Reconnaissance de l’État de Palestine par la France : une décision symbolique et tardive

Reconnaître la Palestine : c’est un projet qu’Emmanuel Macron a récemment dévoilé. Mais qu’est-ce que cette formule implique réellement ?

Avr 29, 2025 - 16:44
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Reconnaissance de l’État de Palestine par la France : une décision symbolique et tardive

La France pourrait reconnaître la Palestine au mois de juin prochain. Mais cette reconnaissance ne se produira que si l’Arabie saoudite, dans le même temps, reconnaît Israël, ce qui reste incertain. Dans tous les cas de figure, une reconnaissance officielle, en soi, tient avant tout du symbole dès lors qu’elle ne s’accompagne pas de mesures concrètes.


Le 9 avril dernier, Emmanuel Macron a annoncé que la France pourrait reconnaître l’État de Palestine en juin prochain, à l’occasion d’une conférence qui se tiendra au siège des Nations unies à New York et qui sera co-présidée par la France et l’Arabie saoudite. Il plaide pour une reconnaissance groupée, encourageant d’autres États occidentaux à s’associer à cette démarche. Toutefois, cette initiative reste conditionnée à une reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite, s’inspirant des accords de normalisation conclus en 2020 entre certains États arabes (Maroc, Soudan, Émirats arabes unis, Bahreïn) et l’État israélien.

Cette annonce intervient alors qu’Israël a unilatéralement rompu, le 17 mars, la trêve qui était en vigueur à Gaza depuis le 19 janvier. Depuis la reprise de la guerre, les bombardements de l’armée israélienne ont causé la mort de près de 1 700 Palestiniens.

Avec cette reconnaissance annoncée, le président français entend accroître la pression sur le gouvernement israélien afin de parvenir à une nouvelle trêve et de relancer la perspective de la solution à deux États défendue aujourd'hui notamment par l’Union européenne - et prévue rappelons-le dès 1947 par la résolution 181 (II) du l'ONU - une perspective qui semble fragilisée par la réalité coloniale sur le terrain, où l’autorité israélienne contrôle l’intégralité du territoire palestinien de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain.

Une reconnaissance symbolique et tardive

En droit international, l’existence d’un État ne dépend pas de sa reconnaissance par d’autres, dès lors qu’il remplit les critères constitutifs de l’État : un gouvernement, un territoire, une population et la souveraineté, c’est-à-dire l’indépendance. La Palestine a proclamé son indépendance en novembre 1988 et, depuis, elle participe activement à la vie internationale. Elle est reconnue par 147 des 193 États membres de l’ONU, a adhéré à près de 100 traités multilatéraux, est membre de 21 organisations internationales et bénéficie du statut d’observateur dans de nombreuses autres.

Cependant, et c’est là tout l’enjeu, l’existence de l’État palestinien sur le terrain est empêchée par un fait internationalement illicite, reconnu comme tel le 19 juillet dernier par la Cour internationale de justice (CIJ) : l’occupation militaire israélienne, qui prend aujourd’hui la forme d’une annexion d’une large partie du territoire palestinien.

La reconnaissance doit donc être distinguée de l’existence d’un État. Selon la définition de l’Institut de droit international dans sa résolution de 1936, la reconnaissance est « l’acte libre par lequel un ou plusieurs États constatent l’existence sur un territoire déterminé d’une société humaine politiquement organisée, indépendante de tout autre État existant, capable d’observer les prescriptions du droit international et manifestent en conséquence leur volonté de la considérer comme membre de la Communauté internationale ».

La reconnaissance revêt un caractère essentiellement symbolique, dans la mesure où elle a une valeur déclarative et non constitutive. Aucune forme particulière n’est requise pour procéder à une reconnaissance : elle peut résulter d’un acte officiel, tel qu’un décret, ou de la combinaison de plusieurs éléments attestant de cette volonté.

En réalité, la France reconnaît déjà de facto l’État de Palestine. Cette reconnaissance découle d’une série de prises de position officielles, de déclarations, de votes favorables au sein des organisations internationales et de pratiques diplomatiques. Ainsi, la France a systématiquement soutenu les résolutions visant à renforcer le statut juridique de la Palestine à l’ONU. Elle a voté en faveur de son admission comme État membre à l’Unesco en octobre 2011, puis soutenu la résolution de l’Assemblée générale du 29 novembre 2012 attribuant à la Palestine le statut d’État non membre observateur.

Plus récemment, le 10 mai 2024, elle a voté pour l’admission de l’État de Palestine à l’ONU et, le 18 septembre dernier, elle a appuyé la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU dans laquelle l’organe onusien appelait les États à favoriser la réalisation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ce qui implique une reconnaissance de la Palestine.

Par ailleurs, la représentante de la Palestine en France a le rang d’ambassadrice et la France entretient avec l’Autorité palestinienne des relations diplomatiques, politiques et économiques significatives. Elle dispose également d’un consulat à Jérusalem en charge des relations avec la population palestinienne. En somme, les faits attestent déjà d’une reconnaissance de l’État de Palestine par la France.

Une reconnaissance sans portée réelle faute de mesures concrètes

C’est pourquoi l’annonce d’Emmanuel Macron, qui intervient tardivement alors que, nous l’avons dit, 147 États – parmi lesquels l’Espagne, l’Irlande, la Suède ou encore la Norvège – reconnaissent déjà la Palestine, s’apparente avant tout à une manœuvre diplomatique visant à accentuer la pression sur le gouvernement israélien. Elle demeure par ailleurs incertaine, car elle ne se produira que si l’Arabie saoudite reconnaît Israël. Or, si des discussions informelles en vue d’une normalisation étaient en cours entre les deux pays avant le 7 octobre 2023, la guerre à Gaza rebat les cartes, l’Arabie saoudite ne pouvant faire fi de son opinion publique qui reste largement acquise à la cause palestinienne. Il apparaît donc peu probable que, aussi longtemps que la guerre à Gaza n’aura pas cessé, l’Arabie saoudite reconnaisse Israël (qui demeure non reconnu par une vingtaine d’États dans le monde).

Par ailleurs, le souhait de relancer la solution à deux États est plus utopique que jamais, dans la mesure où Israël rejette explicitement l’idée d’un État de Palestine en Palestine et que seules les autorités israéliennes contrôlent l’intégralité de la Palestine historique. La Cour internationale de justice a rappelé la réalité de l’occupation israélienne et la forme qu’elle prend actuellement dans sa décision du 19 juillet dernier : accentuation des colonies de peuplement, dépossession massive des terres, accaparement des ressources naturelles palestiniennes au profit des colons, augmentation des violences des colons contre les Palestiniens, situation pouvant être qualifiée de ségrégation raciale et d’apartheid, etc. Cette réalité coloniale laisse peu de place à toute perspective d’un État de Palestine.

De plus, en juillet dernier, la Knesset, le Parlement israélien, a adopté une résolution transpartisane rejetant toute reconnaissance de l’État de Palestine. Cette position contrevient au droit international, en particulier au droit à l’autodétermination des Palestiniens, peuple colonisé. Dans son avis du 19 juillet 2024, la CIJ a rappelé que le sort d’un peuple colonisé ne saurait être soumis à la volonté de la puissance occupante. Par conséquent, la mise en œuvre du droit à l’autodétermination ne peut en aucun cas être conditionnée à la tenue de négociations politiques entre Palestiniens et Israéliens, comme le soutiennent certains États occidentaux, dont la France.

Dans ce contexte, toute reconnaissance demeure symbolique si elle ne s’accompagne pas de l’adoption de mesures concrètes. Dans une résolution adoptée en septembre 2024, l’Assemblée générale de l’ONU avait rappelé les mesures que les États devaient adopter pour permettre la réalisation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien : « ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation » d’occupation ; faire la distinction « dans leurs échanges en la matière, entre Israël et le Territoire palestinien occupé » ; cesser « la fourniture ou le transfert d’armes, de munitions et de matériels connexes à Israël » qui pourraient être utilisés en Palestine ; prohiber « l’importation de tout produit provenant des colonies » ; respecter les trois ordonnances de la Cour internationale de justice rendues dans la procédure engagée par l’Afrique du Sud contre l'État d’Israël au titre de la convention internationale contre le génocide, etc.

Rappelons également que la France doit respecter ses obligations de membre de la Cour pénale internationale (CPI). Elle a notamment l’obligation de coopérer avec la Cour dans la mise en œuvre des mandats d’arrêt que celle-ci a émis contre Nétanyahou et son ancien ministre de la défense Yoav Gallant. Or, elle a récemment autorisé le survol de son territoire par un avion transportant le premier ministre israélien, ce qui constitue un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du Statut de Rome.

Déjà en novembre dernier, la France avait affirmé que Benyamin Nétanyahou devait pouvoir bénéficier des immunités reconnues aux chefs d’État des pays non parties à la CPI, adoptant une position contraire aux exigences de l’article 27 du Statut de Rome, lequel précise qu’il ne peut y avoir d’immunités devant la Cour, son Statut s’appliquant « à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». D’ailleurs, la France a toujours affirmé qu’elle mettrait en œuvre le mandat d’arrêt de la CPI émis contre Vladimir Poutine, alors que, tout comme Benyamin Nétanyahou (chef de gouvernement), il est le chef d’un État non partie à la Cour. Cette position renforce les accusations de « deux poids-deux mesures » souvent exprimées à l’encontre de Paris.

En faisant du droit international une variable d’ajustement de sa politique étrangère, la France est devenue inaudible dans ce conflit. Il est contradictoire de vouloir reconnaître l’État de Palestine tout en manquant à ses obligations juridiques. Répétons-le : une telle reconnaissance, symbolique en l’état, ne risque pas de produire beaucoup d’effets si elle n’est pas accompagnée de mesures concrètes.The Conversation

Insaf Rezagui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.