Le point sur Louis-Ferdinand Céline
Céline, le retour d’un maudit. Avec son œil de témoin historique et le cœur en bandoulière, Véronique Chovin raconte la résurrection littéraire de Céline, dont les ventes ont été relancées par la découverte des manuscrits inédits. Un récit entre mémoire vive et polémiques brûlantes... L’article Le point sur Louis-Ferdinand Céline est apparu en premier sur Causeur.

Céline, le retour d’un maudit. Avec son œil de témoin historique et le cœur en bandoulière, Véronique Chovin raconte la résurrection littéraire de Céline, dont les ventes ont été relancées par la découverte des manuscrits inédits. Un récit entre mémoire vive et polémiques brûlantes…

D’ordinaire avec Louis-Ferdinand Céline, il est question de trois points de suspension. Véronique Chovin, dans un petit livre enlevé, fait le point – tout court – sur le retour au premier plan de l’écrivain après la découverte de manuscrits inédits qu’on croyait définitivement perdus. La publication par les éditions Gallimard de Guerre, Londres et La volonté du roi Krogold fut un véritable événement, saluée par la critique, surtout Guerre qui aurait mérité le Goncourt selon certains journalistes.
C’est une belle histoire que raconte Véronique Chovin, auteure de deux ouvrages sur Céline et son épouse, Lucette, dont Céline secret (Grasset, 2001). À l’âge de 17 ans, dans les années 1970, elle sonne à la porte de la villa Maïtou, route des Gardes, sur les hauteurs de Meudon. Elle décrit la dernière demeure de l’écrivain. C’est précieux car celle-ci a connu récemment un sacré lifting, jardin compris. Les fantômes, parait-il, ne décolèrent pas depuis. Nous non plus. « En bas on entendait les voitures sur la route des Gardes, au loin c’était la Seine et ses boucles et plus loin encore, les péniches qui s’éloignaient. » C’est « Elle » qui parle dans le livre, comprenez Chovin, qui devient un personnage dans l’univers post-célinien. Ça fait écho aux dernières lignes du Voyage au bout de la nuit, avec la volonté « qu’on n’en parle plus » de cette affaire. Mais avec les grands écrivains, on n’en a jamais fini, croyez-moi.
Donc elle sonne pour prendre des cours de danse avec Lucette Almansor, la veuve la plus célèbre des lettres françaises. Elle raconte son histoire, son amitié avec Lucette, ses déambulations parisiennes, ses escapades hors de la banlieue, notamment à Dieppe où Ferdinand aimait pêcher les âmes dans la Manche couleur huitre. Elle l’a connue verticale, rayonnante, puis horizontale, d’un coup, lorsque le petit-fils de Céline, Jean-Marie Turpin, a fait irruption dans sa vie, ivre et mauvais. Il réclamait sa part du magot, malgré le refus de sa mère qui n’en avait pas voulu, de l’héritage du maudit absolu. « Déjà fatiguée, révèle Chovin, elle ne s’était jamais vraiment remise de cette visite. Elle s’était couchée. » Le passé qui remonte et qui vous scie les pattes. Lucette va lui confier ses souvenirs, puis des lettres. De quoi alimenter la postérité ; de quoi comprendre un peu plus le tourmenté Bardamu, reclus définitif, habillé comme un clodo céleste, entouré de ses chiens. Malraux a dit un jour que pour comprendre Céline, il fallait interroger Lucette. Elle seule l’avait compris, à l’instinct.
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Véronique Chovin rappelle ensuite la résurrection des manuscrits. La piste corse, avec un certain Oscar Rosembly, puis le résistant Yvon Morandat qui les avait récupérés chez Céline, à Montmartre, et gardés en secret quarante ans durant, enfin leur édition, après transcription parfois laborieuse. Les spécialistes s’en sont mêlés, connaissant leur Céline sur le bout des doigts. La polémique a enflé. On a beaucoup critiqué Chovin. Les spécialistes n’aiment pas qu’on marche sur leur terrain de chasse, surtout quand on écrit avec l’intelligence du cœur.
Londres a ébranlé le microcosme littéraire. Ça a ferraillé ferme. Trop argotique, mal ficelé, un « brouillon de génie », mais un brouillon. Et puis trop porno, beaucoup trop porno. Les dévots sont intervenus. Déjà l’antisémitisme de Céline, avec en plus la réédition des pamphlets, et maintenant Thanatos qui écrabouille Eros ! Eh oui, mais Céline, en parfait médecin, avait diagnostiqué : « Le cul des femmes c’est comme le ciel, ni commencement ni fin. » Et d’enfoncer le clou : « Là où c’est l’origine de tout. »
Céline n’a pas fini de réveiller les somnambules. Je parie qu’on retrouvera encore quelques manuscrits fragmentés. Il possédait également deux dessins signés Degas, rue Girardon – les bobos ont fait enlever la plaque murale où il était indiqué qu’il avait habité ici, le médecin. « Mais où sont ces Degas ? », interroge Véronique Chovin. Le mystère reste entier. C’est jouissif. La société hygiéniste peut cauchemarder.
Véronique Chovin, Céline en héritage, Mercure de France, Collection Bleue, 136 pages.
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