L’État de droit, c’est plus fort que toi !

Qu'est ce qui permet de fermer une chaîne de télé populaire ou d'interdire l'expulsion de terroristes étrangers ? L'État de droit ! Une poignée de hauts magistrats biberonnés au progressisme ont prééminance sur les pouvoirs exécutif et législatif issus des urnes. Un dispositif conçu pour dissuader les gouvernants d'abuser de leur pouvoir leur interdit désormais de l'exercer... L’article L’État de droit, c’est plus fort que toi ! est apparu en premier sur Causeur.

Mar 12, 2025 - 07:21
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L’État de droit, c’est plus fort que toi !

Qu’est ce qui permet de fermer une chaîne de télé populaire ou d’interdire l’expulsion de terroristes étrangers ? L’État de droit ! Une poignée de hauts magistrats biberonnés au progressisme ont prééminance sur les pouvoirs exécutif et législatif issus des urnes. Un dispositif conçu pour dissuader les gouvernants d’abuser de leur pouvoir leur interdit désormais de l’exercer.


L’État de droit a encore frappé. Sa dernière fantaisie, décrétée par ses plus hautes instances, a été de fermer une chaîne de télévision. Sans doute celle-ci n’était-elle pas le royaume de la distinction, mais on ignorait que les régulateurs fussent si intraitables sur les bonnes manières. De plus, C8 ayant déjà été lourdement sanctionnée pour ses manquements, il faut croire que dans ce domaine, la « double peine », si contraire aux droits de l’homme quand il s’agit de délinquants étrangers, est parfaitement légitime. S’ils avaient pu embastiller Hanouna pour protéger la jeunesse et les bonnes mœurs, les conseillers d’État, qui ont validé la condamnation à mort prononcée par l’Arcom, l’auraient certainement fait.

La sauvegarde du pluralisme…

Cyril Hanouna n’est pas Voltaire qu’on assassine. Mais son émission séduisait la jeunesse des banlieues autant que celle des campagnes, des mélenchonistes comme des lepénistes. Peut-être parce que tous les points de vue et tous les sujets y avaient droit de cité et que, entre commentaires oiseux sur les dernières frasques des people et grosses blagues qui tachent, on pouvait y voir de vrais débats sur le mode castagne. C’est le seul plateau où j’ai pu croiser le fer avec un islamiste qui menaçait une prof, un ex-dealer et futur député extrême gauchiste, un chroniqueur cochant toutes les cases de la rien-pensance. Et ce n’était pas du chiqué.

Qui l’eût cru, les magistrats de la section du contentieux du Conseil d’État ont de l’humour. S’ils ont entériné la fermeture de C8, c’est… pour sauvegarder le pluralisme. Dans sa décision du 19 février, le Conseil affirme que l’Arcom choisit « les projets qui contribuent le mieux à la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels, lequel participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d’opinion […] ». Pour Jean-Éric Schoettl qui pratique cette langue obscure, c’est une jurisprudence anti-Bolloré qui s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence Hersant concoctée il y a quarante ans. À la manœuvre alors, le Conseil constitutionnel présidé par Robert Badinter ne s’était pas contenté de censurer la loi « communication » de François Léotard, il avait dicté au législateur une série de dispositions supposées protéger le pluralisme et limiter les concentrations1. Nul n’ignorait à l’époque que l’objectif était de contenir les appétits de Robert Hersant, surnommé le « Papivore » par la gauche pour sa boulimie de journaux – les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître ce temps où la presse écrite était un pouvoir.

Liberté d’oppression

L’actualité est coquine. Deux jours avant que le Conseil rende sa sentence, J. D. Vance fustigeait un recul de la liberté d’expression en Europe et exhortait les dirigeants à ne pas avoir peur de leurs peuples. On pourrait demander au vice-président américain de garder ses leçons de maintien (et de défendre la liberté de porter la burqa chez lui si ça lui chante). N’empêche, à en juger par le déferlement de protestations, il a visé juste.

Imaginons, par pure hypothèse, comme dit Gilles-William, que cela arrive au pays de Poutine ou Orban, qu’une chaîne de télévision appartenant à un homme d’affaires en délicatesse avec le pouvoir et en rupture avec la doxa médiatique soit fermée sur décision d’une haute juridiction (dans les régimes autoritaires, il y a toujours un tribunal pour faire le sale boulot). Les éditocrates progressistes hurleraient à la démocratie confisquée. Ici, ils jurent que la lutte continue – CNews émet toujours. Ça se passe en France en 2025, des élus et des journalistes applaudissent bruyamment la fermeture d’une chaîne de télévision. Ils ont le droit : c’est l’État de droit. Et l’État de droit, c’est sacré. Les ploucs qui regardaient C8 n’ont qu’à écouter France Inter.

C’est l’État de droit qui prétend obliger Robert Ménard à célébrer le mariage d’un homme qui n’a rien à faire sur notre territoire. C’est l’État de droit qui espionne un ancien président et le condamne sur la base d’intentions supposées. C’est l’État de droit qui nous interdit de maintenir en détention un terroriste en fin de peine que son pays refuse de reprendre, nous empêche d’expulser un imam vociférant, nous somme de reprendre un Tchétchène radicalisé (ce que d’ailleurs nous n’avons pas fait), et sacrifie la sécurité du grand nombre au respect sourcilleux des droits des criminels. Personne n’a eu la cruauté de comptabiliser ses victimes, ni de recenser les dommages qu’il inflige à la société. Mais dans les bistrots, on a compris : l’État de droit, c’est ce qui emmerde les gens ordinaires et fait plaisir aux belles âmes prodigues en leçons de vivre-ensemble et de sans-frontiérisme.

Au départ, bien sûr, une belle et grande idée, inséparable de la démocratie elle-même. Elle garantit que la loi s’impose à tous, particulièrement au gouvernement. C’est une protection contre l’arbitraire du pouvoir, mais aussi contre celui de la majorité. N’en déplaise aux intégristes de la souveraineté populaire, le peuple ne peut pas tout faire, il ne peut pas supprimer la démocratie elle-même.

Le pouvoir des juges

Le contrôle de constitutionnalité élaboré par le duo Debré/de Gaulle, au demeurant une concession à l’air du temps post-totalitaire, visait à s’assurer que gouvernants et gouvernés respectaient la Constitution, sanctifiée par le vote populaire. Ils n’imaginaient pas que, par une série de coups d’État feutrés, des juges s’arrogeraient non seulement un pouvoir de définition et d’extension illimitée du « bloc constitutionnel » qui s’impose à tous, mais aussi un pouvoir normatif considérable. Le législateur, comme le pouvoir exécutif, doit respecter, en plus de la Constitution, une panoplie extensible de grands principes aussi élastiques qu’imprécis, sans oublier les normes européennes. Ainsi les citoyens ont-ils perdu la main sur des sujets essentiels pour la vie de la nation. Exemple, tout le monde admet, pour s’en réjouir ou la déplorer, l’existence d’un grand remplacement démographique et culturel. L’immigration est donc une question politique majeure. Or, la politique migratoire a été préemptée par des hauts magistrats et orientée dans une direction exactement opposée à celle que souhaite la majorité (lire Jean-Éric Schoettl, pages 24-25 du magazine). À la sortie de cet alambic aux mille tuyaux, des principes supérieurs interdisent aux Français de décider qui ils accueillent, empêchent nos banques de financer notre industrie d’armement ou décident quelle télévision le public peut voir. Dans ces conditions, pourquoi se déplacer pour aller voter ?

Toutes sortes de hauts magistrats (juges stricto sensu, membres du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État ou d’autorités « indépendantes » investies d’un pouvoir de police) ont désormais prééminence sur les pouvoirs exécutif et législatif issus des urnes. De sorte qu’un dispositif conçu pour dissuader les gouvernants d’abuser de leur pouvoir leur interdit désormais de l’exercer. Ce renversement a accompagné le triomphe de l’idéologie des droits de l’Homme, implacablement décrypté par Marcel Gauchet, fin observateur de l’impotence des pouvoirs démocratiques : « En 1971, explique-t-il, le Conseil constitutionnel a décidé que la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946, qui énoncent de grands principes, faisaient désormais partie du droit positif, donnant libre cours au juge pour les accommoder à leur sauce. Pour la petite histoire, le président du Conseil, un gaulliste historique, voulait enquiquiner Pompidou. C’est le début de la mutation qui verra l’État de droit devenir l’État des droits de l’Homme. » Face aux droits sacrés de tout individu, serait-il la dernière des ordures, l’État et la collectivité n’en ont aucun et certainement pas celui de se protéger.

Dans ce nouveau rapport de forces, ce n’est pas l’arbitraire des gouvernants qui fait peur, mais celui des juges qui les tiennent en joue, lesquels ont en commun de ne pas être élus et de n’avoir aucun compte à rendre. L’État de droit a un visage et un numéro de téléphone – en réalité, quelques dizaines. Les décisions qui changent la grammaire de la vie collective sont prises par des êtres humains. Souvent surdiplômés, parfois très intelligents, ils officient au sein des hautes juridictions nationales et européennes ou des instances de régulation spécifiques.

L’État de droit est un État de gauche

Des esprits soupçonneux sont d’autant plus portés à voir dans la fermeture de C8 une décision politique que la fréquence libérée a été attribuée à un macroniste bon teint, parfaitement estimable par ailleurs. Ils se trompent. Emmanuel Macron n’a nullement besoin de prendre son téléphone. Les gens qui décident pensent comme lui (en moins performant sans doute). Il en a nommé certains car, comme l’écrit Samuel Fitoussi dans une chronique hilarante, l’indépendance de la Justice étant un principe fondamental, il vaut mieux s’en assurer en y nommant ses amis – mais de toute façon, l’alignement des planètes mentales est spontané2. Notre enquête sur l’Arcom montre que l’État de droit est gouverné par un petit monde endogame dont les membres ont fréquenté les bonnes écoles, les cabinets ministériels (de gauche, faut-il le préciser) et les cénacles de la bonne société progressiste avant, pour certains, de faire un petit tour dans l’audiovisuel public ou la culture subventionnée. Tous ces gens convaincus de détenir le monopole de la raison et d’incarner la résistance au populisme ont baigné dans la même saumure idéologique. Ce qui inspire à Fitoussi une croustillante définition de la dictature de la majorité : « Écueil dans lequel peut tomber la démocratie (rappeler qu’il a été magistralement décrit par Tocqueville). Lui préférer la dictature de la minorité (de l’Arcom, du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel). »

Dans ce paysage, il n’est pas si surprenant qu’Emmanuel Macron choisisse comme président du Conseil constitutionnel, non pas son cheval certes, mais un homme qui n’a ni la stature morale, ni l’envergure intellectuelle nécessaires à une telle charge et dont le seul mérite est sa loyauté envers lui (voir le portrait de Joseph Macé-Scaron). Rue Montpensier, Richard Ferrand retrouvera Véronique Malbec qui, lorsqu’elle était procureur général à Rennes, a laissé le parquet de Brest, placé sous ses ordres directs, classer la crapoteuse affaire des Mutuelles de Bretagne, finalement prescrite deux ans plus tard3. Le nouveau pape de l’État de droit dialoguera d’égal à égal avec le président de la section du contentieux du Conseil d’État, Christophe Chantepy, ancien dircab de Jean-Marc Ayrault, et avec celui de la Cour des comptes, le hiérarque socialiste Pierre Moscovici. D’aucuns évoquent une république de copains. On préférera l’expression fleurie de l’ami Stéphane Germain : l’État de droit est un État de gauche.


  1. Lire son texte sur le site de la Revue politique et parlementaire : « Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Arcom : hier
    Hersant, aujourd’hui Bolloré », 25 février 2025. ↩
  2. Samuel Fitoussi, « De l’État de droit aux fake news, un petit dictionnaire de la classe politique macroniste », Figarovox, 24
    février 2025. ↩
  3. Richard Ferrand n’a pas contesté les faits. Lorsqu’il était directeur général des Mutuelles de Bretagne, sa compagne a pu
    acquérir un bien immobilier sans débourser un centime (intégralement financé par l’emprunt) grâce à une garantie de
    location…des Mutuelles de Bretagne. ↩

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