Philippe Forest: l’avant-garde sublimée

Philippe Forest publie "Et personne ne sait", un nouveau roman intrigant... L’article Philippe Forest: l’avant-garde sublimée est apparu en premier sur Causeur.

Avr 18, 2025 - 17:01
 0
Philippe Forest: l’avant-garde sublimée

Philippe Forest publie Et personne ne sait, un nouveau roman intrigant


Le romancier et essayiste Philippe Forest est né juste à temps, en 1962, pour être contemporain de la fin des avant-gardes en France, et notamment de celle du mouvement de la revue Tel Quel, auquel il devait consacrer plusieurs livres, dont un sur Philippe Sollers, son principal animateur. Il m’a toujours semblé qu’on ne s’est pas assez demandé ce qu’a signifié la disparition de toutes les avant-gardes, et quelles en furent les conséquences, notamment chez les écrivains. La fin des années 70 sonna le glas des idéologies les plus folles. L’arrivée de Mitterrand à l’Élysée en 1981 fut paradoxalement le coup d’envoi d’un néo-libéralisme exacerbé. Dès lors, la culture s’embourgeoisa, et les subtilités dialecticiennes tendance Mao de la revue Tel Quel cessèrent de faire florès. Philippe Sollers saborda sa revue, avant de publier Femmes, à la fois brûlot romanesque à la ponctuation précise et manifeste réactionnaire du mâle européen hanté par son identité sexuelle.

Historien de l’avant-garde et romancier classique

Philippe Forest se fit l’historien du mouvement Tel Quel, tout en écrivant en parallèle des romans de forme plutôt classique, sans rien à voir avec les expériences littéraires extrêmes du passé. Marqué par la mort précoce de sa fille, Forest commença par publier en 1997 L’Enfant éternel. Le livre, édité par Sollers dans sa collection « L’Infini », connut un grand succès. Philippe Forest revint, dans ses romans suivants, sur la mort de sa fille. Aujourd’hui, avec la parution chez Gallimard d’un nouvel opus intitulé Et personne ne sait, il reprend encore ce même thème tragique qui ne le quitte pas. Il y est question toujours d’une petite fille, mais Philippe Forest a choisi cette fois un mode littéraire ouvertement porté vers le fantastique, puisqu’il s’agit d’une histoire de fantôme.

Un dispositif romanesque sophistiqué

La trame en reste très simple, avec néanmoins un dispositif narratif plutôt sophistiqué. Philippe Forest raconte comment il se souvient d’un roman américain lu il y a longtemps (Portrait de Jennie de Robert Nathan, 1940) et d’un vieux film qui en fut tiré en 1948, produit par David O. Selznick. Il y était question de la vie difficile d’un jeune peintre new-yorkais, Adams, qui rencontre un jour une petite fille, nommée Jennie, dans le parc où il se promène chaque jour. Elle deviendra son modèle, et des liens étroits les rapprocheront. Philippe Forest insiste sur cette expérience de lecture, pour lui bouleversante, et qu’il fait sienne en tant qu’écrivain : « J’ai toujours raconté la même histoire. Comme tout le monde, je n’en connais qu’une. Je dis que je raconte ma propre histoire et c’est toujours celle d’un autre. Et quand je dis que je raconte l’histoire d’un autre, c’est encore la mienne. » Relire avec nous ce roman de Robert Nathan, revenir au film, permet à Philippe Forest de partager sa douleur fondamentale, et d’espérer que sa fille Pauline lui soit rendue un jour. Ce faisant, il comprend que son propos interroge la folie, et notamment, comme il l’écrit, « l’insituable limite qui sépare le possible de l’impossible, le rêve de la réalité et la folie de la raison ».

A lire aussi: Driss Ghali: «Il faut que les honnêtes hommes se coalisent et prennent le pouvoir»

Le tableau mystérieux

La relation entre le peintre Adams et la petite Jennie, qui devient rapidement une femme, aboutit à un tableau qui sera le chef-d’œuvre inespéré du premier. Le roman initial ne parle pas de ce tableau, comme on s’y serait pourtant attendu. Pour Philippe Forest, c’est de fait un élément crucial de se le représenter, et c’est pourquoi il nous décrit in situ, au Metropolitan Museum de New York, celui qui aurait inspiré l’auteur du roman, en particulier pour le titre, The Young Girl in a Black Dress. En revanche, dans le film, le tableau apparaît dans une scène inoubliable comme une révélation : « Renonçant, écrit Philippe Forest dans une prose haletante, au noir et blanc dont le cinéaste s’était exclusivement servi […] En couleurs. En couleurs maintenant. Selon un procédé auquel a recours un autre film de la même époque, Le Portrait de Dorian Gray tel qu’il fut adapté par Albert Lewin dans un film qui, au fond, raconte la même histoire même s’il le fait à l’envers. » Vous vous souvenez peut-être de ce moment grandiose, qui venait conclure la si belle adaptation, en 1945, du roman d’Oscar Wilde.

Philippe Forest a écrit là un roman très intriguant, qui laisse passer un grand trouble littéraire. Plus que des avant-gardistes de Tel Quel, nous sommes proches ici des écrivains fin de siècle du XIXe, avec une atmosphère à la Edgar Poe. Philippe Forest parvient à fondre l’univers fantastique du roman et du film dans la réalité contemporaine, en décrivant les effets d’une lecture ou les réminiscences de son adaptation filmique. L’enjeu est grand pour lui, qui ne connaît pas d’autre résilience que celle accordée par la littérature. On sent que Philippe Forest écrit par nécessité vitale, et que pour lui l’expérience littéraire doit à tout prix offrir du sens. Dans le relativisme ambiant, l’engagement de Philippe Forest nous pousse à faire preuve de discernement. La littérature n’est pas un jeu de marelle, mais un travail sur soi qui permet de croire à une proche délivrance − ou comme aurait dit le chrétien Bernanos : de croire à une rédemption possible.

Philippe Forest, Et personne ne sait. Éd. Gallimard, 123 pages.

Et personne ne sait

Price: 11,99 €

1 used & new available from 11,99 €

L’article Philippe Forest: l’avant-garde sublimée est apparu en premier sur Causeur.