Peut-on s’en remettre à la sélection naturelle pour faire émerger des innovations durables ?
La « main invisible » du marché a besoin de la « main visible » des managers pour sélectionner des innovations durables. Comment peuvent-ils s’inspirer de la sélection naturelle ?


La « main invisible » du marché a besoin de la « main visible » des managers pour sélectionner des innovations durables. Comment peuvent-ils s’inspirer de la sélection naturelle ?
L’innovation, qui consiste en la mise au point de nouveaux produits, services ou processus, est aujourd’hui le moteur du développement de l’entreprise. Mais elle favorise aussi la surexploitation des ressources naturelles, l’extinction de la biodiversité, le réchauffement climatique et la pollution. Dans ce nouveau contexte de l’anthropocène, où nous avons atteint les limites de la planète, des pressions sociétales, réglementaires et commerciales de plus en plus fortes incitent les entreprises à innover autrement. Comment peuvent-elles mettre en place de nouveaux processus d’innovation durables ?
Dans cet article, nous avons croisé une analyse managériale de l’innovation avec des travaux dans la discipline naissante de la bioinspiration, une approche créative fondée sur l’observation des systèmes biologiques. En particulier, nous nous sommes inspirés de la façon dont la sélection naturelle permet l’adaptation des espèces pour repenser la sélection des innovations dans l’entreprise.
Main visible et main invisible
Les entreprises les mieux adaptées à leur environnement sont sélectionnées par « la main invisible du marché ». Dans de nombreuses industries, les organisations qui survivent et se développent sont les plus innovantes. Dans le secteur des batteries électriques, l’environnement a ainsi sélectionné des entreprises chinoises comme CATL et BYD. Elles avaient une avance technologique forte, notamment dans les technologies logicielles, alors que l’environnement n’a pas retenu un leader européen moins innovant comme Northvolt qui s’est déclaré en faillite en novembre 2024.
Dans l’entreprise elle-même, le processus d’innovation est réalisé par « la main visible des managers », selon l’expression d’Alfred Chandler. Ceux-ci cherchent à maximiser un objectif de marge sous contrainte d’adaptation à la demande des consommateurs, à la position des concurrents, aux possibilités techniques et aux lois et règlements. Or, on sait depuis le début du XXe siècle que ces innovations ne tiennent pas compte des externalités négatives de leurs décisions, à savoir des conséquences dommageables sur leur environnement.
S’inspirer de la sélection naturelle
L’observation de la sélection naturelle peut être source d’inspiration pour repenser les processus d’innovation dans l’entreprise. Dans chaque espèce, des traits nouveaux apparaissent de façon aléatoire chez certains individus. Ceux qui augmentent leurs chances de survie et de reproduction dans leur environnement spécifique seront retenus. Ces nouveaux traits seront transmis par hérédité et façonneront les générations futures.
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S’inspirer de la sélection naturelle signifie d’abord, pour l’entreprise, de s’engager dans une compréhension en profondeur de son environnement. Par exemple, on a rapidement vu la diminution des émissions de gaz à effet de serre entraînée par l’innovation de la voiture électrique. Mais un travail plus approfondi a permis d’identifier un nouvel enjeu quant à l’extraction des métaux rares nécessaires à sa production. Des cabinets de conseil réalisent par exemple la cartographie des impacts des stratégies des entreprises qu’ils accompagnent. Ils utilisent des données et des outils pour modéliser l’interconnexion entre les activités des entreprises et la nature.
Une façon différente de procéder consiste à développer des scénarios prospectifs afin d’explorer les conséquences de chaque choix d’innovation et de mieux gérer l’incertitude. D’autres cabinets encouragent ainsi les entreprises à tester leurs choix dans des environnements variés, explorant des futurs possibles pour ajuster leurs stratégies en conséquence. Ils peuvent, par exemple, aider leurs clients à adapter leurs services et produits pour tenir compte des nouveaux risques liés aux évènements météorologiques extrêmes et chaotiques.
Réaliser des compromis
L’entreprise peut alors mimer la nature pour choisir les critères qui feront l’objet d’un compromis. L’innovation deviendra ainsi acceptable dans toutes les dimensions identifiées.
Cette étape implique d’utiliser des cadres collectifs aptes à représenter la diversité des dimensions pertinentes et à gérer les tensions qui émergent de leur prise en compte. Concrètement, il s’agit de mobiliser des citoyens, des experts, des designers ou des écologues. En multipliant les voix, on comprend mieux comment une innovation affecte des populations spécifiques.
Par exemple, l’industrie biomédicale française coopère de plus en plus avec des associations de défense animale comme GRAAL ou OPAL pour limiter et mieux accompagner l’utilisation des animaux dans les recherches expérimentales. C’est à partir de ces voix plurielles qu’il est possible de choisir les critères et de réaliser les compromis les plus satisfaisants.
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C’est aussi de cette façon qu’ont procédé des collectivités territoriales accompagnées par des agences de R&D et d’innovation sociale. Elles ont organisé une critique constructive de leurs critères traditionnels de sélection de projets d’innovation grâce à divers acteurs – coopératives, associations, chercheurs, citoyens et représentants d’organisations publiques et privées. Ce processus collectif a permis la construction de nouveaux critères répondant de façon plus pertinente aux ambitions de la collectivité.
C’est sur ce fondement que la région Nouvelle-Aquitaine a mis en place un nouveau fonctionnement pour ses laboratoires mobiles coopératifs. Afin de continuer à être le moteur de nos économies et du développement de nos entreprises, l’innovation doit s’adapter en respectant les limites planétaires et les besoins sociétaux. Ce changement de cap est facilité en particulier grâce à des approches bioinspirées comme celle consistant à mimer la sélection naturelle pour sélectionner les innovations.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.