Tanvier, Viry et Gastines m’ont sauvé!

C’est grâce à Georges Duhamel que Monsieur Nostalgie a repris goût à la lecture. Involontairement, le créateur des Pasquier l’a conduit vers trois coups de cœur, trois écrivains au registre divergent, Catherine Tanvier, Marin de Viry et Eliott de Gastines, qui surplombent le premier trimestre... L’article Tanvier, Viry et Gastines m’ont sauvé! est apparu en premier sur Causeur.

Mar 9, 2025 - 16:04
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Tanvier, Viry et Gastines m’ont sauvé!

C’est grâce à Georges Duhamel que Monsieur Nostalgie a repris goût à la lecture. Involontairement, le créateur des Pasquier l’a conduit vers trois coups de cœur, trois écrivains au registre divergent, Catherine Tanvier, Marin de Viry et Eliott de Gastines, qui surplombent le premier trimestre.


Il n’y a pas pire virus que l’agueusie littéraire. Surtout pour un professionnel « assermenté ». L’Assurance maladie ne prend pas en charge ce genre de défaillance. Vous n’avez plus goût à rien. Les livres défilent ; indifférent, à la limite de l’agacement, vous les ouvrez et les refermez immédiatement. Vous êtes incapable de lire plus d’une page. Tout vous paraît lourd et sans intérêt, resucé et mal écrit. Alors, vous essayez de puiser dans vos forces ultimes, vous insistez et c’est encore pire. Ce mal honteux, on le tait, même entre confrères car il signe la fin d’une carrière.

Mécanique bien huilée

Maintenant que je suis rétabli, je peux enfin en parler librement. J’avais honte, vous vous rendez compte, vingt-cinq ans de lecture quotidienne, au rythme de cinq ou six heures, j’étais un monstre vorace. Aucun genre ne me faisait peur, j’avalais du récit, de l’essai, de la poésie et même des écrits politiques, sans aucune fatigue morale. Ma mécanique puissante était parfaitement huilée, j’absorbais et j’écrivais mon papier dans la foulée. Et puis, un matin, sans prévenir, tous les livres me tombèrent des mains. J’enrageais. J’ai consulté. Aucun spécialiste n’avait un traitement à me prescrire pour ce genre de blocage. Certains me conseillèrent du repos, d’autres d’abandonner cette voie et de me consacrer à des travaux manuels plus rémunérateurs. J’étais bien embêté. Durant deux mois, je peux vous dire que j’ai mal dormi. Et puis, la machine s’est relancée, mais cette fois-ci, il m’a semblé que je lisais avec un œil neuf et en même temps plus transperçant, allant au-delà des apparences et s’infiltrant dans la tête des écrivains. L’homme qui m’a sauvé s’appelle Georges Duhamel, je ne l’avais guère lu jusque-là, comme tout le monde, j’avais mis le nez dans les Pasquier à l’adolescence mais je les confondais avec les Thibault. Je me souvenais de l’avoir vu à la télé, du temps de Lectures pour tous, interrogé dans son domicile de la rue de Liège et évoquant la lecture comme un refuge. C’est grâce à mon bouquiniste de l’Odéon, que j’ai acheté Deux hommes, un roman paru pour la première fois en 1924 au Mercure de France. Il m’a redonné foi dans le texte, seulement en une quinzaine de pages, dans une première partie qui se situe Place du Panthéon. Tout y est : l’étrange, la rencontre dissonante, l’équivoque et le plaisir, oui l’irrépressible plaisir de connaître la suite. Georges Duhamel a décoincé mon nœud, j’étais de nouveau apte. Mais encore plus exigeant et en attente de l’impossible qu’auparavant.

La sincérité de Catherine Tanvier, le désir masculin avec Marin de Viry…

Il y a quelques années, sur un plateau de télévision, nous avons tous vu Catherine Tanvier parler de sa carrière d’ex-joueuse star du tennis français. À ce moment-là, nous savions que c’était déjà un véritable écrivain, son intensité frappait, sa précision et parfois même, la force de l’abandon dans ses paroles nous avait convaincus de son talent. Dans Un film à Rolle, elle revient sur un tournage si particulier, Film Socialisme, de la genèse au clap de fin, de cette rencontre avec Jean-Luc Godard, durant quinze jours, à l’été 2007, sur les bords du lac Léman. Dans cette folle reconversion, dans cette profession nouvelle, elle réussit, par une écriture à la fois compacte et incisive à nous retranscrire ses états d’âme. Catherine Tanvier fait de la littérature. Ce ne sont pas des souvenirs recollés, du name dropping à bas prix ou des confidences ramassées à la pelle ; Tanvier, dès la première page qui ne trompe pas, tend vers une sincérité qui n’est pas larmoyante. Notre cœur de lecteur bat à l’unisson de ses questionnements intérieurs. Sa vérité et son tempo nous élèvent à une certaine hauteur. Au-delà d’un témoignage sur Jean-Luc qui éclairera les cinéphiles, c’est le récit maîtrisé, avec son bel ondoiement qui séduit. Je n’avais donc plus envie de lire et puis m’est arrivé Le continent masculin de Marin de Viry. Là, c’est un plaisir instantané, presque canaille, l’esprit français qui caracole, la légèreté et le bon mot dans une alliance pétillante. Cette littérature champagne, ce marivaudage moderne est la marque d’un grand écrivain classique. Chez lui, les cœurs se délitent dans une société à bout de souffle. Viry, écrivain de standing et d’alcôve, avec une ironie souveraine, joue au jeu dangereux de l’amour.

… et un roman sur le confinement d’Eliott de Gastines

Mon troisième coup de cœur est pour un jeune écrivain de quarante ans, Eliott de Gastines qui publie La frontière sauvage, peut-être le meilleur livre écrit sur le confinement et l’écroulement des certitudes. Il attaque fort, très fort, dès le début, il décrit la sauvagerie et l’enchaînement tragique, il est un maître dans l’effondrement et les tentatives d’évasion. C’est drôle et cruel, donc essentiel.


Un film à Rolle de Catherine Tanvier – En Exergue éditions, 136p.

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Le continent masculin de Marin de Viry – Le Rocher, 240p.

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La frontière sauvage d’Eliott de Gastines – Albin Michel, 295p.

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