Une approche plus positive d’Alzheimer : identifier et préserver les capacités qui restent fonctionnelles

Le concept de « capacités intrinsèques » se concentre sur les facultés qui n’ont pas été perdues chez les malades d’Alzheimer. Une approche également prometteuse pour le vieillissement en bonne santé.

Avr 29, 2025 - 12:22
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Une approche plus positive d’Alzheimer : identifier et préserver les capacités qui restent fonctionnelles
L’Organisation mondiale de la santé décline les capacités intrinsèques autour de cinq dimensions principales : la locomotion, la cognition, l’état psychologique, la vitalité et les capacités sensorielles d’audition et de vision. Studio Romantic/Shuttersrtock

Le concept de « capacités intrinsèques », défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se concentre sur les facultés – sensorielles, psychologiques ou motrices – restées intactes chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Une nouvelle approche prometteuse pour cette pathologie, comme pour le vieillissement en bonne santé.


En 1967, Marta Cinta était danseuse étoile au New York City Ballet. Près de cinquante ans plus tard, en 2014, elle est arrivée dans une maison de retraite à Alicante, en Espagne, avec un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Elle y a passé les dernières années de sa vie, jusqu’en mars 2020, date de son décès.

Lorsqu’elle est entrée en institution, de nombreuses personnes ont certainement pensé qu’il ne restait « plus rien d’elle ». Mais un jour, un thérapeute de l’initiative Música para Despertar (Musique pour l’éveil, en français, ndlr) a décidé de jouer la musique du célèbre ballet le Lac des cygnes, de Piotr Ilitch Tchaïkovski, et la réaction de Marta a ému toute l’Espagne.

Atteinte d’Alzheimer, l’ancienne ballerine Marta Cinta écoute le Lac des cygnes et la chorégraphie lui revient. Pierre-Louis Caron, France Info.

Vidéo tournée par Música para despertar (Musique pour l’éveil)

L’artiste d’origine espagnole a commencé à danser dans son fauteuil roulant, en bougeant ses bras avec une délicatesse qui semblait impossible pour une personne atteinte de sa maladie.


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La danse de Marta Cinta à un stade déjà avancé de la maladie a fait réfléchir à la possibilité de réorienter le traitement de la maladie d’Alzheimer : et si le cœur du problème résidait dans la manière dont nous comprenons les capacités dont disposent les personnes âgées qui souffrent de cette maladie ?

Définir les capacités intrinsèques

Pour apporter des réponses à cette question, nous nous référons d’abord au concept de capacités intrinsèques, introduit en 2015 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son « Rapport mondial sur le vieillissement et la santé ». Selon les auteurs de rapport, le concept fait référence à l’ensemble des capacités physiques et mentales d’un individu à un moment donné, et non uniquement à ses déficits et à ses maladies.


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Depuis, l’OMS a identifié cinq dimensions principales autour des capacités intrinsèques : la locomotion, la cognition, l’état psychologique, la vitalité et les capacités sensorielles (définies par l’audition et la vision de la personne).

Une approche plus positive

À l’heure actuelle, les personnes âgées consultent un médecin quand un déclin évident de leurs capacités a déjà été constaté ou au moment où un événement indésirable survient. Cependant, des données scientifiques montrent que le déclin fonctionnel peut se manifester avant l’apparition de symptômes cliniques évidents de démence. De plus, nous savons que ce déclin peut être retardé, ou certains de ses aspects inversés, si des interventions appropriées sont mises en œuvre.

Dans cette logique, les capacités intrinsèques se concentrent sur l’évaluation des capacités qui sont maintenues (et non de celles qui sont perdues), ce qui peut se révéler particulièrement crucial dans les maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer.

L’anticipation comme stratégie

La maladie d’Alzheimer, qui est une pathologie neurodégénérative chronique et progressive, a traditionnellement été abordée dans une perspective qui se concentre uniquement et exclusivement sur la perte de mémoire. Cependant, cette conception peut être considérée comme réductrice, car elle minimise la détérioration de la personne et rend invisibles les capacités qui restent intactes, telles que les capacités sensorielles, psychologiques ou motrices.

L’approche fondée sur les capacités intrinsèques recherche précisément le contraire : observer, prévenir et préserver. De fait, la détection précoce de déficiences concernant certaines capacités ou d’autres peut aider à mettre en place des interventions individualisées et efficaces qui aident à maintenir des capacités intrinsèques adéquates plus longtemps.

De plus, une détérioration dans un des domaines de capacités intrinsèques peut entraîner une réaction en chaîne. Par exemple, une perte auditive non détectée peut conduire à un isolement social, ce qui peut affecter l’humeur et favoriser un mode de vie plus sédentaire.

Améliorer la vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer

Selon le « Rapport mondial 2023 sur la maladie d’Alzheimer », environ 40 % des cas de démence pourraient être évités ou retardés en agissant sur 12 facteurs de risque tout au long de la vie, notamment l’éducation, la sédentarité, l’hypertension ou la santé auditive.

(Ce rapport est édité par Alzheimer Disease International, ou ADI, une fédération internationale d’associations consacrées à la maladie d’Alzheimer et aux démences partout dans le monde. ADI revendique des « relations officielles » avec l’OMS, ndlr.)

Ces facteurs sont présents dès les premiers stades de la vie. De ce fait, la prévention relève, non seulement, du système de santé, mais aussi des politiques publiques, des communautés et des établissements d’enseignement.

Agir à ces différents niveaux ne nécessite pas d’interventions cliniques complexes, mais plutôt des stratégies individuelles et communautaires qui contribuent à renforcer les capacités intrinsèques de ces personnes. On citera, par exemple, la promotion de l’activité physique, qui renforce la dimension locomotrice ; la mise en œuvre de thérapies cognitives et de stimulations sensorielles, qui contribuent à améliorer la cognition ; ou la création de lieux de rencontre pour les personnes âgées, en raison de leur importance pour la prise en charge de l’aspect psychologique.


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À terme, au-delà des essais cliniques et de la recherche de nouveaux biomarqueurs, les capacités intrinsèques pourraient devenir une arme puissante pour anticiper les effets de la maladie d’Alzheimer et améliorer la vie des malades.

Une étude longitudinale dans laquelle a été analysée la trajectoire en termes de capacités intrinsèques de près de 15 000 personnes a montré que le déclin dans des domaines comme la locomotion et la cognition est fortement prédictif de l’apparition de démence, d’invalidité et de mortalité.

Objectif : préserver l’autonomie

Nous avons vu l’utilité des capacités intrinsèques pour appréhender la maladie d’Alzheimer selon une nouvelle approche. Elles se positionnent également comme l’un des principaux concepts pour comprendre le vieillissement en bonne santé. C’est ce qu’affirme la Décennie pour le vieillissement en bonne santé (2020-2030), un document qui présente la stratégie de l’OMS en matière de vieillissement et de santé.

Ce rapport définit le vieillissement en bonne santé comme

« le processus de développement et de maintien des aptitudes fonctionnelles qui permet aux personnes âgées de jouir d’un état de bien-être. Les aptitudes fonctionnelles sont les capacités qui permettent aux individus d’être et de faire ce qu’ils jugent valorisant ».

Les auteurs soulignent également que la qualité de vie des personnes âgées et de leurs familles, ainsi que des communautés dans lesquelles elles vivent, est l’objectif principal du vieillissement en bonne santé.


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Pour y parvenir, l’OMS propose quatre domaines d’action clé pour passer d’un modèle de dépendance à un modèle de participation active :

  1. changer la façon dont nous concevons l’âge et le vieillissement ;

  2. créer des communautés qui soutiennent les capacités des personnes âgées ;

  3. fournir des soins intégrés et centrés sur la personne ;

  4. garantir l’accès aux soins de longue durée lorsqu’ils sont nécessaires.

Connaître et comprendre les dimensions qui composent les capacités intrinsèques et les facteurs de risque qui influencent l’apparition et la progression de la démence permettrait de développer des stratégies visant à préserver les capacités physiques et mentales des personnes âgées. Par exemple, au moyen d’activités ciblées telles que l’entraînement fonctionnel ou la stimulation cognitive.

En outre, l’intégration d’évaluations des capacités intrinsèques tout au long de la vie pourrait améliorer la compréhension des liens entre les processus qui sous-tendent le vieillissement et l’adhésion à des modes de vie sains.

Encourager ces habitudes permettrait, non seulement, d’accroître les bénéfices apportés par leur pratique, mais aussi de favoriser leur maintien à long terme, en promouvant un vieillissement actif, sain et indépendant.The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.