Retour sur l’île du père
Charles Wright publie « Le jardin anglais » (Albin Michel, 2025)... L’article Retour sur l’île du père est apparu en premier sur Causeur.

Après Le chemin des estives, best-seller dont un auteur ne sort jamais complètement indemne, Charles Wright remonte le fil de ses origines, du Suffolk à l’Hampshire, dans Le jardin anglais son nouveau récit aux éditions Albin Michel. Monsieur Nostalgie nous dit pourquoi Wright est un écrivain à la fois de l’intime et de l’universel

J’aime l’écrivain et le tennisman, ce qui n’est pas incompatible. Il y a chez Wright, bon joueur de tennis amateur, le même toucher de balle soyeux que dans ses écrits à lente fragmentation.
Trois semaines à travers l’Angleterre
Un retour au beau jeu d’antan, respectueux de l’adversaire et du lecteur, loin des coups de force et des surbrillances. Wright ne truque pas sa phrase. Il ne se hausse pas du col. Il ne frappe pas ses mots avec la volonté de nous assommer ou de nous dire qu’il est le meilleur ; qu’avec lui, notre vie sera bouleversée à jamais. Il est économe en déclarations intempestives et en certitudes endimanchées. Sa modestie n’est pas une stratégie marketing. Il n’est pas guide ou alchimiste, encore moins calculateur. Wright déroule son nouveau récit, Le jardin anglais, avec une sincérité véritable, une drôlerie qui ne tache pas ; semant par-ci, par-là quelques graines d’érudition qui ne sont pas culpabilisantes. Dans ce récit intrafamilial morcelé tel une tapisserie de chroniques, on ne se sent pas enfermé, cadenassé par une idéologie, par une quête missionnaire ou une victimisation à la mode, sa foi nous porte. Il arrive à capter une vérité lumineuse, humble dans son scintillement. Nous montons à bord de sa Golf pour un périple de trois semaines à travers l’Angleterre à trois car il a eu la bonne idée d’inviter tante Harriet, elle fera tampon ou courroie de transmission avec ce père taiseux.
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Après le succès, ce que j’appelle dans mon langage familier le braquage des librairies, Wright avait de quoi vaciller, perdre à jamais l’envie d’écrire ou alors se lancer dans la répétition névrotique d’une improbable recette. Le chemin des estives a été lu et relu en grand format et en poche par des dizaines de milliers de lecteurs en France. Il a été primé et encensé par la presse. Cette gloire éphémère dont il s’amuse aurait pu être un fardeau, il a su s’en détacher malgré les questions insistantes de son entourage. Alors, tu écris sur quoi en ce moment, Charles ? Il s’est laissé porter par la propre histoire de ses origines, donc le retour à la figure de ce père peu loquace né sur une île étrange. L’Angleterre reste un mystère pour nous, continentaux perclus de républicanisme et dépourvus de folie. Entre les fenêtres à guillotine et l’harmonie des cottages, notre œil se perd. C’était pourtant un sujet casse-gueule car parler du père, c’est soit l’embaumer, soit lui régler son compte ; dans les deux cas, la frontière est mince entre l’hagiographie et la mise à mort. Disons-le, Wright a échappé aux pièges du bavardage « père-fils » que nombre d’auteurs nous infligent ; très habilement, avec une fluidité d’écriture, à tâtons surtout, à la Simenon, sans brusquerie, en pratiquant souvent la sortie de route, il a dessiné un portrait pudique, sans graisse, à hauteur d’homme, donc forcément d’une grande émotion.
Denis Tillinac, oncle corrézien
Wright a inventé une méthode, son récit naît sous nos yeux ; naturellement, les briques du passé se mettent à danser, d’abord dans le désordre et puis à la Sherlock, la construction anarchique se solidifie. Mais toujours avec une liberté de mouvement, il s’autorise toutes les facéties rieuses sur les services à thé, les soirées aux pubs, les conversations avec ses cousins et même une déclaration à son oncle corrézien, Denis Tillinac. L’appropriation de cette langue qui lui est étrangère en partie donne lieu à d’excellents paragraphes sur la prosodie anglaise et la complexité pour un esprit français de s’y couler. Wright ne déballe pas ses racines sur la table comme un marchand de chouchous, il ne déplie pas sa généalogie comme on affiche un laisser-passer sanitaire. Il est avant tout, viscéralement, écrivain donc il divague à travers le temps et la musique, nous amène dans les cimetières et le répertoire des Beatles, passe d’Hamlet à Love Actually. Il ne juge pas. Il observe, les silences et les dénis, tous les nœuds de sa britannicité avec un mélange de surprise et de bonheur. « J’ai l’impression de renouer avec une part oubliée de mon être et en même temps je me sens comme un étranger dans ma propre peau. J’éprouve une sorte de déchirement intérieur » écrit-il. Cette double identité est un don de dieu.
Le jardin anglais de Charles Wright – Albin Michel 240 pages
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