Brésil: la misère n’est pas moins terrible au soleil
Quand nous avons demandé à notre ami Driss Ghali, fin connaisseur de l’Amérique latine, comment les mafias ont pu prendre le contrôle de dizaines de quartiers au Brésil et pourquoi une guerre leur est désormais menée avec des moyens militaires, il nous a répondu avec ce texte, initialement paru sur le site lusophone DefesaNet et traduit par ses soins, dont l’auteur est l’un des plus hauts gradés des forces de sécurité du pays. Docteur en sciences policières et sous-commandant du 21e Bataillon de l'Intérieur, Erich Nelson Cardoso Hoffmann y fait le point sur les opérations qui se déroulent actuellement dans les favelas de São Paulo pour y restaurer le droit et l’autorité... L’article Brésil: la misère n’est pas moins terrible au soleil est apparu en premier sur Causeur.

Quand nous avons demandé à notre ami Driss Ghali, fin connaisseur de l’Amérique latine, comment les mafias ont pu prendre le contrôle de dizaines de quartiers au Brésil et pourquoi une guerre leur est désormais menée avec des moyens militaires, il nous a répondu avec ce texte, initialement paru sur le site lusophone DefesaNet et traduit par ses soins, dont l’auteur est l’un des plus hauts gradés des forces de sécurité du pays. Docteur en sciences policières et sous-commandant du 21e Bataillon de l’Intérieur, Erich Nelson Cardoso Hoffmann y fait le point sur les opérations qui se déroulent actuellement dans les favelas de São Paulo pour y restaurer le droit et l’autorité.
Dans les ruelles étroites, les maisons sur pilotis et les escaliers à flanc de montagne qui font le décor des favelas brésiliennes, règne une oppression silencieuse et brutale. Des criminels y ont tissé, au moyen de la peur et de l’intimidation, une toile d’araignée qui piège tout le monde dans un cycle de violence et d’insécurité.
Depuis le début du mois de février 2024, la police militaire de l’Etat de São Paulo mène la troisième phase de l’« Opération Eté », dans les villes de la Baixada Santista, une frange littorale de 150 km de long, peuplée de 2 millions d’habitants environ et dont le pôle principal est la ville portuaire de Santos. Cette opération a apporté un soulagement à la population oubliée des favelas qui vit sous la coupe d’une organisation criminelle qui contrôle non seulement le crime mais aussi la vie quotidienne des hommes et des femmes relégués dans ces endroits.
Dans un territoire où règne une cruelle loi du silence, la présence policière apporte un répit aux habitants en même temps qu’elle maintient l’ordre et la paix civile. Cette opération atteste de l’engagement indéfectible de la police en faveur de la protection et de la libération des riverains soumis au joug du crime organisé.
La peur comme compagnon
Après une intervention qui a abouti à l’arrestation de criminels dans une favela, un habitant soulagé a pris à part un policier : « Ils ont été très effrontés avec nous, se promenant armés en plein jour, devant nos enfants. » Telle est la réaction de la majorité de la population quelle que soit la favela où la police intervient – une majorité silencieuse cependant, qui ne peut pas exprimer publiquement sa satisfaction par peur des représailles.
Un cancer tue chaque jour les jeunes, volant leurs rêves et transformant la favela en zone de guerre. Cette métastase est causée par la faction criminelle qui cherche à prendre le contrôle du territoire et dont les adolescents pauvres sont les plus grandes victimes. Et ce mal ne touche pas seulement ceux qui décident de devenir délinquants car mêmes ceux qui choisissent la voie du Bien subissent l’imposition de « lois d’exception ». Ils sont rackettés, menacés, persécutés et soumis à une sorte de pouvoir parallèle à l’État. Comme c’est la coutume de toute mafia, le résident est d’abord « invité » à recevoir une « protection » ainsi que des « bénéfices et des avantages » afin qu’il accepte de « se laisser » diriger par les criminels. Mais, à chaque fois qu’il ose leur désobéir, le masque du partenariat tombe et la cruauté et la terreur entrent en scène. Et malheureusement, un groupe est encore plus vulnérable à ce terrorisme : les femmes et les enfants, cibles faciles de la brutalité, exposés en permanence au risque d’abus et d’agression. La violence sexuelle fait partie de la routine des filles à peine sorties de l’enfance – la sexualisation des noivinhas, les préadolescentes, promue par un genre musical brésilien nommé funk, en vogue dans ces endroits, est responsable de centaines, voire de milliers de viols de personnes vulnérables. Dans une favela, un père et une mère qui ont une fille de 9 à 11 ans vivent dans un désespoir silencieux, car ils savent qu’ils ne peuvent rien faire si leur fille tombe entre les mains d’un trafiquant de drogue. Dans de nombreuses occasions, il est déjà trop tard, des très jeunes filles sont abusées de la manière la plus dégradante et se retrouvent tout simplement abandonnées avec un enfant sans père à élever.
Ce ne sont pas seulement des trafiquants de drogue, ce ne sont pas seulement des mafieux, ce sont des voleurs qui volent les rêves, l’avenir et la liberté des habitants des favelas.
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Des conséquences dévastatrices
Santé mentale chancelante, traumatismes, dépression et anxiété sont les stigmates laissés par la violence. Le développement social est également compromis : les habitants des favelas stagnent dans la vie, sans aucune chance de prospérer, sans liberté, sans perspectives d’avenir. Et ceux qui parviennent tant bien que mal à améliorer leurs conditions de vie se hâtent de fuir cet environnement, ce qui rend la favela encore plus fragile. Et ce n’est pas étonnant car personne ne veut vivre au milieu de criminels à moins d’y être obligé. Qui a intérêt à maintenir ces populations incapables de progresser dans la vie ?
La liberté s’habille en gris
Aujourd’hui, nous vivons un moment historique, où des hommes et des femmes courageux revêtent l’uniforme gris de la police de l’Etat de São Paulo pour venir en défense de ces populations oubliées et leur apporter ne serait-ce que quelques heures de paix. Ils laissent derrière eux des familles angoissées qui attendent leur retour. Ils brisent les fers du silence et de l’oppression qui enchaînent les habitants des favelas. Ils maintiennent vive la flamme de l’espoir en luttant avec force contre le crime organisé. Il est vrai que les interventions policières à elles seules n’apporteront pas de solutions définitives, mais elles permettent au moins à la communauté de respirer librement le temps qu’elles durent.
Ce texte cherche à souligner non seulement la bravoure et le sacrifice des policiers qui travaillent dans cette zone de conflit, mais aussi la nécessité impérative de leur présence continue. Il vise également à susciter une réflexion profonde sur la nécessité de stratégies de sécurité publique à la fois fermes et humaines, comme celles déployées actuellement sur le littoral de São Paulo, capables d’affronter les organisations criminelles et en même temps de libérer une population prise en otage et réduite au silence. Chaque patrouille, chaque opération, chaque geste de solidarité envers les riverains n’est pas seulement un pas vers le démantèlement de la criminalité, mais un symbole puissant d’une police militaire présente, garantissant les droits les plus fondamentaux des citoyens. Le rôle des policiers militaires va donc bien au-delà du maintien de l’ordre ; il contribue à fabriquer un tissu social plus juste et plus sûr et constitue une base solide pour la transformation sociale.
Ces jours-ci alors que les renforts venus d’autres régions rendent la présence policière maximale dans les territoires occupés par la mafia, il est très fréquent d’entendre les policiers déclarer à la fin de leur vacation que des habitants les ont remercié pour leur service, parfois discrètement ou même en cachette. Les enfants, en masse, saluent les voitures de police. Certains d’entre eux sont presque immédiatement réprimandés par leurs parents pour avoir fait un tel geste. Est évidente la peur d’une mère qui aimerait cela dit se réjouir en public de la présence de la police près de son lieu de vie mais ne le peut pas.
Le sentiment de ceux qui participent à cette opération est celui d’appartenir à une troupe de sauvetage qui reprend un territoire dominé par la terreur. Ils y installent un moment de répit le temps que dure l’intervention de la police. C’est à travers le regard des habitants, témoins silencieux de ce conflit quotidien, que l’on perçoit la valeur incalculable de la présence policière dans ces territoires. L’importance de la police transcende la notion de sécurité ; elle ravive l’espoir d’une vie digne. Les opérations policières apportent une lumière, celle de la résistance. Non seulement elles démantèlent les réseaux criminels, mais reconstruisent aussi, brique par brique, ou plutôt, ruelle par ruelle, pas à pas, la confiance de la population envers la justice et envers la possibilité d’un avenir plus sûr pour les générations à venir.
Le sourire de chaque enfant vivant dans les favelas du littoral de São Paulo est le carburant des policiers militaires impliqués dans troisième phase de l’« Opération Eté ».
Major Erich Nelson Cardoso Hoffmann
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