Le blues du businessman
Rien ne va plus entre les patrons et Emmanuel Macron. Depuis que le bloc central a instauré une surtaxe sur les grandes entreprises, des figures majeures de l'industrie menacent de délocaliser. Elles oublient la politique « pro-business » menée lors du premier quinquennat, et la promotion de la mondialisation qu'elles ont faites durant des décennies... L’article Le blues du businessman est apparu en premier sur Causeur.

Rien ne va plus entre les patrons et Emmanuel Macron. Depuis que le bloc central a instauré une surtaxe sur les grandes entreprises, des figures majeures de l’industrie menacent de délocaliser. Elles oublient la politique « pro-business » menée lors du premier quinquennat, et la promotion de la mondialisation qu’elles ont faite durant des décennies.
« J’entends beaucoup de débats en ce moment en France qui me paraissent fous. » Le 9 février dernier, après avoir vanté une demi-heure durant les mérites de son plan pour l’intelligence artificielle en direct du Grand Palais sur France 2, Emmanuel Macron change soudain de ton. Laurent Delahousse vient de lui poser une question sur la surtaxation des grandes entreprises actée dans le budget 2025, et sur la bronca inédite qu’elle a soulevée dans le monde des affaires. « Soyez patriotes vous-mêmes ! » cingle alors le président tandis que face à lui un écran géant projette les visages de plusieurs patrons du CAC 40. « Je ne vous ai parfois pas assez entendu, ces sept dernières années, quand on menait des réformes des retraites », maugrée-t-il.
Une surtaxe malvenue
Pour baroque que soit cette saillie, le chef de l’État n’a pas complètement tort. Depuis qu’il est aux affaires, sa politique a assurément rendu un peu d’oxygène au secteur privé français. Le PFU (prélèvement forfaitaire unique, la fameuse « flat tax »), c’est lui. La « double année » décrétée en 2019 pour le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), c’est encore lui. L’abaissement de l’IS (impôt sur les sociétés) à 25 %, c’est toujours lui !
À côté de cet arsenal de réformes « pro business », la surtaxe exceptionnelle que le gouvernement infligera cette année aux grandes entreprises – le temps, promet-il, d’un unique exercice fiscal – peut sembler bien peu de chose. Enfin, peu de chose… En majorant de 40 % l’IS des 440 groupes qui réalisent au moins un milliard d’euros de chiffre d’affaires en France, l’État prévoit quand même de ponctionner 8 milliards d’euros supplémentaires sur les champions de notre économie. Une folie si l’on en croit Sophie de Menthon (pages 54-55 du magazine).
C’est Guillaume Faury qui, le premier, a sonné l’alarme. Le 10 janvier, le PDG d’Airbus s’épanche lors de la cérémonie des vœux du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas): « Il y a trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes », lance-t-il avant de se faire presque menaçant : « On risque de voir beaucoup d’entreprises aller faire ce qu’elles savent faire ailleurs, parce que cela devient invivable. »
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Le 28 janvier, Bernard Arnault lui emboîte le pas. Saint patron du capitalisme français depuis qu’il a déboursé 200 millions d’euros pour la rénovation de Notre-Dame de Paris, l’homme le plus riche d’Europe sort de sa réserve coutumière et lâche, à l’issue de la présentation des résultats annuels de son groupe LVMH : « Quand on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40 % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! » Le 5 février, c’est au tour de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, de monter au créneau : « Les propos de Bernard Arnault ne sont que du bon sens », tempête-t-il lors d’une visioconférence devant la presse financière internationale. Chez LFI, on appelle cela la solidarité de classe.
Des filières en danger
Surprise, au pays des gilets jaunes et des concerts de casserole contre l’augmentation de l’âge légal de la retraite, ces inhabituels coups de gueule patronaux s’avèrent plutôt payants dans l’opinion. Selon un sondage Odoxa, 51 % de nos concitoyens se déclarent à présent opposés à la surtaxation des entreprises, soit huit points de plus qu’en septembre dernier, l’époque où Michel Barnier envisageait déjà la mesure. À croire que les entrepreneurs gagneraient à davantage s’impliquer dans le débat public au lieu de laisser leurs représentants du Medef le faire à leur place.
Bref, quand Faury, Arnault et Pouyanné ruent dans les brancards, le grand public sait que ce n’est pas du chiqué. Il faut dire que ces trois-là ont du talent et qu’ils incarnent les rares secteurs d’activité (l’aéronautique, le luxe et le pétrole) dans lesquels la France a su conserver, voire accroître, son prestige au XXIe siècle. D’autres fiertés nationales comme l’énergie nucléaire, l’agroalimentaire ou l’automobile ne peuvent, hélas, pas en dire autant.
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Dernier exemple en date du « made in France » qui vacille : dans la filière automobile justement, Michelin a annoncé en novembre la fermeture de ses sites de Cholet et de Vannes. Deux mois plus tard, le 22 janvier, son PDG, Florent Menegaux, est auditionné au Sénat pour s’expliquer sur les 1 254 suppressions de postes occasionnées malgré les résultats record de son groupe : « La compétitivité en France s’est fortement dégradée au cours des cinq dernières années, justifie-t-il. On peut bien sûr augmenter les taxes sur les industries en France, mais si une équipe de foot à 11 joueurs est confrontée à une équipe qui en compte 22 et qui peut prendre la balle avec la main, ce n’est plus le même jeu. »
Patrons, ne nous quittez pas !
Filons la métaphore footballistique. Sans adhérer aux attaques haineuses de Sophie Binet contre les dirigeants des grands groupes, qu’elle accuse désormais carrément de n’avoir « plus rien à faire de l’intérêt général » (RTL, le 31 janvier), ni donner foi aux délires de Jean-Luc Mélenchon, selon qui « le libéralisme, c’est la catastrophe permanente qui a ruiné ce pays, ses finances et sa capacité d’invention » (discours prononcé à Angers, le 5 février dernier), on peut cependant se demander, comme Pierre Vermeren (pages 52-53 du magazine) si nos patrons ont toujours l’état d’esprit des joueurs de l’équipe de France, ou s’ils ne sont pas parfois davantage sensibles aux charmes du mercato et aux millions versés par leur club.
Depuis quarante ans, on ne compte plus les membres de l’élite des affaires qui ont prôné une mondialisation débridée et pris des décisions dignes de mercenaires, prompts à loger leurs actifs dans des structures offshore, à délocaliser leurs usines, voire à expatrier leurs sièges sociaux. Face à ce spectacle, il n’est guère étonnant que la droite, si éprise de Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 1980, ait retrouvé le goût de l’intervention de l’État, ce n’est pas Marine Le Pen qui dira le contraire.
Reste que les Français ne veulent pas que les patrons les quittent. Au contraire, ils sont 60 % à souhaiter que « l’État fasse davantage confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté » selon le baromètre annuel de la confiance politique du Cevipof publié en février. Un chiffre en hausse de sept points par rapport à 2017. Sans doute nos concitoyens sont-ils conscients qu’une économie complètement administrée serait encore plus désastreuse pour le pays. Faute d’aimer les PDG, au moins éprouvent-ils un certain respect pour eux. Il paraît que ce sont les mariages de raison qui font les couples les plus heureux.
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