Francesca, mon amour
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Jérôme Leroy publie son nouveau roman, La Petite Fasciste
J’ai lu le nouveau polar de Jérôme Leroy dans le train Paris-Limoges, d’une traite, tant l’intrigue est palpitante et le style efficace. J’ai eu un peu peur au début quand un de mes potes cheminot, dépôt de Châteauroux, m’a jeté un regard mauvais, sûrement à propos du titre provocateur : La Petite Fasciste. Il a crû que c’était un bouquin qui vantait les qualités d’une passionaria d’extrême droite. C’est que je me méfie à présent. J’adore les œufs mayo. Or il paraît que c’est une entrée réac, tandis que la choucroute est plutôt tendance progressiste. Ça me gêne de le dire mais je n’aime pas trop le chou. Bref, j’ai lu le livre de Leroy. Rien à voir avec le précédent, Un effondrement parfait. Je l’ai commenté pour Causeur, je n’y reviens pas. Mais tout de même, c’était délicat, avec beaucoup de mélancolie, de jolies filles sages aux joues roses, des plages longues sous un beau soleil de Grèce, avec l’évocation du Limousin, terre de maquisards. Là, c’est l’ambiance inverse. C’est sombre, sanglant, sexuel. Je me suis même dit : Ce n’est pas le même écrivain. Il y a du Jekyll et du Hyde en cet homme. Faut faire gaffe.
Nouvelle collection !
Son polar inaugure la Manuf, une nouvelle collection de la Manufacture de livres, dirigé par un voisin en Limousin, Pierre Fourniaud. L’histoire est à la fois tragique et non dénuée d’humour, et commence par une tuerie qui ressemble à celle du film The Order où Jude Law interprète un agent du FBI traquant une bande de néonazis. Le tueur est un crétin, car il se trompe de maison et massacre de jeunes camés en train de partouzer. Il se nomme Victor Serge. Leroy est décidément un facétieux. Victor Serge était un trotskyste, déporté en Sibérie pour s’être vigoureusement opposé aux méthodes dictatoriales du camarade Staline. Leroy invente également une ville, Frise, dans le Nord de la France, avec une interminable plage grise qui flanquerait le spleen à un gagnant multimillionnaire du Loto. Comme il invente une allée Paul-Jean Toulet dans les dunes et les oyats ! Il nous décrit une France qui bascule dans la violence et les fumigènes, avec une République perfusée en fin de vie. À sa tête, le Dingue, qui vient de dissoudre l’Assemblée trois fois. Un type improbable, admirateur de Trenet, qui a pris pour Premier ministre une certaine Louise Michel. Une France crépusculaire, donc, coincée entre le Bloc Patriotique et l’Union Populaire. Le Dingue doit naviguer au doigt mouillé par temps sec, se vendre au moins nocif, son parti maigrissant à chaque dissolution.
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La « petite fasciste » a vingt ans, elle est blonde et barrée, porte des culottes La Perla, et se nomme Francesca Crommelynck. Elle excite les hommes, jeunes et séniors, de gauche comme de droite. Elle les aimante tous. Le déterminisme familial joue en sa défaveur. Il y a du collabo mâtiné de fasciste italien chez les ancêtres. Ça donne des parents tendance extrême droite identitaire. Elle s’en accommode. Elle a suivi des études littéraires, apprécie Drieu la Rochelle et son livre de chevet est Vu de droite, signé Alain de Benoist. Francesca a un frère, Nils, qui l’a initiée très tôt au tir. Elle est fasciste mais pas totalement raciste puisqu’elle couche avec Jugurtha Aït-Ahmed, fils de docker communiste. Elle l’a même carrément dans la peau. Mais bon tout ça ne peut qu’engendrer le malheur. Nils et Jugurtha vont mourir. Ça déstabilise la blonde diaphane. Et puis il y a le député de la-gauche-du-temps-jadis qui n’a pas envie de se représenter quand le Dingue dissout en pleine canicule. Premier tour prévu le 1er août, un vrai taré, le type. C’est qu’il subit l’influence de la Tarentule, une pythonisse boiteuse qui conseille et qui se trompe. Le député sortant se nomme Patrick Bonneval. Il a « soixante ans et fait sa crise de la cinquantaine. C’est l’avantage de l’allongement de l’espérance de vie », précise Leroy.
Un roman maîtrisé
Voilà, la tragédie est en place. Il n’y a plus qu’à dérouler suivant les codes du roman noir parfaitement maîtrisés par l’auteur. L’amour, qu’on n’attendait pas dans cette histoire déprimante, fait son apparition. Ça change la donne – à l’instar d’une dissolution ou d’une inéligibilité. Il offre une sorte de rédemption à Francesca. Ça atténue la mort de Jugurtha qui n’est pas accidentelle, ça soulage d’avoir eu un frère « travaillé par l’inceste », « dysorthographique avec une écriture d’enfant de CE1. » Le coup de foudre conduit « dans un motel de Magdebourg, au bord de l’Elbe couleur d’encre sous les étoiles, ils regardent les résultats du premier tour. Francesca et lui se gavent de ces sandwichs au hareng qu’ils adorent et qu’ils sont allés chercher dans un fast-food Nordsee de l’autre côté de la route. » Je ne vous dirai pas qui butine Francesca. Comme je ne vous révélerai pas le nom du narrateur. Il faut aller au bout de ce polar couleur onyx qui tient toutes les promesses du massacre des premières pages.
Jérôme Leroy, La Petite Fasciste, La Manuf. 192 pages
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