Le Web3 est-il trop compliqué pour convaincre ?

Malgré d’alléchantes promesses, les technologies associées au Web 3 peinent à être adoptées en masse par le grand public. Et si c’était d’abord un problème de confiance et de marketing ?

Avr 10, 2025 - 16:12
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Le Web3 est-il trop compliqué pour convaincre ?

Malgré d’alléchantes promesses, les technologies associées au Web 3 peinent à être adoptées en masse par le grand public. Et si c’était d’abord un problème de confiance et de marketing ?


Les promesses du Web3 sont énormes. Cette technologie garantit la propriété de votre contenu numérique, promet la décentralisation de la prise de décision, mais aussi la démocratisation de la gouvernance grâce aux jetons de vote. Le Web3 promet un retour financier lorsque vous jouez à un jeu, écrivez un contenu, ou publiez sur les réseaux sociaux. Il promet de distribuer la valeur de manière équitable. Il promet un transfert de l’argent et du pouvoir vers les utilisateurs finaux. Il promet de supprimer les gardiens des données comme Facebook, Amazon, Google.

Les promoteurs du Web3 prétendent qu’à chaque fois que vous publiez en ligne, vous pouvez créer un jeton sous forme de NFT de votre création pour garantir votre propriété ; et si vous êtes suffisamment bon pour construire un réseau ou une communauté autour du token, et lui associer une certaine valeur ou utilité, vous pouvez récolter de nombreux bénéfices en étant à la fois propriétaire, utilisateur, actionnaire, et membre d’une communauté. Le Web3 repose sur la technologie blockchain qui se présente comme étant sans confiance, ou « trustless ». Il n’est pas besoin de faire confiance à une entité, à un intermédiaire de quelque forme que ce soit. Avoir confiance dans les mathématiques, le code, le système suffit pour que tout fonctionne bien.

Un faible nombre d’utilisateurs

Malgré toutes ces valeurs égalitaires et ces promesses attribuées au Web3 et à ses technologies associées (blockchain, DAOs, crypto, NFTs), il n’a toujours pas réussi à se démocratiser. Son adoption mondiale reste faible comparée à d’autres innovations technologiques récentes telles que l’IA générative. Bien que ChatGPT d’OpenAI ait atteint un engagement utilisateur important, avec plus de 500 millions de visiteurs mensuels et actifs sur son site web en mars 2025, on estime qu’il y a entre 30 et 60 millions d’utilisateurs réels (non-bots), effectuant des transactions mensuelles dans l’écosystème Web3.

Des milliers de protocoles – pas juste un ou deux – détiennent des milliards de dollars, tandis que des blockchains décentralisées comme Bitcoin, Ethereum et Solana (pour en nommer quelques-uns) ont fourni des plates-formes pour des services, des applications, des entreprises et des utilisateurs. Cependant, l’adoption reste considérée comme faible. Pourquoi ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné avec le Web3, et est-ce qu’il deviendra un jour « mainstream » ?


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Tout d’abord, il est essentiel de reconnaître la distinction entre l’innovation technologique, telle qu’on la conçoit dans la mentalité de la Silicon Valley – « construisez-la et les utilisateurs viendront », et l’innovation de valeur, où la technologie améliore la vie des gens grâce à des applications qui alignent l’innovation sur les positions d’utilité, de prix et de coûts, ce que l’on appelle la stratégie de l’océan bleu. À ce jour, Web3 n’a pas proposé d’application révolutionnaire, à la fois différenciatrice et peu coûteuse. Il n’a pas encore apporté une véritable amélioration de la valeur.

Si ses promesses de respect de la vie privée, de décentralisation et de désintermédiation sont convaincantes, elles sont le plus souvent à double tranchant. Les consommateurs souhaitent-ils vraiment l’absence d’intermédiaires ? La décentralisation et la désintermédiation ne risquent-elles pas d’accroître les difficultés cognitives et l’anxiété des utilisateurs au lieu de les atténuer ? Les utilisateurs ne recherchent pas nécessairement une technologie qui complique leurs transactions et leur vie ; ils recherchent des solutions qui simplifient et améliorent leurs expériences quotidiennes grâce à la facilité d’utilisation, à l’utilité et à la fonctionnalité. Les bénéfices attendus de la possession des données personnelles par les tokens ne sont pas apparemment suffisants face à la complexité perçue du recours aux technologies du Web 3.

L’attente de l’application miracle

Le Web3 attend toujours cette application qui change la donne, semblable à ChatGPT, qui améliorerait la vie des gens, soit financièrement, soit en les aidant à mieux penser ou à mieux travailler. Les modèles LLMs ont immédiatement trouvé leur « killer app ». Ils augmentent plutôt qu’ils ne remplacent les flux de travail existants. Le courrier électronique n’a pas demandé aux gens de réimaginer la communication ; il l’a simplement rendue plus rapide et plus facile. Le Web3 ne propose toujours pas une telle adéquation. Les utilisateurs sont prêts à accepter et à utiliser une technologie uniquement lorsqu’elle est facile à comprendre, simple, facile à utiliser, qu’elle ajoute de la valeur à leur existence et qu’elle est ancrée dans un écosystème de confiance et de protection, de droits d’auteur et de réglementations en cas de fraude et d’escroquerie.

Les utilisateurs recherchent des applications conviviales, intuitives, avec une interface utilisateur et un design simple. La plupart des gens ne comprennent pas les portefeuilles de cryptomonnaie, les « seed keywords », les « gas fees » ou encore les portefeuilles autogérés ou « self-custody wallets », la création de NFT. La complexité de l’utilisation, des processus et de la terminologie est un obstacle majeur à l’adoption, rendant les principes fondamentaux du Web3 et des blockchains difficiles à apprécier par le grand public.


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Les propriétés du Web3 devraient être utilisées de manière que les utilisateurs ne sachent même pas qu’ils utilisent le Web3. Ces derniers ont besoin d’applications qui leur offrent les avantages de Web3 sans avoir à faire face à la complexité et à l’acquisition de connaissances techniques. Le Web3 devrait fonctionner comme un système d’exploitation en arrière-plan, s’occupant de tous les détails, permettant aux utilisateurs d’installer facilement des applications décentralisées et de connecter leurs portefeuilles, tout comme ils le font avec l’Apple Store ou Google Play. En effet, les consommateurs sont plus enclins à adopter des produits, des services ou des technologies qui résonnent avec leurs émotions, leur facilitant la vie et ajoutant une valeur significative à leur existence. Il est nécessaire de créer une strate de confiance au-dessus de la technologie « trustless ».

Indispensable confiance

Cette strate de confiance doit s’étendre au-delà de la sphère technique du Web3 et englober la confiance entre les utilisateurs, la confiance dans les applications décentralisées, la confiance dans les pairs et la confiance dans l’ensemble de l’écosystème. Le Web3 et les blockchains se positionnent comme une technologie éliminant le besoin de faire confiance à qui que ce soit, grâce à leur nature décentralisée.

Cependant, les utilisateurs pourraient se demander pourquoi nous avons besoin d’une confiance décentralisée alors que chaque crypto-token a un projet derrière lui, une équipe de fondateurs, une feuille de route centralisée et une vision distincte. Lorsqu’une technologie promet de supprimer le facteur de confiance envers les êtres humains et les institutions et de le remplacer par la confiance envers un système, un code ou les mathématiques, elle néglige la signification sociale et psychologique plus profonde de la confiance.

France 24 – 2022.

L’acceptation par les institutions est un autre facteur permettant d’atteindre l’adoption par le grand public. Même si un utilisateur peut assez facilement acquérir de l’éther ou des bitcoins sur des plates-formes décentralisées ou centralisées, leur utilité reste confinée au monde de l’investissement ou de la spéculation, si l’écosystème n’est pas prêt à accepter ces actifs.

Un obstacle difficilement dépassable

Il faudrait une acceptabilité universelle et une large base d’utilisateurs impliqués dans l’adoption du Web3, à la fois pour soutenir la définition de standards et de protocoles et pour tirer parti des « network effects ». Sans cela, le potentiel révolutionnaire de ces innovations se heurte à un obstacle d’adoption très important. Récemment, Google a annoncé son objectif de rendre les paiements cryptographiques aussi simples et conviviaux que les solutions de paiement Web2 existantes (e.g., Google Pay, PayPal, Mastercard, Visa, Klarna). L’intérêt de Google pour l’intégration de Bitcoin et de portefeuilles de cryptomonnaies dans le navigateur Chrome sera-t-il un moteur de l’adoption massive du Web3 ? Seul l’avenir nous le dira.

Pour accélérer l’adoption de ces technologies, l’éducation aura un rôle essentiel à jouer pour accompagner ce changement de paradigme promis par le Web3, notamment grâce à l’apprentissage pratique. Les développeurs doivent démontrer la valeur de leurs applications, tandis que les professeurs doivent souligner l’importance de ces connaissances. Bien que je donne un cours sur le Web3 et le marketing aux étudiants en master et en MBA à l’EMLV, les applications actuelles ne répondent toujours pas aux promesses de cette évolution technologique.The Conversation

Elissar Toufaily ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.