Médecins et enseignants dénoncent-ils les violences sur mineurs, comme l’exige la loi ?

Le chirurgien Joël Le Scouarnec est jugé pour 299 viols et agressions sexuelles commises pendant vingt-cinq ans. Nombre de ses collègues ont alerté mais n’ont pas porté plainte. Ont-ils respecté leurs obligations légales ?

Avr 30, 2025 - 18:07
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Médecins et enseignants dénoncent-ils les violences sur mineurs, comme l’exige la loi ?

Depuis le 24 février, le chirurgien Joël Le Scouarnec est jugé pour 299 viols et agressions sexuelles, essentiellement commises sur des mineures, entre 1989 et 2014. Condamné à une peine de prison avec sursis en 2005 pour possession d’images pédocriminelles, ce dernier est recruté par plusieurs hôpitaux et continue d’exercer malgré des alertes de collègues. Pourtant, aucune plainte ne sera jamais déposée par les professionnels de santé. Comme ceux qui interviennent en milieu scolaire, ils ont pourtant une obligation de signalement à la justice en cas de violences sur des mineurs. Pourquoi n’est-ce pas toujours le cas dans la pratique ? Comment améliorer les dispositifs existants ?


Médecin et criminel pédophile, Joël Le Scouarnec a bien été dénoncé par certains collègues auprès d’établissements hospitaliers et du conseil de l’Ordre, mais ces alertes sont, pour la plupart, restées sans suite. Si certains établissements ont mis fin au contrat de travail du chirurgien d’autres, rencontrant des difficultés de recrutement, l’ont malgré tout embauché, arguant qu’aucune interdiction d’exercer n’avait été prononcée à son encontre et qu’aucune sanction disciplinaire n’avait été prise par le conseil de l’Ordre. Le chirurgien a continué d’exercer et de sévir auprès d’enfants pendant des années.

Lors du procès, un ancien collègue de Joël Le Scouarnec a rappelé que malgré les alertes lancées à l’hôpital de Quimperlé, aucune communication officielle n’a été faite par l’établissement et il a reconnu, à titre personnel n’avoir jamais alerté les autres intervenants du bloc : « je pensais qu’ils avaient été informés, et je ne pouvais pas non plus l’afficher dans tout le service ».

Face à une telle situation, on s’interroge : quelles sont les obligations légales des professionnels intervenant auprès d’enfants dans le signalement des violences ?


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Alors que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, le professionnel de santé a une place importante puisqu’il a une obligation de signalement auprès des autorités judiciaires ou administratives lorsqu’il a connaissance de violences, y compris sexuelles, commises sur des mineurs. Cette règle, envisagée dans le code pénal, article 226-14 est également rappelée dans les différents codes de déontologie des professions médicales : médecin,article R4127-44 alinéa 2 Code de la santé publique, infirmier, sage-femme.

Ce devoir de signalement qui est donc à la fois d’origine légale et déontologique implique alors une possible levée du secret professionnel pour informer les autorités compétentes en cas de violences faites à l’égard des enfants. La loi précise alors l’auteur d’un tel signalement puisque celui-ci ne peut pas faire l’objet de poursuites pénales, civiles ou encore disciplinaires pour avoir révélé des informations à caractère secret.

Pour autant, l’énoncé des textes en la matière conduit à une incertitude quant à l’étendue de cette obligation de signalement. En effet, il est précisé que le professionnel doit alerter les autorités compétentes de violences faites aux enfants « sauf circonstances particulières » qu’il « apprécie en conscience ».

Ces références à l’appréciation concrète et circonstanciée peuvent amener le professionnel de santé, lorsqu’il y est confronté, à distinguer deux types de situations. Lorsque ce dernier a la certitude que des violences sont exercées à l’égard d’un enfant, il informe les autorités judiciaires ou administratives. Néanmoins, en cas de simples suspicions de violences, il semble y avoir un delta qui fait douter du caractère impératif du devoir qui lui incombe.

En ce qui concerne les enseignants et les professionnels en milieu scolaire, une obligation plus large est posée puisque tout fonctionnaire ou agent public qui acquiert connaissance d’un délit ou d’un crime, quel qu’il soit, doit en aviser sans délai le Procureur de la République article 40 Code de procédure pénale, alinéa 2 et L 121-11 Code général de la Fonction publique.

Cette obligation a été spécialement rappelée en cas de violences sur mineurs, dans le cadre de la loi du 14 avril 2016 relative à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.

« 119, Allô enfance en danger »

En pratique, lorsqu’ils suspectent des violences, les professionnels intervenant auprès d’enfants font le plus souvent des signalements indirects auprès des services départementaux et de la Cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) qui est une cellule départementale qui centralise et facilite le repérage des enfants victimes de violences.

Cette cellule, qui peut être alertée par toute personne, notamment via le relais assuré par le numéro « 119, Allô enfance en danger », se charge de faire une évaluation pluridisciplinaire de la situation qui aboutit, dans un délai de trois mois au plus, à une décision d’orientation déterminant les éventuelles suites à donner aux signalements effectués.

Les pratiques observées en milieux hospitalier et scolaire montrent qu’il y a souvent une concertation en interne au sujet des violences suspectées avant que la structure concernée n’alerte la CRIP.

Le rôle prépondérant des enseignants et des professionnels de santé dans la détection des violences faites aux enfants est indéniable puisqu’ils sont respectivement à l’origine de 23 % et de 15 % des informations préoccupantes transmises à la Crip.

Des dispositifs à perfectionner

Les dispositifs existants restent cependant perfectibles. Concernant les professionnels de santé, ils sont certes protégés d’un engagement de leur responsabilité du point de vue du secret professionnel mais ils peuvent être sanctionnés disciplinairement pour violation d’autres obligations déontologiques en cas de signalement.

Cette absence d’immunité totale a été récemment confirmée par le Conseil d’État lors d’une décision du 15 octobre 2024 qui a validé la sanction disciplinaire d’un médecin qui avait établi un certificat médical mentionnant des « violences intrafamiliales extrêmes » qu’il n’avait pas personnellement observées manquant ainsi à son obligation déontologique de non-immixtion dans les affaires de famille et dans la vie privée des patients comme nous le rappelle l’article R 4127-51 CSP.

Conscient du frein que cette crainte de la sanction disciplinaire peut constituer aux signalements, le plan gouvernemental 2023-2027 consacré à la lutte contre les violences faites aux enfants préconise une modification des codes de déontologie pour « clarifier l’obligation du professionnel de santé quand il constate des violences ».

En outre, l’absence de formation continue obligatoire relative aux violences faites aux enfants pour les professionnels intervenant auprès d’enfants est également à regretter. En effet, des formations sont proposées mais demeurent souvent ponctuelles en raison du manque de moyens et restent avant tout à la discrétion de chaque structure. Là encore, le plan gouvernemental a pour ambition de revaloriser la formation des professionnels.

Parmi les mesures proposées, le plan envisage la formation de vingt référents par ministère concerné chargés de sensibiliser et de former les professionnels intervenant auprès d’enfants au repérage et signalements des situations de violences faites aux enfants. La réforme de la formation des enseignants amorcée il y a quelques jours dans le décret du 17 avril signé par la ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, et le premier ministre, François Bayrou, promet également un renforcement de la formation sur ces questions.

Reste à savoir si les moyens humains, matériels et financiers déployés seront à la hauteur de ces ambitions. Au-delà des seuls enseignants, la mise en œuvre d’une formation continue approfondie obligatoire pour l’ensemble des professionnels intervenant auprès d’enfants pourrait constituer une avancée importante dans la lutte contre ces violences.The Conversation

Gwenaëlle Questel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.