Les amish, un rôle plus important qu’on le croit dans la dernière élection présidentielle aux États-Unis

Aux États-Unis, les amish sont considérés par certains républicains comme les « gardiens des valeurs perdues » et comme un symbole politique puissant.

Mar 19, 2025 - 18:07
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Les amish, un rôle plus important qu’on le croit dans la dernière élection présidentielle aux États-Unis

Si les amish sont numériquement peu importants aux États-Unis, leur image, celle d’une communauté profondément attachée aux « valeurs traditionnelles », fait d’eux un enjeu électoral important. Durant la dernière campagne présidentielle, le soutien d’une partie significative d’entre eux à Donald Trump a sans doute eu une influence importante dans la victoire du candidat républicain.


Le 5 novembre 2024, alors que des millions d’Américains se rendaient aux urnes, le milliardaire Elon Musk publiait sur la plateforme du réseau social X une vidéo montrant une caravane d’amish voyageant en calèche pour aller voter pour Donald Trump.

Le lendemain, en réponse à un message exprimant de la gratitude envers les amish pour leur contribution à la victoire de Trump, Musk écrivait :

« Les amish pourraient bien sauver l’Amérique ! Dieu merci, ils existent. Et laissons le gouvernement en dehors de leur vie. »

Les tweets de Musk soulignent l’importance croissante de la religion dans la politique américaine et les efforts du Parti républicain pour intégrer les amish à son électorat.

Les amish et leur vote dans l’histoire des États-Unis

Les amish forment une communauté religieuse protestante issue des premiers mouvements anabaptistes européens. Plutôt réticents aux avancées technologiques, ils adoptent un mode de vie spécifique marqué par la simplicité, des vêtements sobres et un fort esprit communautaire, donnant la priorité à leurs liens sociaux et à leur vie spirituelle. En 2022, leur nombre s’élevait aux États-Unis à environ 373 620 individus sur une population d’environ 330 millions d’habitants, soit un peu plus d’un Américain sur 1 000. La forte concentration des communautés amish dans des États stratégiques pour les élections, comme la Pennsylvanie et l’Ohio, explique en partie l’intérêt que leur ont porté les républicains durant la dernière campagne présidentielle.


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Traditionnellement, les amish s’abstiennent majoritairement de voter, sauf lorsqu’ils estiment que leur liberté religieuse, leur mode de vie ou leurs principes moraux cruciaux sont menacés. Historiquement, ce type d’engagement électoral ne s’est produit que trois fois.

La première occurrence remonte à l’élection présidentielle de 1896. La campagne menée par le candidat républicain William McKinley, centrée sur les intérêts des grandes industries, s’opposait fortement aux intérêts des amish. Ces derniers se rangèrent alors du côté du démocrate William Bryan, favorable aux petits agriculteurs et à la défense de l’Amérique rurale.

L’engagement politique des amish a refait surface lors de l’élection présidentielle de 1960, qui opposa le républicain Richard Nixon au démocrate John F. Kennedy. Les amish percevaient Kennedy comme un allié de l’Église catholique, une institution qu’ils considéraient comme intolérante. En conséquence, ils apportèrent leur soutien à Nixon, un quaker dans lequel ils voyaient le défenseur d’une Amérique protestante.

Plus récemment, les amish se mobilisèrent fortement lors des campagnes présidentielles du républicain George W. Bush en 2000 et 2004 – un phénomène inédit connu sous le nom de « Bush Fever ». En 2000, sur 2 134 amish inscrits sur les listes électorales du comté de Lancaster, en Pennsylvanie – qui abrite l’une des plus grandes communautés amish des États-Unis – 1 342 votèrent, soit 63 % d’entre eux.

En 2004, la part des électeurs amish inscrits sur les listes électorales a augmenté de 169 % par rapport à la présidentielle précédente, atteignant au total 21 % des adultes susceptibles de voter. Cette mobilisation a été rendue possible grâce à l’action de Chet Beiler, fils de parents amish ayant quitté la communauté lorsqu’il avait trois ans. S’appuyant sur ses origines et sa maîtrise du Pennsylvania German, langue traditionnelle parlée dans de nombreuses communautés amish, Beiler développa une stratégie d’inscription des électeurs spécifiquement destinée aux amish pour soutenir la campagne de réélection de Bush.

Le facteur religieux dans la politique américaine

Pour comprendre l’intérêt du Parti républicain pour les amish, il est essentiel d’examiner la place croissante de la religion dans la politique américaine. Ce phénomène persiste malgré l’augmentation du nombre d’Américains se déclarant non religieux ou moins pratiquants.

Dans le contexte politique des États-Unis, la religion dépasse le cadre de la foi pour devenir un facteur de revendication d’une identité culturelle et un vecteur de cohésion sociale. Les chercheurs qualifient souvent ce phénomène de Christianism – à ne pas confondre avec christianity, qui se traduit en français par christianisme –, une forme de nationalisme fondée sur l’appartenance au christianisme et qui émerge dans le cadre des guerres culturelles en cours.

Dans ce contexte, un programme politique mettant l’accent sur les principes chrétiens et les valeurs rurales est de nature à mobiliser certains segments de l’électorat. Les tweets de Musk sur les amish sont représentatifs de cette dynamique. Au sein d’une partie de l’électorat républicain, les amish sont perçus comme les « gardiens des valeurs perdues », et incarnent une vision idéalisée d’une Amérique rurale préservée, caractérisée par des structures familiales traditionnelles et une éthique du travail agricole. Cette rhétorique est notamment véhiculée par l’Amish PAC, un comité d’action politique fondé en Virginie en 2016 pour rallier à Trump une base politique identitaire et religieuse, promouvant les valeurs traditionnelles et s’opposant au droit à l’avortement.

L’influence de la religion au sein du Parti républicain est également mise en évidence par l’ascension du Christian Right, un mouvement politique apparu à la fin des années 1970. Bien que non homogène, il regroupe des individus – principalement des chrétiens évangéliques – cherchant à influencer la politique américaine en s’appuyant sur une interprétation conservatrice des principes bibliques et des valeurs sociétales.

Les amish et la législation

Certains républicains soutiennent des lois favorables aux amish, comme l’ancien représentant Bob Gibbs, élu dans la circonscription de Holmes County, Ohio, où la communauté amish est fortement implantée.

En décembre 2021, Gibbs soumet un projet de loi permettant aux personnes ayant des croyances religieuses spécifiques, comme les amish – qui considèrent la photographie comme une forme d’idolâtrie –, d’être exemptées de l’obligation de posséder un document d’identité avec photo. Ce même mois, Gibbs présente un autre projet de loi visant à avantager les amish en leur permettant de ne pas être soumis aux prélèvements sur les salaires destinés à la sécurité sociale et à l’assurance maladie publique (Medicare), même lorsqu’ils sont employés par des entreprises non amish.

Au début de l’année 2021, la Cour suprême, à majorité conservatrice, a tranché un litige de longue date opposant les autorités locales aux amish du comté de Lenawee, en faveur de ces derniers. Au cœur du conflit se trouvait la gestion des eaux usées. Conformément à leurs principes religieux, les amish évitent généralement les technologies modernes, y compris les installations septiques. Dans le comté de Lenawee, ils utilisaient ainsi une méthode de gestion jugée non conforme par les responsables sanitaires.

Ce cas s’inscrit dans une série de litiges similaires impliquant d’autres communautés amish dans l’Ohio, dans le Minnesota et en Pennsylvanie.

Des conflits juridiques de ce type pourraient inciter les amish à percevoir plus favorablement le Parti républicain et Trump, qui défendent à la fois un « gouvernement réduit » et la liberté religieuse.

Les amish et l’élection présidentielle de 2024

Plusieurs reportages du média d’information en ligne Anabaptist World ont établi un lien entre la hausse des inscriptions des amish sur les listes électorales en Pennsylvanie, lors de l’élection présidentielle de 2024, et la victoire de Donald Trump dans cet État. Cette augmentation des inscriptions sur les listes électorales aurait été motivée par l’ouverture de poursuites judiciaires fédérales contre un agriculteur amish accusé d’avoir vendu des produits laitiers crus au-delà des frontières de l’État – ce qui aurait entraîné des cas d’infection à l’Escherichia coli.

Cependant, les données officielles du comté de Lancaster, où se trouve la principale communauté amish de Pennsylvanie, ne permettent pas de démontrer une participation massive des amish aux élections. L’augmentation du score de Trump dans l’État – il est passé de 48,84 % en 2020 à 50,37 % en 2024 – s’est principalement produite dans les zones urbaines et suburbaines. Par exemple, son score à Philadelphie s’est amélioré de trois points. Les comtés suburbains clés, tels que Bucks, Monroe et Northampton, remportés par l’ancien président Joe Biden en 2020, avaient basculé en faveur de Trump.

Le candidat républicain avait également obtenu de meilleurs résultats dans les banlieues de Philadelphie, notamment dans les comtés de Delaware et de Chester. Ces régions, où la présence amish est faible, ont connu des évolutions électorales significatives, tandis que les districts comptant une population amish plus importante n’ont enregistré que de modestes gains pour Trump.

Toutefois, si les amish ne sont pas devenus un élément central de la coalition électorale de Trump, certains électeurs issus de cette communauté ont pu se montrer plus favorables à sa candidature. Plus important encore, les membres de ce groupe religieux constituent un puissant symbole de mobilisation et de propagande pour le Parti républicain dans un contexte de polarisation croissante de la politique américaine.The Conversation

Daniele Curci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.