Normes, tondeuses et muguet: Bardella fait la cour aux petits patrons
Causeur s’est glissé hier midi dans les très chics salons du Cercle Interallié à Paris, où Jordan Bardella, président du Rassemblement national et potentiel candidat précipité à l’élection présidentielle, venait défendre ses positions économiques devant plus d’une centaine de patrons de PME et TPE réunis par l’organisation Ethic de notre amie Sophie de Menthon... L’article Normes, tondeuses et muguet: Bardella fait la cour aux petits patrons est apparu en premier sur Causeur.

Causeur s’est glissé hier midi dans les très chics salons du Cercle de l’Union Interallié à Paris, où Jordan Bardella, président du Rassemblement national et potentiel candidat précipité à l’élection présidentielle, venait défendre ses positions économiques devant plus d’une centaine de patrons de PME et TPE réunis par l’organisation Ethic de notre amie Sophie de Menthon.
La fondatrice de ce club patronal – Entreprises de Taille Humaine Indépendances et de Croissance – connue pour son franc-parler, avait demandé au jeune leader de répondre à une question précise : « Jusqu’où êtes-vous économiquement libéral ? » Question simple en apparence, mais éminemment piégeuse pour un dirigeant d’un mouvement encore perçu par beaucoup comme interventionniste et souverainiste.
Pourtant, M. Bardella, chemise bleue impeccable et sourire appliqué, avec beaucoup de chiffres en tête, quoi que peut-être un peu inquiet au début – la peur du faux pas sur les questions économiques ? -, avait bien préparé son numéro de funambule. Non, il n’est pas socialiste, jure-t-il d’entrée, ni d’extrême droite d’ailleurs. L’ambition affichée : convaincre un public patronal plutôt habitué à écouter la droite classique, sans effaroucher ceux pour qui le RN reste une inconnue économique. Et tenter de le rassurer concernant les propositions de son mouvement concernant retraites ou TVA.
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La démarche de Jordan Bardella s’inscrit dans une stratégie de crédibilisation entamée depuis plusieurs semaines : prises de parole sur les enjeux industriels, tribune dans Le Figaro[1] dans laquelle il expliquait que « l’Europe ne [pouvait] plus être la victime sacrificielle du commerce mondial », livre annoncé pour l’automne chez Fayard[2] dédié à une galerie de portraits de Français autour de la question du travail. Après les questions d’identité et de sécurité, c’est désormais sur le terrain économique que le patron du groupe Patriotes pour l’Europe veut démontrer sa solidité. Et ce lundi 28 avril, il laisse donc son rival de droite Bruno Retailleau se débrouiller avec la polémique qui a suivi le drame de la mosquée de La Grande-Combe, ou la publication de son petit fascicule Ne rien céder: Manifeste contre l’islamisme aux Editions de l’Observatoire prévue dans deux jours…
Loin de la caricature du tribun populiste, Jordan Bardella adopte un ton sérieux, parfois technique, sans se départir d’une forme d’enthousiasme un peu surjouée mais visiblement travaillée. Lors du déjeuner-débat, où trônaient sur les tables cannelloni froids aux légumes en entrée, délicieux poisson délicatement posé sur un lit de poireaux en plat de résistance et pavlova aux fruits exotiques et à la vanille pour le dessert, l’orateur a choisi de se lever pour prononcer son discours, non sans devoir réajuster au pupitre un micro trop bas pour son mètre quatre-vingt-dix.
Contre les menaces de Trump ou le Green Deal européen : la sobriété normative !
Quelques instants auparavant, Mme de Menthon s’était rendue à la table où avaient été réunis les journalistes pour une petite mise au point. Celle qui se vante de faire défiler dans ses conférences et déjeuners-débats toute la classe politique (Le communiste M. Roussel n’est-il pas attendu prochainement ?) n’a pas du tout apprécié que l’Express la qualifie d’ « entremetteuse » du RN auprès du patronat français. Et si la libérale se défend de rouler pour qui que ce soit, elle n’hésite donc pas à sermonner les journalistes comme le feraient les populistes !
Le message délivré par M. Bardella pendant son discours introductif peut se résumer en un triptyque simple et martial : produire, produire, produire. Selon lui, la France doit renouer avec une ambition industrielle, retrouver son rang sur la scène internationale, et cesser de considérer l’entreprise comme une suspecte permanente. Dans une critique bien sentie contre Éric Lombard, il s’étonne : « Quand j’entends le ministre enjoindre les entreprises à accepter d’être moins rentables, les bras m’en tombent. » Pour M. Bardella, même la menace des tarifs douaniers américains pourrait finalement constituer une « chance » pour réveiller un continent trop passif. Il affirme que la brutalité commerciale de Donald Trump, aussi déplaisante soit-elle, a le mérite de dévoiler la naïveté européenne d’un Mario Draghi et doit pousser l’Union à enfin défendre ses intérêts. Il refuse la décroissance prônée par certains cercles écologistes et martèle que la croissance et l’entreprise sont la seule voie de sortie du marasme français. « La brutalité commerciale pratiquée par des alliés historiques de la France, par Donald Trump qui s’est attaqué indistinctement à tous les secteurs, à ses partenaires comme à ses concurrents, est venue, je le sais, s’ajouter à la très longue liste des défis que vous comme nous allons devoir affronter main dans la main ». Et de rappeler son travail au Parlement européen (« L’Europe s’est soumise à des dogmes concurrentiels rigides » / « C’est le seul espace économique au monde à vouloir respecter les règles que toutes les grandes puissances outrepassent ! ») et la nécessité pour l’Etat-stratège de reprendre les manettes. Mais, nos responsabilités nationales sont également étrillées : « La France est devenue ce pays où l’Etat est partout là où il ne devrait pas être et jamais présent là où il serait utile… » / « La France est devenue un enfer fiscal et normatif pour quiconque ambitionne d’entreprendre » / « Notre pays est frappé par ce que Jérôme Fourquet appelle fort justement la maladie bureaucratique ». Le public boit du petit lait.
Une salle conquise ? Bardella entend que les entrepreneurs lui fassent des remontées du terrain
Le leader du RN ne se contente pas d’un discours général : il entre dans le détail. Il promet ainsi que son mouvement rétablirait un prix français compétitif de l’électricité pour l’industrie, basé sur l’énergie nucléaire, et qu’il supprimerait des impôts jugés pénalisants pour les TPE/PME comme la Cotisation foncière des entreprises (CFE) et la Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Plus original encore, Bardella propose une « stratégie tricolore » de simplification normative : un dossier vert pour les normes favorables à la croissance, un orange pour celles à corriger, un rouge pour celles à supprimer purement et simplement. Dans un pays où les entrepreneurs passent leur temps à remplir des formulaires, l’idée est séduisante, mais certains y voient déjà une usine à gaz supplémentaire. C’est sympathique, mais voilà qui fait encore de la paperasse, pourrait-on lui répondre ! À Causeur, un patron de PME normand confiait ainsi avant le début de l’intervention que son fils, qui reprend l’entreprise familiale, consacrait désormais 75 % de son temps aux ressources humaines et à l’administratif, bien loin de la production et de l’innovation.
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Pendant la séance de questions/réponses, Jordan Bardella décroche deux salves d’applaudissements spontanés. La première lorsqu’il promet de recentrer l’État sur ses seules missions régaliennes, moquant au passage les normes absurdes qui réglementent le bruit des « tondeuses à gazon ». La seconde lorsqu’il s’indigne des complications administratives absurdes qui empêcheront toujours boulangers et fleuristes de vendre leur pain ou leur muguet le 1er mai cette année. L’assemblée, jusque-là attentive mais polie, semble alors conquise, ou du moins séduite par cette volonté de simplification qu’il affiche.
Reste la question de la crédibilité sur la durée. Jordan Bardella, s’il veut convaincre l’électorat entrepreneurial, devra montrer qu’il ne se contente pas de slogans, aussi habiles soient-ils. Sophie de Menthon, en tout cas, a visiblement pris plaisir à jouer la maîtresse de cérémonie, taquinant à plusieurs reprises l’ancien président des jeunes RN (elle pensait avoir convié à table un « socialiste » !), sans jamais masquer son plaisir d’animer un débat de fond. En coulisses, elle n’a pas manqué de rappeler qu’elle invitait tous les candidats, de droite comme de gauche, à ses événements. Pas question pour elle d’être estampillée RN par des médias trop prompts à caricaturer. Ce jour-là, en tout cas, dans le luxe discret du Cercle Interallié, Jordan Bardella a peut-être marqué quelques points.
Mais libéral ou étatiste, alors ? Libéral tant que c’est dans l’intérêt de la France, s’en sort finalement dans une pirouette le leader du RN, très inquiet quant au devenir de l’agriculture et de notre industrie automobile. Il fêtera ses 30 ans en septembre.
[1] https://www.lefigaro.fr/vox/economie/jordan-bardella-l-europe-ne-peut-plus-etre-la-victime-sacrificielle-du-commerce-mondial-20250415
[2] https://www.leparisien.fr/politique/une-ode-a-la-france-du-travail-jordan-bardella-va-publier-un-nouveau-livre-en-librairie-a-lautomne-28-04-2025-WHBFWKENORD4TI3VBIVSUCGGBY.php
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