Les jeux vidéo rendent-ils violents au point de tuer ?

Jouer à des jeux vidéos violents rend-il agressif ? Cette question agite régulièrement le débat public. Pourtant, aucune recherche n’a encore établi de lien entre jeu vidéo et passage à l’acte criminel.

Fév 18, 2025 - 19:38
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Les jeux vidéo rendent-ils violents au point de tuer ?

La question des liens entre les jeux vidéo violents et le niveau d’agressivité dans la vie courante revient régulièrement dans le débat public, en particulier quand un joueur a été impliqué dans un fait divers. Pourtant, si des effets à court terme sur le comportement ont pu être mis en évidence chez certains joueurs, jusqu’à présent, aucune recherche n’a permis d’établir un quelconque lien causal entre pratique de jeux vidéo violents et passage à l’acte criminel.


Début février, le corps de Louise, une collégienne de 11 ans, était retrouvé dans un bois à Longjumeau, en Essonne. En relatant les avancées de l’enquête, les médias ont largement souligné le fait que le meurtrier présumé aurait eu, peu avant son crime, une dispute avec un joueur en ligne au cours d’une partie du célèbre jeu vidéo de tir « Fortnite ».

Comme à plusieurs reprises par le passé, la question des liens entre jeux vidéo violents, actes violents et meurtres s’est à nouveau imposée dans l’espace politico-médiatique. Cette interrogation n’est pas illégitime : étant donné que plus de 90 % des jeunes de 10 à 24 ans jouent à des jeux vidéo, les enjeux sociétaux potentiellement liés à ces questions sont en effet considérables.

Après les réactions initiales, souvent émotionnelles et idéologiques, il est important de se tourner vers la science pour comprendre les effets réels des jeux vidéo violents. Trois questions sont au cœur du problème.

La première est propre aux jeux vidéo eux-mêmes : provoquent-ils des pensées, des sentiments et des comportements agressifs à court et long termes ?

La deuxième porte sur les relations entre joueurs qui communiquent oralement ensemble en ligne. Dans quelle mesure une dispute entre eux peut-elle provoquer des comportements violents « dans la vie réelle » ?


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Enfin, la troisième question est celle du passage à l’acte criminel : que sait-on des liens entre les jeux vidéo et les comportements violents graves, tels que les meurtres ?

Une plus grande agressivité à court terme

La grande majorité des scientifiques qui ont évalué les effets des jeux vidéo violents ont étudié les pensées, les émotions, les réactions corporelles (degré d’excitation, fréquence cardiaque, par exemple) et les comportements des joueurs à court terme, c’est-à-dire juste après avoir joué ou quelques dizaines de minutes après.

Pour mener ce type d’étude, les chercheurs ont souvent recours à des expérimentations. Celles-ci peuvent par exemple consister à répartir aléatoirement des personnes dans deux groupes. Dans le premier groupe, les participants jouent à un jeu vidéo violent, tandis que dans le second, ils jouent à un jeu vidéo non violent ou regardent, de manière passive, les images d’un jeu vidéo violent sans y jouer. On procède ensuite à une série de mesures portant sur leurs pensées, leurs émotions et des indicateurs physiologiques comme le niveau de stress.

Pour évaluer les comportements, plusieurs méthodes sont utilisées. Par exemple, les évaluateurs peuvent observer discrètement comment ceux qui viennent de jouer se comportent avec d’autres personnes au cours de différentes situations d’interactions sociales. Comme toutes les conditions sont identiques par ailleurs et les participants répartis aléatoirement entre les groupes, comparer les mesures et observations permet d’évaluer les effets des jeux vidéo.

Les résultats obtenus montrent que les joueurs sont dans les minutes qui suivent davantage excités que les autres, et que leurs pensées et leurs émotions deviennent plus agressives après une partie. Leurs comportements se modifient également, tendant à être un peu plus agressifs que d’habitude.

Attention toutefois : si, dans ces recherches, le terme « agressif » renvoie bien à des pensées ou à des conduites qui visent à nuire aux autres, les comportements évalués restent cependant relativement mineurs, et non pénalement répréhensibles.

Si les résultats ont globalement montré que les jeux vidéo violents généraient, à court terme, des pensées, des émotions et des comportements agressifs, pour certains chercheurs, ces effets délétères pourraient être surestimés dans les études. Selon eux, leur ampleur serait en fait très faible. En outre, dans la « vie réelle », juste après avoir joué, la mise en œuvre d’actes agressifs, tels des insultes, des agressions verbales ou des bousculades n’est bien sûr jamais automatique. Il faut, très souvent, que l’environnement social incite à le faire.

Concernant les effets à plus long terme sur les pensées, émotions et comportements agressifs, on dispose de moins de preuves montrant des liens de cause à effet entre les jeux vidéo violents et ces phénomènes.

À long terme, des effets moins clairs

Les études menées pour évaluer les conséquences de l’exposition à des médias violents (télévision, films, jeux vidéo, musique, bandes dessinées…) indiquent que plusieurs facteurs entrent en jeu.

En ce qui concerne les jeux vidéo violents, on peut citer tout d’abord la fréquence de jeu. Plus celle-ci est élevée et plus les risques d’augmentation de l’agressivité seraient importants, sans pour autant être systématiques.

Deuxièmement, des facteurs propres à chaque individu. Des travaux ont montré que certaines personnes seraient plus influencées par la violence dans les jeux vidéo que d’autres. C’est notamment le cas de celles qui effectuent plus souvent que la moyenne des actes agressifs.

Dans la même veine, les personnes fortement isolées socialement ou souffrant de troubles mentaux, anxieux ou dépressifs peuvent être plus facilement touchées. Des chercheurs ont suivi pendant trois ans des jeunes afin de déterminer l’effet de l’exposition aux jeux vidéo violents sur leurs tendances à l’agressivité et à la violence dans leurs relations amoureuses. Les résultats obtenus ont montré que ces comportements n’étaient pas associés aux jeux vidéo violents, mais pouvaient plutôt être prédits en cas d’existence d’une dépression, de traits de personnalité antisociale, de violences familiales, ainsi que selon l’influence des pairs.

D’autres études ont mis en évidence le rôle de facteurs environnementaux défavorables comme la pauvreté, le chômage, ou un environnement familial délétère. Ils augmentent les risques d’agressivité, mais sans que celle-ci ne puisse être prédite par la seule pratique de jeux vidéo violents. La tendance à la délinquance ou au harcèlement a été associée aux traits de personnalités agressifs des enfants, ainsi qu’à leur niveau de stress.

Les études montrent que, dans ces situations, les individus concernés jouent effectivement davantage à des jeux vidéo. Cependant, il ne s’agit que d’une corrélation.

Le passage à des actes agressifs, toujours dans le cadre de comportements non pénalement répréhensibles, ne peut être directement et uniquement provoqué par les jeux vidéo, dans la mesure où ce type d’actes est multifactoriel. Jouer régulièrement et fréquemment à des jeux vidéo violents pourrait peut-être, dans certains cas, constituer un facteur de risque parmi une multitude d’autres facteurs. Mais le déterminer avec précision nécessitera davantage de travaux de recherche.

Les recherches scientifiques sont d’autant plus complexes à mener que les jeux vidéo évoluent rapidement. Il s’agit maintenant de prendre en considération une variable supplémentaire : dans les jeux vidéo en ligne, les joueurs jouent à plusieurs et communiquent oralement entre eux. C’est ce que nous faisons dans nos travaux.

Des interactions entre joueurs parfois problématiques

Les jeux vidéo sont pour les joueurs des espaces de socialisation qui portent leurs propres normes et codes, notamment à travers un mode de communication libéré des barrières de la vie hors ligne. Par exemple, la politesse est réduite au minimum.

L’anonymat, même relatif, offert par le pseudonyme et l’absence de contact visuel ou de signaux non verbaux favorisent également une certaine désinhibition de la communication. Les normes d’expression des émotions et des jugements des autres sont spécifiques, plus spontanées et moins contrôlées que dans la « vie réelle ».

Souvent, les personnes jouant de manière « excessive » aux jeux vidéo, et développant une certaine dépendance, présentent également des pensées et des comportements plus impulsifs. Comme il s’agit d’une compétition qui peut parfois se jouer en équipe, il est très courant que les joueurs se chamaillent, se chambrent et s’insultent (on parle de « trash-talking »).

Ce type de communication ne serait socialement pas accepté dans la vie hors ligne. Les échanges entre joueurs sont souvent vifs et les disputes parfois violentes.

Nos travaux montrent que les joueurs vivent et partagent souvent de fortes émotions, positives comme négatives (« La communication interpersonnelle, source de bien-être dans les jeux vidéo multijoueurs en ligne : une étude empirique », Interfaces numériques, à paraître). L’intensité des émotions dépend du degré d’engagement de chaque joueur. Elle est souvent exacerbée en raison du caractère immersif des jeux vidéo. Selon les cas, le jeu peut autant favoriser qu’entraver leur bien-être.

Les joueurs, adolescents ou jeunes adultes, souffrant de troubles psychologiques ou ayant de fortes difficultés à s’adapter au « monde réel » jouent souvent davantage aux jeux vidéo que leurs pairs. Pour eux, le jeu peut être un moyen de compenser certains problèmes psychologiques et sociaux . Cependant, ce moyen est bien moins efficace que consulter un psychothérapeute…

Cet univers virtuel ludique et les relations sociales qui s’y développent sont dès lors d’une grande importance pour eux, pour leur estime de soi et leur identité sociale et personnelle. Si les interactions sociales lors des jeux sont conflictuelles, ce qui est fréquent, elles peuvent fortement affecter les joueurs.

L’échec ou la frustration accumulée par de mauvaises performances au cours du jeu peuvent remettre en question l’estime du joueur, notamment à travers le regard ou les paroles des autres. Dans les minutes qui suivent le jeu, les émotions négatives déclenchées par des interactions sociales négatives avec d’autres joueurs peuvent s’ajouter à l’excitation, aux pensées et affects rendus plus agressifs par le jeu violent lui-même.

Si le jeu ainsi que les communications spécifiques qui s’y développent entre joueurs offrent un cadre favorisant l’agressivité à court terme, est-ce pour autant qu’ils peuvent provoquer le passage à des comportements plus graves, comme des actes criminels ?

La question des crimes

Certains chercheurs ont tenté d’étudier l’usage des jeux vidéo chez les meurtriers en série ou chez les responsables de fusillades et de tueries collectives, notamment dans des écoles aux États-Unis. Jusqu’à présent, aucune recherche n’a permis d’établir un quelconque lien causal.

Ce résultat n’étonne pas les psychologues, dans la mesure où un comportement criminel ne dépend pas d’un unique critère, mais résulte d’une multitude de facteurs individuels et environnementaux.

Des chercheurs ont étudié plusieurs cas de tueurs de masse dont les médias avaient indiqué qu’ils étaient par ailleurs de grands joueurs de jeux vidéo violents. La plupart des études ont montré qu’en réalité, ce n’était pas le cas.

Plus surprenant, certaines recherches effectuées à large échelle suggèrent que les jeux vidéo violents pourraient en fait diminuer le nombre de crimes violents.

Aux États-Unis, lors de la sortie de nouveaux jeux vidéo violents, on observerait une diminution de la criminalité. L’explication est simple et très pragmatique : pendant qu’ils jouent à des jeux vidéo qui les passionnent, les « potentiels criminels » ne commettent pas de crime.


Pour en savoir plus :

- Laure-Emeline Bernard et Didier Courbet (2024). « La communication interpersonnelle, source de bien-être dans les jeux vidéo multijoueur en ligne : une étude empirique », Interfaces numériques, 13, 3 (à paraître).The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.