Féminisation de la politique : des changements en trompe-l’œil
La féminisation de la politique est notable, mais reste limitée. Elle est plus lente que celle à l’œuvre dans les métiers de la médecine, du barreau, de l’enseignement supérieur ou du journalisme. Pourquoi ?

La féminisation de la politique française est notable, mais elle reste limitée. Elle est plus lente que celle à l’œuvre dans les métiers de la médecine, du barreau, de l’enseignement supérieur ou du journalisme. Comment l’expliquer ?
La féminisation constitue une transformation majeure de la politique en France au XXIe siècle. A-t-elle affecté le fonctionnement du champ politique, ce champ de forces et de luttes historiquement masculin ? Pour analyser les effets de la féminisation du personnel politique, il est intéressant de comparer ce processus avec celui à l’œuvre dans d’autres professions et catégories intellectuelles supérieures et de tenir ensemble les différentes dimensions de la féminisation.
Les spécificités de la féminisation du métier politique
Le métier politique n’est pas un métier tout à fait comme les autres : dénié comme profession, sans parcours académique obligatoire, il repose sur des apprentissages informels, des réseaux partisans et se trouve soumis aux aléas électoraux. Les conditions de sa féminisation diffèrent également de celles d’autres « professions de prestige ».
Tandis que les métiers de la médecine, du barreau, de l’enseignement supérieur ou du journalisme se sont ouverts progressivement aux femmes dès le début du XXe siècle, la politique n’a commencé à les accueillir qu’après la Seconde Guerre mondiale. Longtemps anecdotique, la représentation des femmes n’a réellement progressé qu’avec l’imposition des lois dites sur la parité, qui ont depuis 2000 modifié les règles de candidature aux différentes élections. En 2025, les femmes représentent ainsi 36 % des députés et des sénateurs, et près de 50 % des conseillers départementaux et municipaux des communes de plus de 1000 habitants, régionaux et européens. Cette féminisation est encore plus marquée dans d’autres secteurs professionnels (51 % en médecine, 53 % dans le notariat, 57 % au barreau, et 71 % dans la magistrature) et surtout, elle y résulte non de quotas mais de transformations structurelles, comme l’accès accru des femmes aux formations dédiées et la rationalisation des recrutements via des diplômes et des concours.
Autre spécificité, la féminisation de la politique s’est opérée à postes constants, ce qui a renforcé les résistances des hommes en place éprouvant directement la mise en cause de leur monopole. Les pratiques des dirigeants des partis politiques (en particulier à droite et à l’extrême droite) tendent à contourner l’esprit de la loi : en présentant les femmes candidates dans des circonscriptions difficilement gagnables (en 2024 par exemple), les femmes ont représenté 41 % des candidates et 36 % des élues à l’Assemblée nationale], en montant des listes dissidentes menées par des hommes, ou en orchestrant un plus fort turn-over des femmes, etc. À l’inverse, dans d’autres professions juridiques ou médicales, la féminisation a été concomitante de la progression globale des effectifs dans les dernières décennies du XXe siècle, ce qui a pu atténuer les résistances.
Une forte ségrégation sexuée, en politique comme ailleurs
Le marché du travail reste profondément structuré par le genre, y compris dans ces professions supérieures.
La division horizontale du travail au sein des professions intellectuelles supérieures montre une concentration des femmes dans des spécialités « relationnelles » (en médecine, elles sont ainsi plutôt en pédiatrie qu’en chirurgie) et sur des statuts moins prestigieux (les femmes représentent 67 % des notaires salariés en 2022) ou lucratifs (chez les avocats, les femmes sont sous-représentées dans le droit des affaires). La ségrégation est également verticale avec un plafond de verre qui demeure solide, avec par exemple seulement 15 % de femmes parmi les chefs de juridiction et professeurs agrégés de médecine en 2019.
En politique, des mécanismes similaires de ségrégation sexuée persistent. Les femmes sont sous-représentées dans des secteurs valorisés pour leurs compétences techniques (économie, finance, transports) et surreprésentées dans des domaines perçus comme « féminins » (affaires familiales et sociales, santé…). Cela limite leurs opportunités de carrière, ces rôles étant perçus comme le prolongement d’activités naturelles et non comme des compétences et savoir-faire stratégiques.
En 2025, les femmes ne représentent que 16,7 % des présidences régionales, 22,2 % départementales, et 19,9 % des maires.
Il existe quelques notables exceptions qui masquent cette sous-représentation globale. C’est le cas des femmes maires de grandes villes comme Martine Aubry à Lille ou Anne Hidalgo à Paris, ou encore d’Élisabeth Borne nommée à la tête du gouvernement entre 2022 et 2024 (trente ans après Édith Cresson) et de Yaël Braun-Pivet installée au perchoir de l’Assemblée nationale depuis 2022. C’est également le cas de Marine Le Pen, ancienne présidente du Rassemblement national et présente au second tour de l’élection présidentielle en 2017 et 2022.
Notons qu'en France, comme dans d’autres pays européens, la féminisation des partis de droite radicale illustre les ambiguïtés de la parité. En effet, la progression de ces femmes politiques se fait au détriment de la promotion de l’égalité des sexes.
Des avancées et des retours de bâton
Si la segmentation interne évite aux professions prestigieuses un déclassement en réservant l’accès aux positions les plus enviées aux hommes. Devrait-on en conclure que rien n’a changé ?
Malgré des résistances initiales, la parité est devenue une norme difficile à critiquer explicitement et s’est imposée grâce à plus d’une quinzaine de lois renforçant son application en politique et étendant sa logique à la direction des grandes entreprises et la haute administration. Elle représente également le principal horizon des politiques d’égalité des deux dernières décennies. Cette féminisation n’a, de fait, que peu bouleversé l’élite politique, économique ou administrative, désormais plus mixte mais toujours très homogène sur le plan social et racial.
Le monde politique reste très concurrentiel, relativement précaire, et particulièrement sexiste. Élisabeth Borne a ainsi récemment raconté son expérience à Matignon en affirmant que
« le sexisme est désormais plus encadré dans le monde professionnel qu’il ne l’est en politique. […] Nous avons le droit de faire partie du paysage, mais certainement pas au premier plan ».
L’existence des lois paritaires peut paradoxalement autoriser certains acteurs à penser que tout a été réglé. Mais la disponibilité temporelle que suppose le métier politique reste difficilement compatible avec les charges domestiques que les femmes assument encore majoritairement. Ces freins, combinés à l’exposition à la violence, poussent certaines femmes (davantage que leurs homologues masculins) à quitter volontairement la politique.
La bataille n’est pas finie
L’arrivée massive des femmes en politique n’a pas radicalement transformé les dynamiques. La féminisation repose toujours sur une forte sélection sociale des candidates, tout en conservant une répartition genrée des responsabilités qui protège le monopole masculin sur les postes stratégiques.
Pour transformer en profondeur les pratiques professionnelles, la féminisation doit s’accompagner d’un renversement des valeurs et d’améliorations concrètes des conditions de travail (en tenant compte, par exemple des contraintes temporelles des jeunes parents, en minutant scrupuleusement les prises de parole, en ne hiérarchisant pas les différents secteurs des politiques publiques, etc.).
Les mobilisations collectives, comme #MeToo politique, ont permis des avancées notables, notamment dans les partis politiques de gauche, avec la mise en œuvre de dispositifs contre les violences sexistes et des initiatives favorisant l’égalité. Seul un changement profond des normes et pratiques politiques, porté par des mobilisations collectives œuvrant pour une égalité réelle, du sommet à la base des organisations partisanes, pourra transformer réellement le fonctionnement du champ politique.
Cet article (dans sa version intégrale) fait partie du dossier Genre et inégalités : quand les stéréotypes ont la peau dure publié par Dauphine Eclairages le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.
Catherine Achin a reçu des financements de ANR