnaissant vainqueur et vaincu et fixant les conditions définitives du conflit n’était pas signé, rien n’était fini et l’ensemble des nations se refusait à reconnaître la légitimité d’Haïti. L’indépendance d’Haïti en 1804 ne pouvait donc être considérée unilatéralement comme un fait acquis, ce que les dirigeants haïtiens Pétion puis Boyer avaient compris.

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L’idée de l’indemnité à payer par Haïti à la France a été proposée pour la première fois par le président haïtien Pétion en juillet 1814, avant d’être reprise par son successeur Boyer. La proposition d’indemnisation avancée par les dirigeants haïtiens permettait ainsi de tuer dans l’œuf tout scénario de retour à l’ordre colonial et des anciens colons dans l’île – ce qui pour eux était un objectif non négociable. Les colons français n’ont jamais demandé à être indemnisés. Ils exigeaient le retour à l’ordre colonial d’avant 1789 pour les plus durs ou acceptaient une évolution du système et le retour de leurs propriétés pour les plus réalistes. Pour la France, l’indemnité permettait de satisfaire à moindre frais le lobby des colons et ses revendications. Les deux gouvernements se sont donc rapidement entendus pour s’engager vers cette solution.

La dette de l’indépendance était une dette privée, et l’État français était perdant !

Contrairement à une idée trop répandue, l’État français ne s’est pas enrichi et a renoncé à faire valoir ses droits à l’indemnisation sur ses propriétés. S’agissant d’une dette privée entre l’État haïtien et les colons, il n’a joué qu’un rôle d’intermédiaire entre ceux-ci via la Caisse des Dépôts et Consignations, qui ne s’est pas plus enrichi, ayant reversé la quasi-totalité des montants perçus aux ayants droits des colons jusqu’à extinction des règlements haïtiens.

Dans cette histoire, le remboursement par Haïti des 150 millions ramenés à 90 en 1838, n’a guère profité aux anciens colons et à leurs ayant-droits, qui n’ont été indemnisés qu’à hauteur de 10% de la valeur de leurs biens. Pas plus qu’à leurs créanciers qui n’ont récupéré que 10% de leurs créances  ni guère aux souscripteurs français de l’emprunt d’Haïti de 1825 (de 30 millions pour couvrir la première annuité). Indemnitaires et adjudicateurs ont été les grands perdants de l’affaire et furent sacrifiés par le gouvernement français. Seuls quelques banquiers (Laffitte et Rothschild) ont habilement tiré leur épingle du jeu.

L’élite et l’État haïtien ont de lourdes responsabilités dans la ruine d’Haïti

Aux effets pervers et tragiques contenus dans l’Ordonnance de 1825, imposée à Boyer dans un contexte de chantage explicite, qui sanctionnait onze années de négociations non abouties, se sont ajoutés un contexte local (État faible, prévarication des élites) et économique calamiteux (effondrement de 75% des cours du café – la seule ressource d’Haïti) condamnant Haïti à une double peine. Si l’indemnité de 1825 a été, certes, philosophiquement scandaleuse, les conditions de l’emprunt de 1825, bien que là encore, contestables, ont été moins pires que celles des emprunts contractés par Haïti dans la période de la fin du XIXe et jusqu’à l’occupation américaine de 1915-1934, période qui a été aussi désastreuse sinon pire pour le pays.

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Si la dette de l’indépendance a grevé les finances d’Haïti et représenté un handicap majeur, aux effets économiques durables, rien n’indique que sans ce lourd fardeau Haïti aurait connu un essor idyllique et vertueux ou qu’elle aurait retrouvé son aura d’avant 1789. L’effondrement du pays depuis l’indépendance a d’autres causes plus profondes qui existaient avant le problème de la dette et ont aussi perduré bien après le règlement définitif de celle-ci en 1893.

Une revendication définitivement close ?

Rétablir la vérité des faits concernant le sujet de la dette de l’indépendance d’Haïti ne vise pas à dédouaner la France de toute responsabilité. Il est très facile, aujourd’hui en 2025, de s’autoproclamer avocat des nobles causes et d’accuser la France de tous les maux en accumulant anachronismes, amalgames, contre-sens et raccourcis historiques.

Rien que de plus facile que de juger l’histoire avec les idées généreuses d’aujourd’hui, rien de plus difficile que de l’étudier, la comprendre et la restituer dans son contexte de l’époque.

Quant à rembourser Haïti des 21 milliards – montant avancé sur quelle base d’ailleurs ? – ce n’est pas à l’État français, qui y a laissé des plumes de rembourser une dette privée dont le montant a disparu, éclaté entre des dizaines de milliers de petits bénéficiaires (25838 personnes en 1838 !) qui ne sont pas enrichis pour autant. Par-delà la sueur, les crimes et le sang de l’esclavage, de la guerre d’indépendance et de l’affaire de la reconnaissance d’Haïti, la France à un devoir à l’endroit du développement d’Haïti par un renforcement des actions de coopération. Mais aussi une dette culturelle, une dette mémorielle, une dette militaire, une dette linguistique. Ce sera l’affaire de la commission mixte franco-haïtienne proposée par le président Macron.

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