Aveugle, la fiscalité des entreprises nuit au développement des firmes les plus fragiles. Comment y remédier ?
La fiscalité des entreprises a un effet sur la stratégie de leurs dirigeants. Toutes les firmes ne sont pas touchées de la même façon et les plus fragiles doivent faire des efforts plus importants.

La fiscalité des entreprises a un effet sur la stratégie de leurs dirigeants. Toutes les firmes ne sont pas touchées de la même façon et les plus fragiles doivent faire des efforts plus importants.
Imaginez des coureurs possédant des capacités diverses courant sur des tapis roulants. Le contrôleur du tapis, à intervalles fréquents, met la machine en mode « charge ++ », ce qui incline fortement le tapis. Les coureurs les plus performants restent rapides et parviennent à atteindre leurs objectifs, même s’ils ralentissent forcément un peu. Les coureurs moins en forme obtiennent des scores extrêmement bas et ressemblent à des athlètes non entraînés.
C’est exactement ce qui arrive avec les évolutions aveugles de la fiscalité des entreprises. Des taux d’imposition plus élevés sur les profits des entreprises sont contraignants pour toutes les firmes. Alors que les grandes entreprises peuvent absorber ces coûts plus facilement, les plus petites entreprises peinent. Elles sont souvent prises dans un cercle vicieux.
L’impact des hausses d’impôts pour les entreprises
L’augmentation des impôts a plusieurs implications pour les entreprises, notamment.
un coût plus élevé du capital. Lorsque les entreprises sont confrontées à des taux d’imposition plus élevés sur les bénéfices générés par les investissements en capital, cela augmente essentiellement le coût du capital, ce qui décourage l’investissement dans de nouveaux actifs :
des bénéfices après impôts réduits,
une capacité limitée à financer des projets à haut risque tels que l’innovation et l’entrée sur de nouveaux marchés.
Les entreprises cherchant à investir dans la recherche et le développement (R&D) et l’expansion internationale ont besoin d’une force financière pour couvrir des coûts qui ne peuvent être récupérés ultérieurement, que l’investissement soit couronné de succès ou non. Ces coûts incluent l’installation de réseaux commerciaux sur les marchés étrangers, l’établissement de chaînes d’approvisionnement, l’adaptation des produits aux normes internationales, l’installation de laboratoires de recherche, et plus encore. Ces dépenses sont particulièrement difficiles et presque prohibitives pour les entreprises plus petites et moins productives.
L’impact sur les décisions stratégiques
La fiscalité des entreprises joue un rôle crucial dans la prise de décisions stratégiques, notamment celles liées à l’innovation (R&D) et aux exportations. Cependant, l’étude que nous avons menée a démontré que, parmi 7 819 entreprises manufacturières européennes en France, Allemagne, Hongrie, Italie, Espagne et Royaume-Uni sur la période 2001-2014, la fiscalité n’est pas une charge significative pour les entreprises hautement productives.
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Une augmentation de 10 % de l’impôt payé par une entreprise en proportion de sa valeur ajoutée réduit, en moyenne, la probabilité d’investissement en R&D de 2,3 % et d’exportation de 1,4 %. Toutefois, cet effet reste très différencié selon les niveaux de productivité des entreprises. Pour les entreprises situées au bas de l’échelle de productivité, ces chiffres peuvent atteindre une baisse de 12,9 % des investissements en R&D et une diminution de 25,5 % des exportations.
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En revanche, les entreprises plus productives et rentables gèrent mieux une fiscalité plus élevée. Plus résilientes, ces entreprises peuvent absorber l’impact des impôts sans trop de difficultés, car elles peuvent développer leurs exportations vers des zones économiques spéciales ou des zones de transformation pour l’exportation où les taux d’imposition sont plus bas. En réalité, une fiscalité plus élevée peut même motiver certaines entreprises parmi les plus productives à s’étendre dans plusieurs pays, leur permettant ainsi de transférer légalement leurs bénéfices vers des juridictions où les taux d’imposition sont plus faibles.
Concurrence mondiale et fiscalité nationale
Les décideurs politiques qui cherchent à favoriser la croissance économique doivent reconnaître que les changements fiscaux impactent de manière disproportionnée la R&D et les exportations, en particulier face à une concurrence mondiale croissante et à la stagnation de la productivité en Europe.
En conséquence, les réformes fiscales des entreprises ne devraient pas suivre une approche universelle, mais plutôt prendre en compte la diversité des entreprises afin de soutenir à la fois les petites entreprises nationales et les grandes entreprises compétitives à l’international.
Quatre pistes de réforme
Au moins quatre pistes méritent d’être retenues, avant d’envisager une réforme fiscale :
- il faudrait réfléchir à un système fiscal progressif qui ajuste les taux d’imposition en fonction de la taille, de la rentabilité ou du stade de développement d’une entreprise. En liant les taux d’imposition à la capacité des entreprises à supporter des risques financiers, un tel système pourrait encourager les entreprises à différents stades d’investir dans la R&D et les exportations.
Les entreprises plus petites ou moins rentables paieraient moins d’impôts, leur permettant de libérer des ressources pour innover ou s’étendre à l’international, tandis que les entreprises plus grandes et plus établies contribueraient davantage en fonction de leur capacité. Cela créerait un environnement plus équitable, favorisant une plus grande participation à l’innovation et au commerce international, stimulant ainsi la productivité globale et la croissance économique à long terme.
- La mise en place des politiques fiscales spécifiques aux secteurs devrait être étudiée. Les différents secteurs d’activité font face à des défis variés en matière d’innovation et d’expansion internationale. Les gouvernements devraient envisager des politiques fiscales spécifiques aux secteurs qui présentent un fort potentiel de croissance mais des coûts irrécupérables élevés (comme la technologie, la pharmacie et la fabrication avancée). Ces industries sont particulièrement sensibles aux changements fiscaux en raison des investissements massifs en R&D nécessaires pour le développement de produits et l’entrée sur le marché.
Mieux encourager l’innovation
- Les responsables politiques devraient chercher à encourager l’innovation et la croissance des exportations. Les incitations fiscales devraient soutenir le développement de nouveaux produits destinés aux marchés internationaux. Les entreprises devraient payer moins d’impôts sur les bénéfices des exportations qui sont réinvestis dans la R&D ou bénéficier d’exonérations fiscales si elles atteignent un certain seuil de ventes à l’export.
De telles politiques créeraient un cercle vertueux où l’innovation alimente les exportations, et où les profits issus des exportations sont réinvestis dans l’innovation.
- parallèlement, des mesures pour améliorer l’accès au financement pour l’innovation et l’exportation devraient être adoptées. En complément des incitations fiscales, les gouvernements devraient améliorer l’accès au financement pour les entreprises qui investissent dans l’innovation et l’exportation. Étant donné qu’il existe déjà des déductions fiscales pour les dépenses de R&D, le système financier devrait fournir des prêts avec des garanties comme la propriété intellectuelle ou les résultats de la R&D.
Il est tout aussi important de renforcer les partenariats public-privé (PPP), dans lesquels les gouvernements partagent les risques liés au financement de l’innovation et des exportations avec les institutions financières, incitant ainsi les banques à prêter davantage à ces entreprises à des conditions favorables.
L’urgence d’avoir une fiscalité moins aveugle
La fiscalité des entreprises est un déterminant essentiel des décisions en matière de R&D et d’exportation. Une fiscalité élevée représente un défi plus important pour les entreprises plus petites et moins efficaces, qui manquent souvent de résilience financière pour investir dans la R&D ou s’étendre à l’international. En revanche, les entreprises plus grandes et plus rentables absorbent plus facilement ces coûts.
Pour soutenir les entreprises à tous les stades de développement, les politiques fiscales devraient être progressives, réduisant la charge pour les petites entreprises tout en garantissant que les grandes entreprises contribuent davantage.
Des politiques sectorielles spécifiques peuvent encourager les investissements dans des industries à forte croissance comme la technologie et la fabrication. En intégrant des incitations fiscales pour l’innovation et l’exportation, et en améliorant l’accès au financement, les gouvernements peuvent créer un cercle vertueux, où l’innovation stimule les exportations et inversement.
L’avenir reposera sur la mise en place d’un écosystème fiscal qui soutient les entreprises de toutes tailles, favorisant un environnement qui bénéficie non seulement aux entreprises leaders, mais aussi à celles qui luttent pour émerger.
Ioannis Bournakis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.