La mouche de Lacoche
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie… L’article La mouche de Lacoche est apparu en premier sur Causeur.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
Récemment. Un dimanche de printemps. Il faisait beau et doux. Ma sauvageonne, plus ébouriffée que jamais, avait, me dit-elle, des fourmis dans ses jolies jambes. « Je m’ennuie, vieux Yak ! (N.D.A. : il lui arrive de m’appeler ainsi ; elle a dix ans de moins que moi) », me prévient-elle, de sa voix tonitruante et bien timbrée de fille de gendarme et de petite-fille de commandant de gendarmerie. « Il fait beau, si beau ! Bougeons, je t’en prie ! Tu ne vas pas encore rester à lire sur le lit par un temps pareil. Allons voir ma copine Corinne, à Albert. C’est le Printemps du Département. Il y a des visites guidées un peu partout ; elle a quelques idées. »
Que peut-on refuser à une jolie femme, surtout quand elle exhibe une sensualité irrésistible, le corps moulé dans une adorable robe légère, très légère ? OK ; emballé ; vendu ! Direction l’aéroport Henry-Potez, d’Amiens, situé à Méaulte, près d’Albert. Les portes sont ouvertes ; une visite, autorisée ; une exposition et Corinne nous attendent sur place. Une bonne occasion de découvrir ; je suis souvent passé devant ce sacré aéroport mais n’y ai jamais mis les pieds. Corinne est déjà sur zone. Retrouvailles amicales et chaleureuses. On entre ; on flâne ; on baguenaude, attentifs aux panneaux explicatifs et aux maquettes d’avions. C’est passionnant. Les filles papotent, bavardes comme à leur habitude ; je suis un peu à la traîne. Soudain, mon attention est attirée par une mouche, une grosse mouche aux ailes bleutées. Elle s’est posée contre la vitre qui donne sur la piste d’atterrissage ou de décollage (comme tu voudras, lecteur ; mais tout de même : le décollage est synonyme de fête, d’évasion imminente, de nuages de type Lucy dans le ciel avec des diamants ; l’atterrissage, signifie le retour à la raison, à la vie terrestre, banale, difficile, soucieuse comme un lama qui fait la gueule ; ce ne sont pas Baudelaire, Rimbaud, de Quincey, Ginsberg, Brian Jones et Keith Richards qui me contrediront !). Je la contemple ; elle m’observe à son tour de ses yeux globuleux et gainsbouriens. À quoi pense-t-elle, la bestiole ? Je la soupçonne d’être jalouse, elle avec ses petites ailes ; jalouse des grandes ailes des avions qu’elle aperçoit sur la piste d’atterrissage et/ou de décollage.
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On quitte l’aéroport et Méaulte. Arrivée à Albert. On se promène dans la ville. On passe devant la boulangerie Watteau. Une affiche attire mon attention : « La Watteau d’or. Une fois par semaine, Un Watteau d’Or se glisse dans l’une de nos fabrications. Vous le trouvez, vous gagnez une baguette par jour pendant un mois. » Je trouve ça épatant ; la fève et l’Épiphanie quotidiennes. L’Albertin ne manque pas d’imagination. Un peu plus loin, on croise dans la rue un chat qui a l’air comme chez lui. Dans une vitrine, une autre affichette explique qu’il se nomme Pirate, qu’il a été adopté par les commerçants, qu’il a à boire, à manger. Les commerçants albertins aiment les animaux.
On arrive au Musée des Abris consacré à la Grande Guerre. Passionnant ; terriblement émouvant. Des objets, nombreux ; là un fusil ; ici, une mitraillette. Des casques, troués, souvent, par les éclats d’obus. Des photos de combattants. Noël Whittles, né en 1890 à Cheshire ; décédé à Manchester, en 1944 ; blessé au bras gauche à Mont Kemmel ; une citation de la Military Cross : lors d’un bombardement, il a mis ses hommes à l’abri, puis rassembla ses soldats et reparti à l’assaut ; son fils, Graham servit dans les commandos britanniques et fut tué en Normandie le 14 juillet 1944 ; il avait 20 ans ; deux braves. Un peu plus loin, Antoine Herlem, tué à l’ennemi le 28 juillet 1916, près de Maurepas. Marius Aymé (1888-1976), capitaine du 28e bataillon de chasseurs alpins ; le 12 septembre 1916, il participe à la prise de Bouchavesnes ; ses hommes et lui prennent une tranchée ennemie et un soldat allemand qu’ils croient morts ; ce dernier ouvre le feu et blesse grièvement le capitaine au fémur. Des braves ; rien que des braves. Des destins fracassés par l’horreur de la guerre. En sortant du musée, j’écris sur le livre d’or, un petit hommage à mon grand-père Alfred qui combattit notamment à Bouchavesnes et à Maurepas où il fut blessé par un éclat d’obus.
Dehors, il faisait toujours doux et beau. Les filles me dirent que j’avais l’air songeur. Elles n’avaient pas tort.
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