Lyrique: Dante & Dusapin, c’est du lourd!

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Mar 24, 2025 - 17:19
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Lyrique: Dante & Dusapin, c’est du lourd!

La Divine Comédie de Dante semble résister à toute adaptation. Pascal Dusapin relève le défi !


Quoi de moins opératique, a priori, que Dante ? La Divine comédie, immense poème ésotérique, épopée composite, transcrite, diffusée, traduite au fil des siècles dans toutes les langues de la terre, se prête difficilement, et c’est peu dire, à une transposition sous forme de livret. C’est pourtant à l’œuvre intimidante du génial Florentin que s’attaque Pascal Dusapin dans Il viaggio, Dante, traversée lyrique qui s’agrège également La Vita nova et La Commedia, aux deux extrémités biographiques de l’aède médiéval (1265-67/1321).

Difficile d’accès

Créé au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2022, le spectacle est repris à l’Opéra-Bastille, jusqu’ au 6 avril prochain.  Sous les auspices de l’écrivain, poète et traducteur Frédéric Boyer, (en outre actuel directeur des éditions P.O.L) associé déjà par le passé au compositeur contemporain pour l’opéra Macbeth Underworld en 2019, le présent « opéra  en un prologue et sept tableaux » chemine donc dans ce monument vertigineux, pèlerinage dont les stations prennent nom ici :  Le départ, Chant de deuil, les Limbes, Les Cercles de l’enfer, Sortir du noir, Purgatoire, Le Paradis

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Il revient à Claus Guth, metteur en scène infiniment talentueux de donner chair à ce corpus passablement abstrait et difficile d’accès. (Hasard du calendrier, l’Opéra-Comique  reprenait, presque concurremment, la production aixoise de Samson, superbe « réinvention » d’une œuvre oubliée de Rameau). A l’enseigne de Dante, sous les ors du Palais Garnier, le rideau blanc, rigide et plissé qui ferme le plateau dans toute sa largeur se lève sur une sorte de cabinet de travail simplement meublé dans le goût XIXème, pièce percée d’une fenêtre dont les jalousies ouvrent sur la clarté du jour. Au mur, à côté de la table de travail, se reconnaît, encadré, le tableau de Botticelli qui dépeint L’Enfer tel un entonnoir où tournoient les âmes damnées…  Là, un Dante agonisant, costume noir, chemise blanche maculée de sang, revisite en pensée son amour pour Béatrice, voyageant à la recherche de ses souvenirs enfouis. Il est redoublé par la figure du « Giovane Dante » qu’il fut, grimé en jeune homme par une voix de mezzo. Les parois s’écartent bientôt, pour déployer en vidéo (signée Roland Horvath) sur grand écran en fond de scène, l’accident de voiture  qui, dans un nocturne paysage sylvestre, a supposément ravi Béatrice au poète… Les cercles de l’enfer développent leurs arcanes, figurées par les tonalités verdâtres d’un décor qui convoque toutes sortes de réminiscences, dont celles, incidemment, des univers propres à Lynch ou à Cronenberg (cf. le film Crash)…

IL VIAGGIO DANTE Opéra de Paris.

Tableaux oppressants

Sept tableaux hallucinés, donc, pour porter cette œuvre lyrique qui tient plus de l’oratorio que de l’opéra, sous la baguette de l’émérite maestro américain Kent Nagano. Il dirige avec le brio, la netteté qu’on lui connaît cette partition aride, angoissée, qui associe les chœurs (dans la fosse) à une orchestration où orgue, percussions (très présentes), voire  harmonica de verre et dispositif électroacoustique se combinent aux instruments traditionnels d’une formation classique, pour former une texture dense, oppressante, monodique, transpercée de citations mélodiques où transparaissent tout aussi bien telle phrase évoquant Puccini que tel morceau grégorien.. C’est donc sur ce spectre expressif éclectique, tonnant, privilégiant le registre grave, que montent les voix alternées du vieux Dante – le baryton Bo Skovhus – , de Béatrice – la soprano Jennifer France -, de la sainte Lucie – Danae Kontora – , de Virgile – la basse américaine David Leigh… Vocalement, la part la plus belle du spectacle revient sans aucun doute au jeune Dante, campé en travesti par la jeune mezzo allemande Christel Loetzsch, qu’on découvre sur la scène parisienne. Ses tourments se fichent en nous comme autant de flèches.  

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On se souvient qu’à Pascal Dusapin le président Macron passait commande, en 2020, d’une œuvre – In Nomine Lucis –  pour célébrer l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix. À 69 ans, Dusapin ne serait-il pas devenu, en quelque sorte, le compositeur officiel de la République française ? En tout cas, Dusapin à l’enseigne de Dante, c’est encore du lourd !     


Il viaggio, Dante. Opéra de Pascal Dusapin. Avec Bo Skovhus, David Leigh, Christel Loetzsch, Jennifer France, Danae Kontora, Dominique Visse et Giaccomo Prestia (narrateur). Direction : Kent Nagano. Mise en scène : Claus Guth. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 2h
Palais Garnier, les 26, 28 mars, 3 et 9 avril à 20h. Le 6 avril à 14h30.      

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