Michaël Prazan: « les Frères musulmans ont une vision paranoïaque et complotiste du monde »

Dans "La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles", Michaël Prazan retrace l'histoire de la confrérie islamiste à vocation terroriste et pointe la naïveté des Occidentaux qui l'a laissé propager son idéologie mortifère et antisémite au nom de la « résistance » palestinienne. Selon lui, l'islamisme prospère partout où l'éducation régresse... L’article Michaël Prazan: « les Frères musulmans ont une vision paranoïaque et complotiste du monde » est apparu en premier sur Causeur.

Mar 19, 2025 - 12:28
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Michaël Prazan: « les Frères musulmans ont une vision paranoïaque et complotiste du monde »

Dans La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, Michaël Prazan retrace l’histoire de la confrérie islamiste à vocation terroriste et pointe la naïveté des Occidentaux qui l’a laissé propager son idéologie mortifère et antisémite au nom de la « résistance » palestinienne. Selon lui, l’islamisme prospère partout où l’éducation régresse.


Causeur. Nous avons tous en tête le visage de deux petits rouquins et de leur mère, Kfir, Ariel et Shiri, suppliciés par leurs ravisseurs. Au-delà de l’effroi et de la rage, qu’est-ce qu’un connaisseur du Hamas comme vous a appris de cette tragédie ?

Michaël Prazan. Quel enseignement tirer d’un mouvement terroriste qui ment, use du sadisme comme politique et délivre des diplômes à des gens qui qu’il a brimés, torturés, affamés ? Quel enseignement tirer de l’assassinat à mains nues d’un nouveau-né ? De son visage arraché sur les murs de nos villes ? Je l’ignore, si ce n’est que le mal, l’inhumanité, existent, et que l’antisémitisme, dans sa forme génocidaire la plus pure, n’a pas disparu après la Shoah. Lors du pogrom de Iasi, les Roumains pendaient les bébés à des crocs de bouchers. Les Einsatzgruppen, les commandos mobiles de tueries nazis, jouaient au ball-trap en lançant les bébés en l’air avant de leur tirer dessus.

À Gaza, le frérisme est clairement djihadiste. Les Frères musulmans ont-ils toujours partie liée avec le terrorisme ?

Le terrorisme est consubstantiel au frérisme. Dès l’origine, en marge de son parti politique, Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, crée un « appareil secret ». C’est ce versant clandestin et terroriste, d’ailleurs en partie financé par le parti nazi en Allemagne, qui va perpétrer des attentats, assassiner des dirigeants politiques égyptiens, fomenter des pogroms dans les quartiers juifs du Caire, dès la fin des années 20. Rappelons que la Gamma al-Islamiya et Al-Jihad, les deux organisations qui ont fait assassiner le Président Sadate, sont nées au sein des Frères musulmans, de même, un peu plus tard, qu’Al-Qaïda.

L’alliance entre le Hamas sunnite d’un côté et, de l’autre, le Hezbollah et le régime iranien chiites peut sembler curieuse. À Téhéran, on n’aime guère Al-Qaïda qui a volé la vedette aux mollahs.

En réalité, des liens se sont tissés dans les années 1950 entre les Frères musulmans et une organisation islamiste chiite iranienne dirigée par Navvab Safavi. Les deux organisations fusionnent en 1954 au Caire. Un an plus tard, Safavi tente d’assassiner le Premier ministre iranien, il est arrêté et exécuté. Ses fidèles se trouvent un nouveau leader, dans la personne d’un ayatollah banni appelé Khomeini, qu’ils initient à la pensée de Sayyid Qutb, le grand idéologue des Frères musulmans égyptiens, lui-même pendu par Nasser en 1966. Pour Khomeini, c’est une révélation, à telle enseigne que, arrivé au pouvoir, il prend deux décisions : la première est de frapper un timbre à l’effigie de Sayyid Qutb, la deuxième, de transformer l’ambassade d’Israël en ambassade de Palestine parce qu’il comprend immédiatement que cette question est la plus fédératrice.

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L’antisémitisme accompagne l’islam depuis les origines, mais il y a eu aussi une cohabitation heureuse. Est-ce le frérisme qui change la donne et fait des juifs les ennemis prioritaires ?

En effet, pour la bonne raison que la première génération des Frères musulmans adhère à la propagande nazie très active en Iran et en Égypte. Les Allemands y dirigent des écoles techniques et agronomiques, ainsi que des médias, qui deviennent des lieux de propagation de l’antisémitisme nazi. Les Frères balayent le soufisme qui était certes minoritaire, mais très répandu et estimé au Maroc et en Égypte, par exemple. Ce sont des gens convaincus, prosélytes et déterminés. Partout où ils s’installent, au Moyen-Orient, au Maghreb et, à partir des années 1980, en Europe et en Occident, ils ont pour vocation de réislamiser les populations musulmanes sur un mode fondamentaliste.

Leur haine des juifs est-elle d’abord politique ou métaphysique ?

Ils ont une vision paranoïaque et complotiste du monde. Ils pensent très sincèrement que l’objectif de l’Occident, c’est de détruire l’islam et que cette volonté est manipulée par les juifs. Une anecdote illustre clairement cette paranoïa. En 1949, Sayyid Qutb se trouve au Colorado, où on l’a envoyé étudier, et le soir de l’assassinat de Hassan Al-Banna par la police politique du roi Farouk, il voit dans la rue les Américains qui crient victoire et s’embrassent. Il est persuadé qu’ils célèbrent la mort d’Al-Banna, dont aucun Américain ne connaît le nom. Il y avait peut-être eu un Superbowl ! Et ça continue. Sur la page Wikipédia « Gaza », on lit que, dans les années 1920, les juifs essayaient d’empoisonner les puits.

Puis la création d’Israël est un nouveau défi pour les Frères…

Leur projet, c’est la reconstruction du califat islamique du Maroc au Pakistan. La place d’un État juif dans cet espace est inconcevable. Dès la guerre israélo-arabe de 1948, ils organisent des bataillons Frères musulmans qui sont décimés, parce qu’ils ne sont pas du tout préparés au combat. Mais ils ne savent pas encore quel discours adopter. C’est Navvab Safavi qui leur fournit un narratif en expliquant que la question israélienne concerne l’oumma entière. Tous les musulmans doivent combattre cette pustule juive, parce que la terre de Palestine est un bien sacré de l’islam.

Comment les Israéliens se sont-ils laissés prendre à de beaux discours, y compris ceux de Yahya Sinwar dont vous racontez comment il a joué les repentis ?

C’est une vraie question. Quand je parlais avec des Israéliens, ou d’ailleurs avec des Égyptiens, j’avais l’impression qu’ils ne savaient pas du tout à qui ils avaient affaire. Ils voyaient le Hamas comme un mouvement nationaliste palestinien, sans comprendre les Frères musulmans et leur projet. Du reste, en France, la même naïveté a prévalu. Les Frères musulmans, qui s’installent en France à partir de 1980, sont habillés en costume-cravate, paraissent respectables, ils ont des diplômes. On leur déroule le tapis rouge.

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Le Hamas s’est imposé par la violence à Gaza. Y a-t-il eu des alternatives étouffées ?

Une seule fenêtre s’est brièvement ouverte après les accords d’Oslo. Mais ni Arafat ni le Hamas ne toléraient la contestation, donc s’il y avait des oppositions, elles ont été bâillonnées ou éliminées. En réalité, chaque fois qu’une opposition naît au sein du mouvement national palestinien, elle n’est pas plus démocratique, mais toujours plus radicale. En 2010, je me trouvais à Gaza et j’ai découvert l’existence d’une opposition armée au Hamas : c’était Al-Qaïda.

La singularité française, c’est l’existence d’un parti de gauche qui a quasiment épousé la cause frériste. L’opportunisme électoral est-il vraiment la seule explication ?

Ça a commencé comme ça, puis c’est devenu non seulement une conviction, mais une idéologie islamo-gauchiste, puis antisémite. Dans la deuxième partie de mon livre (les « idiots utiles »), j’essaie de comprendre cette dérive.

Elle reste en partie mystérieuse. Mélenchon fustigeant « nos ennemis » devant le cercueil de Charb, c’était il y a dix ans.

Oui, il s’en prenait aussi aux filles voilées. Cette cohérence bascule à 180 degrés après Charlie Hebdo. Il s’agit d’abord de faire voter les banlieues en tapant sur les « sionistes ». Il y a aussi le ressentiment de Mélenchon. Il était le plus sioniste de la gauche du PS. Or, pendant la manifestation en hommage à Mireille Knoll, il doit être exfiltré alors que le RN peut manifester. Il se sent trahi par les juifs. À partir de là, il va de plus en plus loin dans les signes envoyés. Enfin, la sédimentation idéologique s’opère lors du passage du Front de gauche à LFI. Arrive une nouvelle génération de jeunes façonnés dans le militantisme antisioniste, qu’ils soient issus du féminisme radical, des black blocks ou du décolonialisme. Ils donnent le la.

La France s’habitue-t-elle à l’antisémitisme ?

Il y a une certaine indifférence. Le 7 octobre 2023, j’appelle ma production, où ne travaillent que des femmes charmantes dénuées de tout antisémitisme. Je suis stupéfait par leur réaction. Elles me plaignent, parce qu’elles savent que je suis Juif, mais ne se sentent absolument pas concernées.

Beaucoup de Français pas du tout antisémites ne voient pas qu’ils sont attaqués par les mêmes ennemis qu’Israël et, dans le fond, le sort des juifs n’est plus vraiment leur affaire.

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Pourrait-on assister à la deuxième disparition du monde juif européen (cette fois par l’exil) ?

C’est en cours. Le nombre de juifs en Europe, et surtout en France, diminue d’année en année. J’ai assisté à la naissance de ce phénomène quand j’étais enseignant en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, entre 2000 et 2004. En 2000, l’Intifada al-Aqsa provoque une brève explosion de fièvre antisémite, une quinzaine de jours. Juste après, le 11-Septembre suscite chez nombre de jeunes une adhésion enthousiaste. Mes élèves noirs sont sous le charme de Dieudonné et mes élèves musulmans sous celui de Tariq Ramadan. Et je vois mes élèves juifs quitter le public pour des écoles juives. Dans la foulée, les petites classes moyennes blanches qui vivaient dans ces quartiers partent aussi. Lorsque j’étais tout jeune prof, toutes mes élèves musulmanes avaient une meilleure amie juive. Une fois les juifs disparus du quartier, ces derniers deviennent un fantasme. On ne les fréquente plus, on ne vit plus avec eux, ce qui laisse libre cours à une fantasmagorie bassement antisémite ou complotiste.

La chute du niveau encourage ce complotisme, qui est acclimaté par les familles mais aussi par toute une clique d’associatifs, médiateurs et autres militants subventionnés.

La baisse du niveau scolaire, continue depuis quarante ans, est une donnée fondamentale. Elle favorise la prédation intellectuelle de pédagogues sociologisants qui ont la main sur certains ouvrages scolaires. Les classes générales sont relativement épargnées, mais dans les classes techniques et professionnelles, où les élèves sont très majoritairement noirs et arabes, on leur serine du matin au soir qu’ils sont des victimes, qu’on les discrimine, que la France est raciste. Un jour, je surveillais le bac français dans une classe technique. On leur avait donné à analyser Lily de Pierre Perret. Très jolie chanson, mais quand ces élèves entendent qu’« une blanche vaut deux noires », cela les conforte dans leurs certitudes victimaires. Quelle est l’intention qui se cache derrière ce choix ?

Omer Wenker, prisonnier israélien, est libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers entre Israël et le Hamas, le 22 février 2025 à Rafah, dans la bande de Gaza. Chaque libération d’otage est précédée d’une cérémonie humiliante, soigneusement orchestrée par le Hamas © Mohamed Ashraf/UPI/Newscom/SIPA

En tout cas, en Europe et dans le monde arabe, le frérisme et l’antisémitisme semblent en passe de gagner la bataille des esprits et des cœurs musulmans. Résultat, tout processus démocratique dans un pays islamique a des chances d’amener des islamistes plus ou moins fanatisés au pouvoir…

On a une vision complètement délirante du monde arabe et de la démocratie. La démocratie ne consiste pas à mettre un bulletin dans l’urne. Dans un pays comme l’Égypte, où un tiers de la population est analphabète, quel est le sens du vote ? Toute une population est captive pour le clientélisme des Frères musulmans, qui sont très populaires, car ils font office de sécurité sociale : l’aide sociale, le soin, l’assistance aux plus faibles, c’est ce qu’ils font depuis toujours. Si le pouvoir éradiquait les Frères musulmans, le pays sombrerait un peu plus dans la pauvreté, voire la famine et Al-Sissi le sait.

Cependant, certains pays musulmans comme le Maroc ou l’Arabie saoudite parviennent à enrayer la fixette judéo-israélienne.

Si vous le dites… En réalité, ces pays combattent l’influence des Frères musulmans plus que l’antisémitisme qui continue à prospérer. Dans beaucoup de pays arabes, l’opposition à l’islamisme est elle aussi fondamentalement antisémite et antisioniste. Ces pays peuvent basculer à tout instant.

Il y a aussi chez les Israéliens et chez les juifs des cinglés, des fanatiques, voire des gens animés d’arrière-pensées génocidaires… Faut-il redouter que leur influence s’étende ?

Oui, et c’est exactement ce que veut le Hamas. À chaque fois qu’une vague ouverture est apparue, le Hamas a envoyé quantité de bombes humaines sur les territoires israéliens. Et l’un des objectifs du 7-Octobre était d’enterrer la solution à deux États et d’ouvrir un boulevard à cette extrême droite qui pense que le territoire d’Israël est défini par le cadastre biblique et encourage des colons fondamentalistes.

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Il y a aussi une extrême droite non religieuse…

Il y a évidemment une volonté de revanche décuplée par le sadisme et le cynisme du Hamas. Mais aussi, il faut le reconnaître, un mépris endémique des Arabes qui remonte à loin. Chez les juifs orientaux, c’était sur le mode « nous, on les connaît ». Avec l’arrivée de populations russes et est-européennes qui avaient baigné dans une forme de racisme culturel, ça s’est radicalisé. Certains n’ont aucun scrupule à dire qu’il faut exterminer les Arabes.

Et Trump les caresse dans le sens du poil en leur faisant miroiter un illusoire déplacement massif de population…

Veut-il flatter les extrémistes israéliens ou la branche dure du mouvement chrétien américain ? En tout cas, c’est une idée parfaitement absurde. Si vous voulez faire tomber les régimes en Égypte et en Jordanie – deux pays qui ont fait la paix avec Israël –, et y amener au pouvoir des Frères musulmans, vous n’avez qu’à envoyer à chacun 900 000 Palestiniens. Même en balayant toute considération morale, c’est un risque faramineux. En revanche, il est clair que les deux États, c’est fini. Cette vieille lune n’a plus cours que dans l’esprit des Européens.

Michaël Prazan, La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, L’Observatoire, 2025.

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