Une triple crise plane au-dessus de l’économie allemande

Prix élevés de l’énergie, pénurie de main d’œuvre et faible croissance de la productivité, les trois maux de l’économie allemande sont profonds.

Mar 4, 2025 - 16:41
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Une triple crise plane au-dessus de l’économie allemande
L’économie allemande est en berne, au lendemain d’une élection marquée par la victoire du CDU et la percée de l’extrême droite. Mummert-und-Ibold/Shutterstock

Prix élevés de l’énergie, pénurie de main-d’œuvre et faible croissance de la productivité, les trois maux de l’économie allemande sont profonds. Et les Allemands en ressentent les effets au quotidien.


Lors des élections du 23 février 2025, de nombreux électeurs allemands ont exprimé leur profonde inquiétude au sujet de l’état économique de leur pays, et ce, pour de bonnes raisons… L’économie allemande est en récession. En 2023, le PIB réel de l’Allemagne n’était que légèrement supérieur au niveau de 2019 et nettement inférieur au reste de la zone euro.

Pourtant, avec un PIB de 4 121 Md€, l’Allemagne est passée en 2023 du rang de 4ᵉ à celui de 3ᵉ puissance économique mondiale, derrière les États-Unis et la Chine et, désormais, devant le Japon. Une place sur le podium qui ne reflète pas sa productivité.

Taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de l’Allemagne par rapport à l’année précédente entre 1992 et 2024. Statista, CC BY-SA

Cela compte pour les électeurs allemands qui restent pessimistes quant à leur avenir puisqu’ils ont connu une stagnation de leurs revenus ces dernières années.

Déficit limité, exportations en baisse

Il pourrait y avoir plusieurs raisons au malaise économique de l’Allemagne. Tout d’abord, la politique budgétaire en Allemagne est plus stricte que dans d’autres pays, avec des impôts plus élevés et des dépenses publiques plus faibles. En raison du « frein à l’endettement » inscrit dans sa Constitution, l’Allemagne est sévèrement limitée dans les déficits budgétaires.

Une exception : lorsque le gouvernement déclare une urgence, comme lors de la pandémie de Covid-19. Le dernier gouvernement de coalition s’est néanmoins effondré en raison d’un différend sur l’opportunité de déclarer une autre urgence, celle de la guerre en Ukraine. L’augmentation du budget consacré à la défense n’a pas été actée. Par conséquent, le déficit budgétaire de l’Allemagne est resté relativement modéré. Pour ses partisans, un déficit plus important aurait pu stimuler la croissance économique.

Exportations allemandes de 2015 à 2024 (en milliards d’euros). Tradingeconomics, CC BY-NC

Deuxièmement, pendant des décennies, l’Allemagne s’est appuyée sur ses exportations pour soutenir sa croissance économique intérieure. Au cours des deux premières décennies du XXIe siècle, elle a grandement bénéficié de l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Pour développer sa capacité de production, la Chine s’est fortement appuyée sur des machines produites en Allemagne et a acheté un nombre important de voitures allemandes.

Cependant, ce n’est plus le cas aujourd’hui. À mesure que la Chine s’est installée à la frontière technologique, elle ne dépend plus autant des voitures ou des machines allemandes.


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Cependant, ces deux facteurs n’expliquent pas à eux seuls la stagnation de l’économie allemande. Logiquement, si la demande – intérieure ou extérieure – est trop faible pour soutenir la croissance, cela devrait se traduire par une baisse des prix. Or, la réalité démontre le contraire.

Le spectre de l’inflation

Au cours des deux dernières années, l’inflation en Allemagne a été élevée. Elle n’a pas été systématiquement inférieure à celle des États-Unis ou du reste de la zone euro. Au cours des 12 prochains mois, les ménages allemands s’attendent à ce que l’inflation soit supérieure à 3 %, bien au-dessus de l’objectif de 2 % de la Banque centrale européenne.

Taux d’inflation en Allemagne entre 1992 et 2024. Statista, CC BY-NC

Un autre indicateur suggère également qu’il est peu probable que le manque de demande intérieure soit la principale raison de la stagnation de son économie. En effet, le chômage est faible en Allemagne, inférieur à celui de la plupart des pays européens et à peine supérieur à celui de 2019.

Crise de l’énergie

L’Allemagne est confrontée à une triple crise de sa politique d’offre : une énergie chère, une faible offre de main-d’œuvre et une faible croissance de la productivité.

Tout d’abord, il y a les prix de l’énergie, qui ont été poussés à la hausse partout depuis l’invasion russe de l’Ukraine. L’effet a été particulièrement fort en Allemagne en raison de sa dépendance directe au gaz russe. Le gouvernement sortant, dans lequel les Verts ont été un acteur clé, est largement crédité d’avoir tenté d’accélérer la transition verte de l’Allemagne. Cela a fait grimper les coûts de la transition au-dessus de ceux causés par le système européen d’échange de quotas d’émission, dans lequel les pollueurs paient pour leurs émissions.


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S’il est difficile de déterminer les contributions exactes de la guerre et de la transition verte à la hausse des prix de l’énergie, les deux agissent clairement comme un frein à la croissance, notamment du côté de l’offre (c’est-à-dire du potentiel de production).

Le problème de la productivité

Mais l’Allemagne est confrontée à des défis plus fondamentaux du côté de l’offre. Le deuxième problème apparaît lorsque l’on compare le PIB par heure travaillée, une mesure de la productivité d’un pays.

Les tendances en Allemagne et au Royaume-Uni sont assez similaires. Elles impliquent que la croissance économique plus faible de l’Allemagne par rapport au Royaume-Uni est principalement due au fait que les gens travaillent moins d’heures. Cela peut à son tour refléter des changements démographiques, notamment de la population immigrée qui ne participe pas à couvrir tous les besoins en main-d'oeuvre et l'évolution des préférences des Allemands pour d'autres métiers, dans le sillage de la pandémie de Covid-19.

PIB par habitant et PIB par heures travaillées en % des niveaux des États-Unis (États-Unis = 100) de 2000 à 2023. Banque de France

Le troisième enjeu est la croissance de la productivité. Prenons l’exemple de l’augmentation du PIB par heure travaillée aux États-Unis, qui a augmenté de plus de 10 %, éclipsant les développements en Allemagne et au Royaume-Uni. Les causes courantes de la faible croissance de la productivité comprennent le vieillissement des infrastructures, la faiblesse des investissements du secteur privé, le manque de start-ups et la diminution du nombre de nouvelles entreprises multinationales.

Pistes de solutions

C’est pourquoi des pistes de solutions existent.

En ce qui concerne l’énergie, l’Allemagne devrait éviter de prendre des mesures telles que l’introduction d’une réglementation supplémentaire sur le chauffage ou l’isolation des maisons neuves et existantes. Elle devrait s’appuyer plutôt sur le système d’échange de quotas d’émission à l’échelle de l’Union européenne pour réduire les émissions.

Sur le marché du travail, il est nécessaire d’accroître la participation ou la migration des personnes qualifiées, soutenue par des politiques qui encouragent les gens à prendre leur retraite plus tard et attirent davantage de femmes sur le marché du travail.

Soldats allemands
L’augmentation des dépenses de défense pourrait augmenter la productivité en Allemagne. MicheleUrsi/Shutterstock

La croissance de la productivité demeure le problème le plus difficile à régler. Un bon début serait d’augmenter le financement des universités et de réduire la réglementation, en particulier pour la technologie de l’IA. Le renforcement du marché unique de l’Union européenne, par exemple en supprimant les restrictions sur le commerce transfrontalier de l’énergie pour permettre aux entreprises d’accéder à une électricité moins chère, pourrait renforcer la concurrence et stimuler la croissance de la productivité. Les entreprises allemandes pourraient ainsi se développer et créer des emplois mieux rémunérés.

Enfin, l’augmentation des dépenses de défense pourrait donner un coup de pouce supplémentaire, non seulement pour répondre à l’amélioration indispensable de la sécurité extérieure de l’Allemagne, mais aussi parce qu’il a été démontré que cela augmente la productivité.

Alors que l’immigration peut être un sujet de discussion majeur pour l’électorat allemand, l’économie – comme toujours – sera un facteur important pour prendre le pouls de la société allemande.The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.